Les médias: instrument de conformisme social et de «best-sellerisation»?

Introduction

 

Médias et démocratie, selon Dominique Wolton (2005), sont deux concepts étroitement liés. L’on entend par médias, au sens large, tout moyen – un outil, une technique – permettant aux Hommes de s’exprimer et de communiquer à autrui, quel qu’en soit l’objet ou la forme (Francis Balle, 2004 [2009], p. 3). Au-delà d’une simple question technique, Jean Davallon (1992) considère les médias comme un lieu de production de discours social servant à établir un type de lien qui lui est propre entre les acteurs. Sur ce, Wolton soutient que les médias de masse jouent, du point de vue de la cohésion sociale, trois rôles : «Un rôle politique lié à la reconstruction de l’Etat-nation ; un rôle social de cohésion afin d’amortir les chocs de toutes mutations sociales ; un rôle culturel pour gérer le multiculturalisme de nos sociétés (Dominique Wolton, op. cit., p. 119).»

Concept mou, la démocratie, quant à elle, est selon Amartya Sen (1999) un système exigeant, et pas seulement un système mécanique comme dans le gouvernement majoritaire […]. Elle présente trois grandes dimensions. Primo, une dimension intrinsèque selon laquelle la liberté politique fait partie de la liberté de l’Homme, et l’exercice des droits civiques et politiques, un point crucial dans une vie satisfaisante pour les individus et les corps sociaux.  

Secundo, une dimension instrumentale qui amplifie l’écoute accordée aux gens lorsqu’ils expriment et défendent leurs revendications à l’attention des politiques. In fine, une dimension constructive. A ce niveau, la politique de la démocratie donne aux citoyens une chance d’apprendre les uns par les autres, et aide la société à donner forme à ses valeurs et à ses priorités (Amartya Sen, op. cit., pp. 64-66). Quels rôles jouent les médias haïtiens dans le fonctionnement de la démocratie en Haïti ? Quelle est la nature des liens qui unissent les médias haïtiens à la démocratie ? Inspiré du courant marxiste, pour tenter de répondre à ces questions, nous partons de l’observation de la réalité médiatique haïtienne et du travail d’Hugues Moutouh.

Selon certaines études de quelques grands philosophes, dont Louis Althusser, les médias constituent un danger pour la démocratie. Car ils sont des outils de domination politique qui permettent à la classe socio-économique au pouvoir d’obtenir l’adhésion et le consentement de la population afin de perpétrer sa domination. Si médias et démocratie sont inextricablement liés, les valeurs de celle-ci ne sont pas éclairées dans les médias haïtiens. Les journalistes, pour se référer à Hugues Moutouh (2006), s’intéressent à reproduire la pensée dominante à travers les contraintes qu’exercent, sur eux, les conditions de production de l’information et par collusion avec le pouvoir politico-économique.   

Donc les médias se trouvent, dans un premier temps, sous l’emprise du marché. Et, dans un second, ils sont soumis soit au pouvoir en place soit à l’opposition qui sont tous deux maillons d’une même chaîne : la classe économique. À cet égard, les médias sont de véritables outils de propagande qui amènent la population à adhérer à des choses dont elle ne veut pas. Pour cela, les médias sont un instrument de «conformisme social» et d’aliénation. Toutefois, Hugues Moutouh précise que les individus ne sont ni des rats de laboratoire qui répondent aux stimuli extérieurs ni des pâtes molles sur lesquelles un message vient s’imprimer. Ils sont avant tout des acteurs sociaux qui ont la capacité de sélectionner les informations leur parvenant et de les interpréter […].  

À part d’être un instrument de conformisme, les médias sont aussi, pour reprendre les propos de Roland Cayrol cités par Hugues Moutouh, un phénomène de «best-sellerisation». Celui-ci, selon Moutouh, est une stratégie selon laquelle les journalistes invitent souvent les personnalités les plus populaires à l’antenne ou les placent à la Une. Les raisons ? À en croire Patrick Charaudeau, le fonctionnement des médias obéit à une double logique : commerciale et démocratique.  Étant donné que les médias sont des entreprises capitalistes, c’est la logique du profit qui leur intéresse avant tout.  

Logique commerciale, à  Patrick Charaudeau de soutenir: «[…] Il faut que les médias vivent. Ils se trouvent comme toute entreprise dans le circuit économique et doivent donc satisfaire à un principe de profit.» Cette satisfaction, poursuit-il, se réalise par le biais des rentrées publicitaires à proportion du nombre des lecteurs, auditeurs et/ou téléspectateurs qui lisent, écoutent et/ou regardent un organe d’information. Une fois atteinte, l’éducation et la construction des citoyens sont sacrifiées.

Les médias haïtiens sont omniprésents et occupent une place centrale dans notre société. Les journalistes haïtiens s’imposent à la place des intellectuels. Dit autrement, ils diabolisent l’activité intellectuelle. Depuis un certain temps, la population haïtienne lutte pour chambarder le système politique et économique actuel. Mais par quoi et comment il sera remplacé ? Malgré des recherches qui ont été déjà réalisées sur cette question, les journalistes haïtiens n’accordent pas assez de place aux scientifiques. Encore bon nombre de politiciens professionnels défilent-ils dans les médias afin de montrer que la constitution haïtienne est la principale source de l’instabilité du pays. Il faut la changer. Or, il existe des travaux scientifiques qui sont réalisés au sein des universités haïtiennes sur cette question. Pourtant, les intellectuels sont rarement invités à l’antenne.

Conclusion

Comment les médias haïtiens peuvent aider la démocratie à remplir sa fonction constructive, sans accorder une place primordiale avec la science ? Pour répéter Jean-Pierre Charbonneau (2005), qui peut nier que les médias sont organisés comme des objets de consommation plutôt que comme des instruments d’animation des débats démocratiques ? Cet article n’est pas un règlement de compte. L’objectif de cet exposé était, a contrario, de montrer comment les dérapages des responsabilités des médias haïtiens ont dénaturé la vie démocratique. À la fois manipulé et manipulateur, les médias ne disent jamais aux gens ce qu’ils doivent penser, mais ce à quoi ils doivent penser. «Dis-moi quel média tu écoutes/lis, je te dirai qui tu es», résume un dicton. Partant de la réalité médiatique haïtienne, nous avons une idée du niveau éducatif de nos citoyens qui, à une fréquence régulière, écoutent les journalistes haïtiens qui sacrifient les activités intellectuelles.     

 

Bibliographie

BALLE, Francis. Les médias, Paris, PUF, «Que sais-je?», 2004 [2009].  

CHARAUDEAU, Patrick. «Les médias, un manipulateur manipulé», in La manipulation à la française, Paris, Ed. Economica, 2003.

CHARBONNEAU, Jean-Pierre. «De la démocratie sans le peuple à la démocratie avec le peuple», in Ethique publique, vol. 7, no 1, 2005.

DAVALLON, Jean. «Le musée est-il vraiment un média ?», in Publics et Musée, no 2, 1992, pp. 99-123.    

MOUTOUH, Hugues. «La communication médiatique déterminant de l'action publique», in Pouvoirs, no 119, 2006, pp. 15-28.

SEN, Amartya. La démocratie des autres. Pourquoi la liberté n’est pas une invention de l’Occident, traduction de Monique Bégot, Paris, Editions Payot, 1999 [(2003) (2005)].

WOLTON, Dominique. Sauver la communication, Paris, Flammarion, «Essais», 2005.

 

Wilner Jean

Communicateur social

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

0 COMMENTAIRES