« Le carnaval haïtien fait ses adieux à la reine-danseuse Ti Simone » des années 1960

Dans notre article sur » le carnaval sur la mer » déjà paru dans un quotidien de la capitale d’Haïti, nous avons exprimé l’angoisse des fans de leur castration de l’ambiance du carnaval. Les perturbations politiques auraient vraisemblablement participé au blocage ou à la déliquescence dans l’organisation du carnaval traditionnel. Mais, il convient surtout de faire état de la promotion de la culture dans une ambiance asséchée et à déficit de créativité.

Le carnaval haïtien a cristallisé nos traditions, nos tares, notre histoire voire campé des mythes et des légendes. Le mythe du « Kanaval sou lanmè « reste encore vivant à travers diverses générations pour apaiser le gout du plaisir malgré le rituel de fin de cet évènement, après la cérémonie du « Boule Madigra « (Mirville,1978) quand quelques échantillons de matériaux, symboles et masques qui symbolisent le carnaval vont être calcinés pour faire du deuil. Dans l’imaginaire, il s’agit de la continuation du carnaval le lendemain du mardi gras. Toutefois, c’est au prix de la banalisation des traditions, des us, coutumes et pratiques culturelles que l’on fait des adieux à « Ti Simone » dans le carnaval haïtien.

De la même façon qu’on peut perdre confiance au mythe pour écourter sa pertinence dans le temps, une légende peut aussi être effritée. Ainsi, eut-il été renversé la légende que représenta « Ti Simone » (Haitian Times, 2005), une reine-danseuse associée au char de Webert Sicot au début des années 1960.

« Ti Simone », de son nom d’artiste, fut une jeune fille de quartier populaire, de petite taille. Ce qui lui a valu ce dimunitif comme sobriquet , témoignant en même temps  de l’affectivité dans un sens populaire .En effet, c’est dévoyer la reine-danseuse populaire « Ti Simone « quand elle tend à être apparentée à de nouveaux personnages associés   à l’abêtissement .C’était une jeune de la vingtaine qui dansait certes de façon indécente  sur les chars dans les années 1965, mais ne s’exhibait jamais dans la vulgarité éhontée pour s’éloigner de l’artistique ni de l’esthétique huilé dans les référents folkloriques . L’émergence de reines de quartiers populaires est une conquête de la lutte anti-occupation du peuple haïtien face à l’apartheid existant au carnaval dédié à des groupes privilégiés spécifiques a rapporté Corvington cité par Pierre (2016) . « Ti Simone », la reine-danseuse a eu le grand mérite d’animer le défilé dans ses tours de hanches qui rappellent les danses de banda de notre folklore. Ce sont aussi ces mouvements qu’exécutent les « gede » lors de la fête des morts ritualisée dans le vodou haïtien.

Après avoir chahuté les femmes, les dénigrer et les rabaisser dans les faits et gestes de la vie quotidienne, dans la musique, entre autres, il ne reste qu’à les sonner le glas en considérant leur corps comme des caisses à résonnance de la souillure et de l’avilissement sexiste. Ce qui ne prétend nullement à « puritaniser » le carnaval qui est en fait une forme de débauche à couvert de traditions culturelles ancrées. La reine-danseuse « Ti Simone « est devenue une légende banalisée contre le prix de diatribes et de déshonneur.

« Ti Simone » est le symbole sacrifié dans la tourmente des représentations négatives du corps de la femme. On se rappelle le personnage de Madame Bruno dans les défilés avec ses fesses redondantes (gwo bouda) qui porte un homme sur le dos. Ce, pour se débarrasser discrètement d’un homme succombé dans ses ébats sexuels démesurés. D’où le refrain « Kay madan Bruno , fanm pote gason sou do «  qui sert aussi de traduction de ce dernier passage relaté en créole concernant le personnage de Madame Bruno.

Les meringues sont teintées de sexisme dans leur contenu où l’image de la femme est fanée dans ses représentations du corps. Des détours de mots utilisés alimentent quelques dérives dans la grivoiserie grossière et éhontée, en s’écartant des cadences de l’art de bien dire. En voilà un exemple de dextérité dans la composition d’un des refrains carnavalesques de l’Ensemble Select de Coupé Cloué des années 1980, à savoir : « way manman li jou, li lè pou n al fè adisyon, li lè pou n al fè divizyon, qui ont pour but de réunir tous les nombres », (Il est temps pour les calculs d’addition aussi bien que pour la division), ce , pour traduire les refrains,  soit une manière habile pour se déballer des obscénités crues, criantes et ronflantes. En effet, le mot « nombre » a l’air du mot créole « nonm » pour dire partenaire sexuel. Donc, plusieurs « nombres », c’est pour se référer à « nonm »qui  aurait glissé l’image d’une femme qui réunit à la fois plusieurs partenaires. Ce qui serait dévoyé dans la société au regard de la morale dominante qui criminalise l’infidélité de la femme dans l’adultère.

Le carnaval n’écarte pas l’homme comme une cible, mais par l’éloge positive de son corps et de son sexe. Par exemple, lorsque le groupe « Les Ambassadeurs » disent dans sa meringue «  gade gwosè yon bobin, soit la bobine imposante « qui est dénaturé en évoquant de préférence l’énorme grosseur du pénis.

Pour revenir au dénigrement de la femme dans le carnaval du point de vue sexiste, nous nous referons à nouveau à un autre fragment de meringue carnavalesque, celui du groupe Scorpio Universel : »Chalè monte li touye sèt bann madigra.. » pour dire  que la forte chaleur , l’animation ou l’extase dans le carnaval peut neutraliser jusqu’à sept bandes carnavalesques. Ce refrain est autrement entonné pour discriminer le sexe féminin dans des caricatures bancales, associant sexe de la femme et extermination. Il a été donc évoqué la dangerosité, l’infériorité du sexe féminin et sa portée de malheur. 

Les exemples ne manquent pas dont la séquence suivante : » Se Sizèt ki monte môn Marinèt « , à savoir une femme du nom de Suzette qui est allée dans le quartier de Bel Air dénommé Morne Marinette et pour rimer on fait appel au clitoris et par son équivalent créole pour fustiger encore la femme dans des notes déconcertantes et obscènes jusqu’à comparer la partie du corps  liée au  sexe féminin à une égoïne.

Nous clôturons provisoirement cette épisode avec les refrains « Anita, oh, oh, oh.. », On s’imagine quelle déformation sujette à ces refrains , en faisant vous-même preuve de créativité ! Tout cela tient lieu à introduire la légende souillée de la reine-danseuse « Ti Simone » qui est basculée dans la banalité des pratiques folkloriques détournées à des fins de marchandisation au nom de la promotion de l’atteinte à la pudeur en lieu et place de la promotion de l’artistique et de l’esthétique.

« Ti Simone » a migré aux États Unis pour revenir se performer au Carnaval des Fleurs des années 1970.Nous n’avons aucun signe de ce personnage alors mythique sinon dans la souillure de ce symbole quand l’étiquetage de « Ti Simone » est devenu plutôt une offense. Il y a lieu de restituer, au nom de l’éthique, la légende de la reine -danseuse du char de Cadence Rampas du grand Maestro Webert Sicot, dans ses représentations de la danse banda et des tours de hanches qui ont électrisé le public du carnaval d’antan.

 

Hancy PIERRE

Professeur à l’Université

 

 

Références bibliographiques

Haitian Times, « Obscénités et vulgarités dans la culture haïtienne (2emme partie) », 2 mai 2005 (en ligne), consulte le 17 février 2023.

Ernst Mirville, Considérations ethnopsychanalytiques sur le carnaval haïtien, Collection Coucouille, Imp.Fardin, Port-au-Prince 1980.

Hancy Pierre, « Pratiques loisirs chez les jeunes dans l’aire métropolitaine de Port-au-Prince après 1986 : entre contrôle social et contestation » in Cahiers du CEPODE no6, Edition du CEPODE, Port-au-Prince 2016.

Hancy Pierre, « Le carnaval haïtien :Entre aliénation et libération politique », In Le Nouvelliste, Port-au-Prince, 28 février 2019.

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