Le fignolisme ou l'activisme d'émancipation des classes populaires

Le fignolisme, introduit sur la scène dans les années 40-50, apparaît comme l'une des forces politiques radicales greffées sur les revendications des classes populaires. Ce  discours que l'on donne souvent une certaine portée révolutionnaire laisse dans l'opinion publique trois grandes critiques mettant en cause son fondement idéologique; s'agissant de la première, le fignolisme est vu comme un mouvement qui n'a pas bénéficié d'une n'a pas une audience nationale [1]. Quant à l'autre, elle est alors posée en termes de dominance coloriste [2]. Se référant à Marc Ferl Morquette, il  insiste sur l'aspect populiste de la pensée de Fignolé dans son ouvrage intitulé « Idéologie, histoire et politique en Haïti, tome 2 : Le Populisme ».Ainsi l'on tend à le résumer par trois termes démagogie, populisme, radicalisme. Voilà que le fignolisme est mal apprécié par certains, ces quelques lignes qui suivent sont pour proposer une tout autre lecture de la doctrine. 


 

Contrairement aux critiques,ma lecture est que le fignolisme se résume à trois (3) vocables fondamentaux: justicialisme-noirisme et syndicalisme. Basant surcdes témoignages et des données historiques, je formule l'idée selon laquelle le fignolisme est le premier activisme politique à soutenir en même temps les revendications de la paysannerie et de la classe ouvrière. 


 

Apparu dans un contexte d'une montée vertigineuse du mulâtrisme, le fignolisme soutient les revendications populaires dans une perspective d'émancipation sociale. La question des classes sociales est ainsi agitée comme méthode et stratégie de lutte aux fins de se porter les classes populaires à se diriger contre les élites. Le rouleau compresseur dont les écrits mentionnent est l'expression utilisée pour montrer à quel point les résidents des quartiers populaires se sont ralliés à l'activisme fignoliste. 


 

Toujours est-il, le fignolisme est perçu comme un discours politique posant le problème d'injustice sociale qui caractérise bien la société haïtienne depuis sa formation.En raison de cela, le fignolisle rappelle bien des égards une sorte de justicialisme[3].Comme il est écrit, le justcialisme a été une DOCTRINE  politique initiée dans les années 40-50 en Argentine par le président Perròn qui visait à réunir, contre l'oligarchie terrienne soutenue par le capital nord-américain, les couches les plus défavorisées de la population et la bourgeoisie industrielle nationaliste [4]. Le justicialisme auquel on évoque a plus à voir avec le discours prônant la justice sociale au sein de la société haïtienne, victime d'une certaine sclérose au lendemain de l'assassinat de Jean Jacques Dessalines. C'est sur la base que Le fignolisme prône l'équitabilité que Myrtha Gilbert voit en ce discours un certain justicialisme. Daniel parvient à mobiliser les prolétaires et les paysans (à un degré moindre), tous deux des descendants des marrons libertaires, contre la bourgeoisie de Port-au-Prince. Sur cette base sociale, il y a raison de le concevoir dans cette lignée. On peut comprendre pourquoi son parti politique est dénommé MOP (Mouvement Ouvriers Paysans). 


 

Disons-le, le fignolisme est perçu comme étant une praxis visant l'affaiblissement des bourgeois du Bord-de-Mer (de Port-au-Prince) d'une part et des spéculateurs ruraux d'autre part, mettant en relief la question de justice sociale, de salaire légal minimum [5]. Il se présente par conséquent comme un activisme dont l'intérêt se porte sur les désidératas de la jeunesse universitaire, des prolétaires, des cultivateurs ou des paysans, des soldats de l'armée, d'une manière générale de tous  les descendants des marrons de Saint-Domingue qui depuis sous Jean Pierre Boyer sont exclus de l'éducation, du pouvoir et du fonctionnariat et sont refoulés au domaine de l'agriculture au profit des mulâtres qui se chargent du commerce international et des rentes foncières et immobilières.Le fignolisme est connu comme une mouvance qui s'efforce d'imaginer des solutions, un autre avenir pour les ouvriers et les paysans. 


 

Le fignolisme comme discours politique n'a pas surgi ex nihilo. Son essence est alors à rechercher dans les différentes contradictions sociales qui caractérisent la formation sociale haïtienne et des différentes luttes sociales  jalonnant le XIXe  siècle. 


 

Daniel Fignolé, le maître à penser, a eu des précurseurs qui au fil du temps ont recouru à la dialectique des armes comme moyen de résistance face au projet de l'oligarchie. L'on estime que Jean Baptiste Perrier dit Goman (1807-1820), Jean Jacques Acaau (1843), Jeannot Moline, Picot Germain (1805) et Mayer ont été les premiers défenseurs d'une telle idéologie. Ils sont tous des leaders qui ont combattu pour une société basée sur la justice sociale avec pour corollaire l'obtention des terres pour les cultivateurs, cette cause pour laquelle Jean Jacques Dessalines a dû payer sa peau. Cette bataille a mis en péril le système imposé en 1806 par Alexandre Pétion. 


 

À la seule différence, Daniel considéré par Michel Hector comme le tribun et leader des masses populaires n'a pas recouru à l'option armée pour obtenir gain de cause. Inscrivant sa démarche dans une dynamique largement social-démocrate, il a opté pour la mobilisation populaire, des appels à la grève générale comme arme de combat. Daniel se trouve plus proche du penseur politique Louis Joseph Janvier. Peut-on lire à cet effet dans un travail de recherche de IDEA sur l'idéologie politique; 


 

«Louis Joseph Janvier est le premier à articuler sa pensée politique autour d'une classe sociale, la paysannerie, dont il fait remonter les revendications à la Révolution de 1843.Il trouve dans l'organisation de la société la cause des incessantes insurrections dans le pays.»[6]. Analysant le contenu du discours de Daniel, on trouve qu'il a un rapprochement avec la pensée de Louis Joseph. 


 

Comme Daniel prône les revendications paysannes d'accès à la terre, on estime que le fignolisme est un activisme politique qui a pour héritier le projet dessalinien dont la notion de justice sociale est au centre. 


 

S'il est certain que le fignolisme inscrit sa démarche dans les différentes batailles de la paysannerie datant du 19e siècle, il se veut aussi une version corrigée, revue des rébellions de Jean Jacques Acaau, des piquets et des Cacos, tout simplement des luttes sociales du 19e siècle. Pour de nombreux analystes, la révolte de Jean Jacques Acaau était réactionnaire parce qu'elle n'a pas réussi à détruire la bourgeoisie urbaine de spéculateurs et d'usuriers, gardiens du système oligarchique [7]. Par ailleurs, le mouvement des Cacos est critiqué par sa nature. Pour certains, c'était une lutte qui reprend la dualité historique du pays à savoir les Ruraux contre les Citadins [8]. Tenant compte de tout cela, le fignolisme est censé être une alternative viable née des faiblesses de ces  luttes sociales qui n'ont pas contribué réellement à l'amélioration des classes populaires. On le dit parce que Daniel a soutenu dans son discours les revendications des deux espaces géographiques malgré leurs antagonismes historiques. Ainsi, je lis dans cet article (https://www.haiti-reference.info/pages/2009/04/09/elections-deconcertantes/) ce qui suit: 


 

«Le MOP, création d'un jeune professeur de mathématiques, Daniel Fignolé, d'un médecin de campagne, François Duvalier et d'un économiste, Clovis Désinor ne tarda pas à susciter l'enthousiasme au-delà du cercle des politiciens traditionnels.Fignolé, alors secrétaire général et ses amis commencèrent donc par poser les bases solides du parti en élaborant un programme qui tenait compte des aspirations des masses ouvrières et paysannes, d'où la puissance et la popularité du parti qui comptait parmi ses membres une bonne partie de la jeunesse, des membres de syndicats, des intellectuels, et qui véhiculait son programme à travers un journal nommé Chantiers.»


 

En dépit de sa volonté politique à soutenir les revendications des paysans, Daniel ne parvient pas à imposer son leadership dans la paysannerie. D'où la faiblesse de son activisme politique. Sur cet aspect, le Duvalierisme le devance. 


 

Le fignolisme est alors réputé comme un mouvement urbain. À ce point, il a comme legs le combat qu'a mené Sylvain Salnave aux possédants du pays entre 1865-1868. D'ailleurs, le mouvement de Sylvain Salnave est resté dans l'histoire comme la première lutte urbaine d'Haïti. Le professeur Louis Smart dans son texte intitulé « Les avatars d'une révélation:

éléments théoriques pour une recherche» en mettant l'accent sur le charisme de Salnave et de Fignolé comme deux leaders a pu établir ce lien en opinant de la manière suivante: 

«En effet, le développement d'un mouvement national populaire sous la direction d'un chef charismatique s'est manifesté avec le président Sylvain Salnave dans la période comprise entre 1867 et 1870, avec Daniel Fignolé lors de la grande agitation politique de 1956-1957. De plus, la présence de leaders charismatiques qui mobilisent les énergies des masses urbaines s'est fait sentir dans des moments d'intenses mobilisations populaires.» 


 

Adulé par les hommes de Bas peu de choses, de Bel Air, Salnave a pris position en faveur d'eux. Ces zones étaient aussi les fiefs de Daniel Fignolé. Celui-ci exerce une grande influence sur toute la région métropolitaine. Son discours charrie tous les problèmes auxquels font face les hommes des quartiers populaires. 

Tout le soutien dont il a bénéficié des couches défavorisées vient de sa contribution dans le mouvement syndical. Daniel Fignolé est entré dans l'histoire comme le guide et l'architecte du grand mouvement syndical qui a débuté dans les années 40. Il a apporté une contribution théorique et pratique à l'émergence de ce projet.  Son livre « Contribution à l'histoire du mouvement syndical en Haïti : Janvier 1946-Novembre 1947» en témoigne. Rares des syndicats de l'époque n'ont pas l'empreinte de Daniel. Daniel Supplice [9] parle de plusieurs syndicats dont Daniel Fignolé était membre fondateur. Parlant de cela, l'historien Michel Hector estime que « le courant syndical fignoliste bénéficie d'un rayonnement qui dépasse sans aucun doute le cadre des syndicats qui lui sont directement affiliés»[10]. Tout porte à croire que le fignolisme  ramène largement sa bataille sur le front des syndicats dans une perspective de trouver brèche au système de prédation. 


 

Sur ce point, on estime que le fignolidme trouve sa plus grande base dans le mouvement syndical. 


 

Le fignolisme est ainsi situé dans la lignée du noirisme qui a eu pour précurseurs les hommes politiques de 1843, Émile Nau, l'École  Patriotique, et pour fondateurs les écrivains de l'Indigénisme. Il l'a renforcé par la propagande. Sa revue "Les  Chantiers" est réputée comme un organe de propagande du noirisme. C'est à travers cet outil qu'il s'en prend aux mulâtres. Si radical qu'il le paraît, on le fait pssser pour un Salomon, un Soulouque, un François Duvalier qui ont la réputation des mangeurs de mulâtres. 


 

Lè fignolisme ne pouvait pas se passer du noirisme étant donné que c'était le contexte de l'époque qui l'exigeait. On était face à une montée fulgurante de la mise en valeur de l'élément mulâtre dans l'administration publique. La question est ainsi traitée sous un angle de conscience de classe étant donné que l'occupation haïtienne a provoqué un réveil de la conscience nationale. 


 

Au regard de tout cela, ce qu'il est convenu d'appeler le fignolisme, au sens large, c'est un projet de transformation et d'amélioration sur le plan économique et  d'émancipation sur le plan politique des classes ouvrière et paysanne. Tout l'objectif de Fignolé était de renverser le système qui retient les couches défavorisées dans leurs conditions de misère ou qui génère les inégalités et les disparités. Son mérite est d'avoir tracé le chemin à un discours politique centré sur le justicialisme. À cause de son aspect revendicatif et de sa vision progressiste, le populisme et le radicalisme que la plupart de critiques soutiennent comme limite du fignolisme n'ont rien enlevé de son essence s'apparentant à une forme d'humanisme. 


 

Tellement ancré dans l'esprit de certains, le fignolisme a fait école. Son héritage est aussi à rechercher dans la mouvance populaire post 90. Le syndicalisme a une dette envers cette doctrine qui impose d'une certaine manière un discours de gauche au sein de la population haïtienne. 



 

James Saint Germain 

Sociologue 



 

Références 

1.-http://islandluminous.fiu.edu/french/part09-slide15.html

2- Idem 

3- Dans ce texte, Myrtha Gilbert fait mention du fignolisme comme un justicialisme (https://www.radiofrancophonieconnexion.com/blog/archives/08-2021)

4.-https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/justicialisme/4524

5.-https://fr.m.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9volution_ha%C3%AFtienne_de_1843

6.-https://www.idea.int/sites/default/files/publications/les-pratiques-ideologiques-en-haiti.pdf

7.-La Culture opprimée de Jean Casimir, p168

8.- idem 

9- Dictionnaire des personnalités et administratives 

10.-opcit.-http://islandluminous.fiu.edu/french/part09-slide15.html



 

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