Henry Christophe: le monarque écartelé

(1ère partie)

 

 

            Brief Notice on Haiti de l'écrivain anglais John Candler, entre autres ouvrages sur l'histoire d'Haïti, éveilla sans doute l'intérêt chez Jean-Hérold Pérard face au traitement fait par des historiens à Henry Christophe, personnage tellement récusé par on ne sait combien de générations qui avaient reçu depuis les bancs de l'école, les pupitres et les tribunes le grand récit de la croisée d'un Christophe tyran sanguinaire contre un Christophe qui, aux yeux de zélateurs fanatiques, ne l'était pas. Les discours, pratiques et réalisations du monarque visionnaire doublé d'un bâtisseur de monuments historiques et esthétiques poussèrent l'ancien directeur de l'ISPAN, dans son ouvrage « Henry Christophe: un grand méconnu », à construire  ainsi sa problématique: Christophe fut-il un despote ou un homme d'État de génie?            Cet épisode de la Révolution haïtienne détermina l'Ingénieur Pérard à voir avec clarté qu'un passé duquel nous coupa abruptement le premier coup d'État sanglant de notre histoire fomenté par le général Pétion contre Dessalines, se convertissait en un temps digne d'être décodé, un passé qu'il était nécessaire de remuer parce que quelques clés pouvaient y être enfouies pour une juste compréhension du présent et ses misères.

Après des années à approfondir son sujet, suite à la publication de La Citadelle Restaurée (2010) et Le Palais Sans-Souci: entre Emerveillement et Appréhension, (2015), Pérard décida d'écrire une sorte de biographie complète de Henry Christophe (1767-1820). Le résultat fut - selon l'expression de l'auteur - «qu'il n'est pas approprié de jauger Henry Christophe à l'aune des droits de la personne tels que nous les promouvons aujourd'hui ni à celle des exigences démocratiques contemporaines». Avec son nouveau travail qui s'insère dans la thématique générale de l'ancien royaume du nord, le biographe parvient, sur la base d'une documentation solide, à relater la vie entière ou presque du  personnage, en prêtant une attention spéciale à sa jeunesse, quoique brièvement, à son occupation à son arrivée à l'île de Saint-Domingue (par quelle fatalité!) à sa famille (sans qu'il y soit fait mention de sa mère), à ses relations, ses penchants et ses goûts, son caractère, l'emploi de son temps, les milieux de sociabilité dans lesquels il se mouvait, les entreprises auxquelles il participait, sa militance dans le corps des chasseurs volontaires des colons, puis dans l'armée indigène, son ascension, son arrivée au pouvoir, son administration, son couronnement, les enchevêtrements politiques dans lesquels il bougeait, sa politique musclée face aux ennemis de tous bords, et la sédition d'une partie de la population, suivie de celle de sa flotte à laquelle il fit finalement face, à la suite de son AVC. Tout cela a reçu dans ce livre une nouvelle lumière projetée grâce à une documentation à peu près exhaustive réunie dans la préparation de cette édition.

            Henry Christophe a laissé derrière soi des jugements qu'il ne s'épargnerait même pas, mais qui, confrontés aux contextes  situationnels et politiques d'alors, portent le lecteur à revoir les idées reçues jusqu'à leur lente,  épisodique et permanente récupération. Premièrement par la correction que lui infligeait son père, en l'envoyant en mer comme garçon de cabine lorsqu'il n'était qu'un adolescent, turbulent; une pratique plutôt courante à l'époque comme pour mater les fortes têtes. Puis, en le laissant aux bons soins de son grand-père qui, pour le dresser et le dompter pour de bon, le confia à un capitaine de bâtiment qui faisait le trajet Angleterre-Saint-Domingue en passant par la Grenade.

            Deuxièmement par les déterminations externes retenues par Alexis de Tocqueville, cité par Laennec Hurbon dans Comprendre Haïti, au sujet des atrocités et les vices vécus intérieurement par «les Noirs et les Indiens par le biais de l'esclavage et la colonisation».

            Troisièmement par les lois de la Psychosociologie avancées par le Docteur Jean Price Mars lorsqu'il écrivit un siècle après le suicide du monarque, «l'une des conséquences les moins imprévisibles des horreurs de l'esclavage fut d'inspirer à ceux qui venaient de s'en libérer par les atrocités de la guerre, une répulsion caractérisée de l'ouvrage manuel». Ce qui fut une pratique à outrance de l'administration de l'homme du nord.

            Alors que commence l'année de commémoration de la célébration du bicentenaire (1820-2020) du peu commun, intelligent et vaillant guerrier que fut Christophe, il est possible de fouiller un peu plus la vraie vie de cet homme qui venait d'arriver à l'île de Saint-Domingue (le Cap-Français) et suivre son parcours jusqu'au jour depuis fatidique, le 8 août 1820. S'ils furent légions les anciens esclaves parvenus aux commandes qui ne méconnurent pas la loi vitale de la Psychosociologie, nul comme Henry Christophe parvenu à la magistrature suprême de l'État n'exprima avec une égale hauteur l'idéal de grandeur « d'Hayti » en maintenant une discipline de caserne de la présidence à la royauté,  jusqu'à la révolte de la population, puis la désertion des membres de sa flotte, son impotence aidant, pour avoir calqué la méthode du colon, à savoir: le long rapport de manque d'humanité entre les maîtres blancs et la masse des esclaves noirs. Si bien que dans la pratique de son gouvernement - en matière d'efficacité - Henry 1er entendait que les règles monarchiques soient strictement personnelles d'où l'inscription  « Je vois tout et tout voit par moi » ornant le frontispice de son palais. Outre ceci, les leçons de mœurs données par le monarque tant aux noirs qu'à des blancs restés dans l'île, protégés qu'ils furent par Dessalines (grâce en grande partie à la souplesse de Claire-Heureuse sa femme) et  qui accédaient à la cour du Roi Christophe lors des réceptions, par exemple, étaient difficiles à répéter au point qu'elles devenaient mortellement ennuyeuses. Plus paradoxal encore est le fait que Christophe, dans le Nord, n'avait pas réalisé qu'il mécontentait «tout ce beau monde», pendant que le général Alexandre Pétion, mulâtre, flattait les bas instincts du peuple pour mieux le  mystifier, après s'être offert la présidence dans la partie ouest du pays.

 

 

À suivre

 

    Jean-Rénald Viélot

 

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