Expulsion de l’oligarchie: «Too Big to Fail»

Je me rappelle étant enfant passionné du football, lorsqu’entre amis on se réunissait dans l’ambiance saine de nous divertir sportivement, il y avait toujours un copain pour crabe qu’il fut qu’on n’oserait jamais sortir de la petite surface. Détenteur exclusif du ballon que son papa lui a offert, ce joueur possède un droit de veto sur le plaisir collectif à savourer par le groupe entier. Son éviction du système serait juste synonyme de la fin de la partie. « No Ball, No Game » ! Quoique léger sur le plan du talent, ce joueur représente un poids lourd par sa dotation matérielle. Il devient trop important pour imaginer de l’écarter du terrain. Il y a évidence que le plaisir de la partie ne saurait être au niveau optimal avec la présence d’un tel joueur « marin ». Non plus on ne pouvait déguster une partie de plaisir footballistique en son absence, car lui seul est propriétaire du bien « précieux » qui procure la joie collective chaque après-midi. Dans certains cas, il pouvait même s’offrir le luxe de choisir ses coéquipiers et d’imposer d’autres camarades à intégrer l’équipe adverse. Comme ce que l’oxygène est au poumon, ce détenteur du cuir (ou du plastique) devient l’élément vital du système dont le groupe ne peut s’en passer. Puisque de deux situations, le choix rationnel invite à opter pour celle qui génère le moins de mal, il n’est point alors difficile de trancher dans le dilemme d’aligner le marin ou le laisser partir avec son butin. Mieux vaut construire une chaîne avec un maillon faible que de ne concevoir de chaîne du tout. L’équilibre - qui ne saurait être alors l’idéal - voudrait que ce joueur médiocre soit aligné d’office dans la liste des sélectionnés afin de s’assurer que le jeu soit possible.

Cette anecdote « triviale » dressée au chapeau de ce papier vise à illustrer la thèse du « Too Big to Fail » qui peut prévaloir en des cycles économiques de crises qui hypothèquent la stabilité d’un système. Au cours de la crise financière de 2008 engendrée par le jeu de Ponzi entrepris par Bernard Madoff, l’équilibre intégral du système financier des États-Unis a été fragilisé. Par cette astuce mafieuse, le client vit dans l’illusion d’une fructification fascinante de son capital initial alors que dans la réalité son argent est dilapidé par celui qui se porte garant pour le sécuriser et le rentabiliser. Graduellement - comme dans le cas des coopératives en Haïti au début du millénaire - les managers/ravisseurs donnent l’impression que de tels investissements sont rentables. Ainsi, ils attirent de plus en plus de clients avec des promesses mirobolantes de taux d’intérêt miroitants.

Qu’il soit la crise du Subprime à l’Occident que celle de la coopérative en Haïti, c’est quand la bulle s’éclate que les déposants réalisent que leur confiance a été violée. Il s’ensuit alors des pertes tant pour des comptes individuels que pour des corporations qui vont entraîner illico la chute des indices boursiers. « Le système financier ne vit pas de scandales ». En 2008 alors, de géantes corporations financières et banques commerciales américaines avaient frôlé la banqueroute à cause des fraudes résultant de la manipulation des investissements financiers.

Vu leurs poids et leur indice de connectivité avec d’autres institutions du système financier, les banques et particulièrement les plus influentes tendaient à traîner l’économie vers le chaos systémique. Pour éviter un effet domino catastrophique, le gouvernement fédéral devait alors prendre des mesures de redressement de ces sociétés en des supports techniques et des subventions pour les maintenir en vie. C’est de cette expérience de la crise du « Subprime » que découle la théorie du « Too Big to Fail ».

Pour le salut collectif qui est un objectif suprême auquel la gouvernance avisée s’agrippe, il y a des sacrifices et des arbitrages qui valent toujours la peine. Les scandales de sanctions et confiscations contre un ensemble de nantis en Haïti risquent d’interpeller ce paradigme du « Too Big to Fail ». À l’instar de cette leçon de sauvetage national qui exigeaient de soutenir plusieurs firmes américaines importantes en faillite, il paraît crucial d’envisager d’éviter la fermeture ou la chute de certaines entreprises d’Haïti qui sont susceptibles de causer un effet domino sur tout le système.

 

Démarcation entre le business et le businessman

Sont légion les entreprises de plusieurs pays qui continuent leurs activités malgré que leurs propriétaires soient indexés de fraudes, de dilapidations ou d’évasion fiscale. S’il fallait appliquer le principe irrationnel pour que chaque sanction du patron entraîne celle de sa société, le système capitaliste aurait déjà failli. Par exemple, quand Bernard Tapis devait subir le verdict de la justice à cause de ses forfaits financiers, la compagnie Adidas dont il était à l’époque le président, n’était pas contrainte de fermer sa porte. Dans certaines conditions, les USA et le Canada appliqueraient la prudence informationnelle de ne pas révéler des cas flagrants de propriétaires de compagnies qu’ils auraient sanctionnés voire emprisonnés sans pourtant hypothéquer le fonctionnement de leurs entreprises.

Très proche de nous, le cas de Bautista. La République dominicaine a dévoilé un ensemble de pratiques opaques de cet ancien sénateur hyperactif dans la corruption en Haïti. Détenteur de compagnies génératrices de richesses et pourvoyeuses d’emplois importants à la République voisine, Bautista a écopé de sanctions de la justice. Il a été mis en prison. Cependant, dans l’intérêt de la collectivité, l’existence de ces compagnies n’a pas été hypothéquée. Si la justice devait poser le scellé pour brusquement suspendre les opérations de tous les types d’entreprises de ce sénateur corrompu, le coût social en serait très élevé.

Une approche plus intelligente - socialement avantageuse - s’impose. Dans cette même ligne, de faire du bien-être de la collectivité la priorité de l’État, l’Occident ne doit pas dérouler un dernier scénario pour priver de toute ressource une population résiliente qui renonce à une dernière invasion militaire. La solution soutenable serait d’envoyer des signaux en plébiscitant des citoyens dignes pour assurer la transition politique et octroyer des supports matériels et techniques aux institutions nationales qui doivent rétablir l’ordre dans la cité. Ce n’est pas la mer à boire. Il manque juste la volonté de la communauté internationale qui ne s’attache qu’à son propre agenda. 

Aujourd’hui, des hommes d’affaires en Haïti sont inculpés d’être des contrebandiers et des ravisseurs qui alimentent la criminalité. En toute logique, ces perturbateurs de la paix sociale ne devraient pas être libres de leurs mouvements. En plus des sanctions, ils encourent le risque que leurs avoirs soient confisqués et bloqués par l’État. Par ailleurs, les diverses entreprises administrées par ces oligarques fournissent de nombreux emplois et des services divers à la société.

Que ce soit du secteur bancaire ou à des compagnies de sous-traitance, la part économique de l’oligarchie « corrompue » dans cette économie nationale rachitique est énorme. La chute d’une seule de ces entreprises stratégiques d’un point de vue social est susceptible de causer des dommages significatifs. S’il faut exiger la fermeture de compte bancaire d’un oligarque soupçonné de connivence dans le banditisme, dans un esprit d’analyse coût et bénéfice social, on ne saurait encourager l’arrêt des opérations de son entreprise en soi. Le chômage ou le manque de service à en résulter peuvent se révéler préjudiciables pour la société. Sans violer les principes de l’éthique, il convient d’aborder avec pincette cet aspect de distinguer l’entreprise de son propriétaire tout en maintenant le postulat de la primauté du bien-être collectif.

 

La priorité du Social Wellbeing  

Tout humain revêtu du manteau de l’éthique ne saurait faire l’apologie de l’argent sale. Parallèlement, le planificateur social est interpellé à trancher dans le sens de minimiser les dommages sociaux dans la prise de ses décisions. Partant de cette prémisse, ce serait par exemple une erreur de vouloir brusquement fermer une banque commerciale dont un actionnaire serait corrompu. Puisque le risque d’une chute de tout le système financier comme un château de cartes serait imminent - scénario catastrophique - le bien-être social s’en trouverait atrophié. Pareillement, la fermeture d’une société pourvoyeuse de nombreux emplois aurait l’effet néfaste d’envoyer plusieurs centaines d’ouvriers au chômage.

Le constat est que les oligarques visés dans les sanctions de l’Occident sont des patrons d’entreprises importantes tant en termes d’effectif de leurs employés que par leur poids dans le produit intérieur brut du pays. Comme cela se fait aux sociétés industrielles qui mettent l’intérêt collectif au premier plan, les mesures coercitives devraient pénaliser les propriétaires sans toucher à leurs entreprises elles-mêmes que l’État est censé éventuellement contrôler. Oui, l’État devra monitorer les opérations de telles entreprises qui ne doivent pas s’immiscer dans des activités louches. Mais non, on ne devrait guère cesser leur fonctionnement au détriment de la collectivité.

Les manèges génocidaires subreptices de l’Occident se font percevoir graduellement. Ces hypocrites de la communauté internationale sont dans la cuisine de toutes les initiatives malveillantes contre cette nation. Gangstérisme, insécurité, conditions économiques asphyxiantes, hausse vertigineuse du prix du carburant ; ils ont tout manigancé pour mettre la population à genoux afin que celle-ci sollicite son appui militaire.  Les États-Unis n’avaient-ils pas suffisamment d’informations et de provisions pour empêcher cette prolifération du banditisme musclé en Haïti au cours des dernières années ?

La communauté internationale s’évertue à faire d’Haïti un indigent gémissant dans la géhenne afin qu’elle se fasse passer pour un bon samaritain. Il est perceptible que dans un horizon proche l’Occident ambitionne de s’établir comme le pourvoyeur exclusif apte à offrir une goutte d’eau à Haïti afin d’étancher la soif de cette population en passe d’exhaler son dernier souffle dans l’ignominie. Manœuvre du bourreau qui veut qu’on le prenne pour le sauveur.

Dans un premier temps, l’Occident pourri a procédé à une démarche moraliste en faisant la leçon à ses anciens collaborateurs leaders-dealers politiques. Martelly, Lamothe, Céant, Lambert, Foucand, Latortue en ont fait les frais. Dans un second temps, ce sont les contrebandiers économiques – consuls honoraires propriétaires du rejeton économique du pays – qui sont la cible du tsunami transnational. On sent que l’Occident entend arracher dans la mâchoire de la république ses molaires et ses canines pour le rendre « mazora ».

On a perçu dans ce nouveau mécanisme déployé par le laboratoire occidental une alternative qui indiquerait que la seule option salvatrice pour qu’Haïti empêche sa mort physique préméditée serait d’accepter la mort de l’âme en accueillant sur tapis rouge les bottes sauvages de l’ONU. Sans mémoire et sans respect envers les victimes de la pédophilie, de la sodomie et du choléra, les masterminds des casques bleus qui avaient saboté notre Bleu et Rouge manigancent d’octroyer carte blanche pour une nouvelle aventure de tourisme sexuel et d’exploitation minière. Qu’il n’en soit pas ainsi !

 

On ne jette pas le bébé avec l'eau du bain

Sanctions et confiscations financières transnationales d’une part, puis projet cruel de contraction économique d’autre part ; les drastiques mesures diligentées par le Canada et les États-Unis pour censurer d’un coup tous les contrebandiers politiques et économiques viseraient à immobiliser la vie en Haïti. La résilience de ce peuple à ne pas succomber à la pénurie et à l’insécurité extrême parrainée par la communauté internationale inspire d’autres stratégies plus macabres des revanchards et des flibustiers qui convoitent d’exploiter les ressources de cette terre prospère aux dotations initiales rarissimes.

Aujourd’hui, ce sont des poids lourds du système économique et financier du pays qui se trouvent dans l’œil du cyclone d’une communauté internationale corrompue qui se vendrait en moraliste. Le véritable objectif de ce jeu vise-t-il la résurrection ou l’éviction d’Haïti ? On sait que même au cas où certaines racines seraient pourries, on ne saurait les arracher d’un jardin, car on aurait encouru le risque de déraciner les mauvais comme les bons arbres. Ce raisonnement est valable pour le système canadien, français ou étatsunien qui tolèrent sous le tapis des entreprises qui auraient même des liens avec la mafia.  Qu’il soit les assurances, les marchés financiers ou le secteur pharmaceutique, le système occidental est au courant qu’il y a de gros poissons, pour corrompus qu’ils seraient, que l’on ne saurait retirer du bassin. Sinon, la chute serait intégrale.

De manière voilée ou dévoilée, les systèmes cherchent toujours un modus vivendi avec certains riches corrompus ou tout au moins en laissant fonctionner leurs entreprises. On ne bloque ni ne détruit les grandes compagnies de manière spontanée même s’il se révèle qu’elles violent certaines normes. Ceci engendrerait des déséquilibres drastiques sur tous les tronçons du marché dont particulièrement celui de l’emploi qui est très sensible à la dépression.

Fort souvent, l’Occident pose la patte sur les dealers qui évoluent dans son système pour les incarcérer. Comme à la chute de la production hollywoodienne « Catch Me if You Can », le gouvernement peut même solliciter l’expertise d’un fraudeur de la prison étant. Les propriétaires des plus grandes firmes font certaines fois objet de scandales qui entraînent des démêlés avec la justice. Ils ne sont pas exempts des mesures les plus sévères. Cependant, jamais on n’aura entendu que l’on a drastiquement fermé leurs entreprises et mettre à pied leurs employés.

 

L’invasion militaire : La pillule difficile à avaler

C’est depuis de nombreux mois que les discours précurseurs du représentant de l’OEA, Luis Almagro, nous mettaient la puce à l’oreille quant à l’objectif condescendant d’imposer les bottes étrangères à Haïti. Alors que le refus social est patent, une pléiade de plénipotentiaires tels que M. Joly, S. Carrière, P. White, A. Blinken, corroboraient les propos du représentant de l’OEA en percevant l’intervention militaire comme la planche de salut pour sortir Haïti du carcan de l’insécurité et de la crise humanitaire.

Puisque la société haïtienne s’est mise en croix contre ce projet d’ingérence tout en suggérant de préférence d’encadrer techniquement et matériellement la Police nationale du pays, le laboratoire de l’Occident met en œuvre des stratagèmes pour casser la résilience populaire en espérant de changer l’opinion publique à son avantage, celui d’accepter une invasion militaire. Pourtant, ceci rappelle des expériences très amères qui ont laissé dans les cœurs et les esprits des plaies non cicatrisées.

Contrairement aux yeux naïfs qui y perçoivent un intérêt pour Haïti, cette dernière carte de sanctions et confiscations contre des acteurs économiques importants participent également de ce projet macabre. Ce n’est pas en censurant les oligarques et potentiellement leurs entreprises qu’Haïti va emprunter la trajectoire de la stabilité et du développement. Au contraire, sans une approche intelligente dans le souci de protéger la collectivité, les mesures peuvent faire très mal à la société.

De la même façon qu’il existe des compagnies vitales et donc fragiles dans les systèmes industriels, au sein des pays appauvris il en existe également. Le paradigme du « Too Big to Fail » voudrait que l’autorité publique soit proactive en appliquant des mesures de sauvegarde de certaines entreprises, peu importe leurs propriétaires afin d’éviter éventuellement le collapsus de tout un secteur.

 

Carly Dollin

carlydollin@gmail.com

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