« La petite veste de galerie de papa » de Sixto, symptomatique d’une société en porte-à-faux à elle-même

L’inquiétude semée au cœur du lendemain ne doit pas nous désarmer, nous amener à ne pas réfléchir sur notre condition de peuple sorti tout droit d’un système esclavagiste d’oppression. Au contraire, il demeure plus que nécessaire d’établir un rapport fécond au passé afin de mieux comprendre le présent et d’interroger l’avenir. Renouer avec le passé ne constitue pas nécessairement un acte posé dans un rôle purement narcissique, se mirer jusqu’à ne noyer comme l’eut autrefois réalisé le mythique Narcisse. Le présent projet se situe dans ce rôle : interroger quelques séquelles travaillant la société haïtienne d’aujourd’hui afin de relever de quelle manière, elles paraissent symptomatiques d’une société en crise permanente et malade. « La petite veste de galerie de papa » de Maurice Sixto fonde la base primordiale de notre analyse.

« La petite veste... » est l’une des audiences de Sixto et l’écouter attentivement peut nous renseigner l’attitude hypocrite d’une frange notable de la société haïtienne en porte-à-faux à son identité de peuple. Le prisme religieux constitue le fondement d’analyse du présent texte. En effet, le maître, avocat de son état, reçoit des invités ou connaissances sur la grande galerie de sa maison où il prend toujours de l’air après le repas. Il intervient brusquement dans un débat sur le vaudou mené par quelques locuteurs. Le « cher maître » entre de plain-pied, au pas de charge, et cloue sans appel, d’une manière péremptoire, le vaudou haïtien. Mais un fait rapporté par le narrateur le contredit crânement. Il est interrompu par une petite domestique, portrait craché de la misère sociale et économique. L’avocat, dans une chambre réservée aux dieux du vaudou qu’il abhorre, vient de vouer aux gémonies, organisait son propre culte! Et le récit de poursuivre sur les dégâts occasionnés par le tumulte dans la petite chambre.

Une petite référence à l’essai « Peau Noire, Masques blancs » de Fanon nous renseigne sur l’attitude du colonisé ou de l’ancien colonisé. Le colonisé vit en lui un drame dont il ne peut plus s’extraire, alors il se donne à voir à travers le regard du maître dont il cherche toujours à ressembler afin de se démarquer lamentablement de ses origines et de son identité. Jean-Price Mars dans « La vocation de l’élite » a condamné cette attitude en dénonçant le« boravysme collectif » de l’élite.

Relevons d’une part, cette symptomatique de l’avocat qui le situe en porte-à-faux à sa foi première (il est vaudouissant dans l’âme, il a une chambre chez lui où il organise son culte aux loas Papa Guédé, Ogou, Papa Damballah, d’après le texte), alors que la perception qu’il veut faire passer dans son discours c’est qu’il demeure un grand chrétien, parfait pour le paradis. Vrai, il faut porter des masques en ces temps durs du confinement, mais il faut par ailleurs mettre bas les masques de l’hypocrisie sociale.

D’autre part, constatons ce misérabilisme dans lequel sont tenus les enfants en domesticité en Haïti. D’après le texte de Sixto, la petite en domesticité est mal vêtue, sale, etc. Alors que le « maître » prend le grand air en veste, en petite veste de galerie. Ce second prisme du texte répond du dichotomique qui traverse cette audience de Sixto. Dans une première dichotomie, l’opposition : vaudou / christianisme et dans une seconde : l’opulence du « maître » (veste, dodeline, maison en location, etc.) / par rapport au misérabilisme de l’enfant en domesticité (habits en guenille et sales, pieds nus, rhume coulant, etc.)

Cette audience » de Sixto révèle les symptômes d’une société en porte-à-faux à elle-même, d’un système social dont les fondamentaux doivent être redéfinis pour sortir finalement de l’attitude coupable du colonisé qui, au lieu de dépasser ce stade, se complaît à reproduire l’ancien colon.

« La petite veste de Galerie de Papa » est l’une des audiences de Sixto, mise en voix par l’auteur-éponyme à la fin du 20e siècle. Le texte audio fait moins de dix minutes (six minutes et trois secondes exactement). Il est raconté majoritairement en créole (5 minutes 23 secondes), mais la partie où intervient l’avocat est en langue française (40 secondes). Un choix évident du narrateur qui veut mieux porter les auditeurs à saisir le message et à y réfléchir au lieu de s’intéresser à la harangue de l’avocat en porte-à-faux à lui-même.

 

James Stanley Jean-Simon

Poète, Nouvelliste et critique littéraire

E-MAIL : jeansimonjames@gmail.com

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