Caroline, Caroline……!

Deux ans plus tôt, j’avais pris le soin de publier une sélection de prénoms féminins répertoriés dans la musique haïtienne. De A à Z,  ces filles et ces femmes sont célébrées dans tous les styles et des tendances, tout en continuant d’influencer les choix de nombreux parents à la naissance de leurs filles. À la découverte de l’héritage des Carolines dans la musique haïtienne !  

Dans le cadre des hommages posthumes adressés à l’occasion du décès du célèbre chanteur Jean Michel Saint-Victor, dit Zouzou, j’allais m’inscrire dans cette démarche, à travers un article qui porte le  titre suivant : « Caroline a perdu sa voix, Zouzoul ne pourra plus chanter !”.  Et voilà que le cinéaste est venu m’offrir en cadeau l’idée originale de présenter les différentes adaptations du personnage de Caroline dans la musique haïtienne. 

Durant les dernières décennies, Caroline a occupé une place importante sur les ondes des médias traditionnels en Haïti. Qui ne se souvient pas de l’interprétation en français du rappeur MC Solaar, qui exprimait toutes ses émotions et sa déception envers Caroline ? Autant dans la musique haïtienne, les talents de chez nous ne sont pas restés insensibles tant aux charmes de cette femme inconnue, mais bien connue qui fait couleur tant de lyriques et de larmes ! 

Dans le Rap haïtien, elles sont deux formations musicales à célébrer ce prénom. Black Leaders et Born Haitian. Le groupe Born Haitian pour sa part, s’est inscrit dans les registres de Caroline, avec les paroles suivantes : « Son fanm ki djanm, ki bèl e ki anfom. Bon Dje fèm konpran lanmou m se vi ou Caroline ». À travers cette composition, appuyée par une vidéo qui imite dans certains angles les décors scéniques et les chorégraphies du groupe Boyz II Men, les membres de cette formation n’ont pas pu faire recette malheureusement en termes de popularité. 

Dans une autre création signée par Black Leaders, tirée de  l’album « Tout mon jwen », contrairement au précédent groupe ou des hommes se mettent en chœur pour exhiber leurs pleurs, face au  départ, sous le poids de  la trahison et de la séparation causées par Caroline, l’alternance progressive du dialogue et des complaintes d’amour se poursuit, en créole et en anglais.

Définitivement, on observe une certaine similitude ou monotonie dans l’adaptation des compositions qui valorisent ce prénom féminin dans le Rap haïtien. Pas trop d’innovation dans les approches et les complaintes. Tous ces hommes pleurent Caroline, cette femme qui portent autant dualité, de qualités et des défauts, en particulier dans l’art de briser les cœurs. 

Dans une autre approche plus folklorique que dramatique,  avec moins de déboires et de complaintes, la chanteuse Jocelyne Dorismé, à travers l’album « Yon chans », se propose de faire voir autrement ce personnage. Elle emprunte les couleurs du Troubadour, pour inviter son public à découvrir : « Caroline A Kao », et à « Danse kongo jouktan kòm fèm mal. », tout en rappelant que : « Nèg nwè ti zòrèy anraje. ».

Difficile de célébrer Caroline, dans la musique haïtienne sans s’accrocher à ce duo qui propose un dialogue d’amour et d’adieu à travers une somme poétique et dramatique. Tellement touchante, cette musique qui a bercé cette génération, à travers les voix de Raymond Cajuste et Dionne Lamothe.

« Demen swa ou pral marye », rappelle cet homme orphelin de son amour, qui réplique avec affirmation : « Mwen imajine w ap kriye ». Tous les deux, en chœur, ils s’accusent mutuellement : « Se fòt ou, se fòt mwen, ki fe sa rive ». 

Dramatique et romantique n’est-ce pas, cette chanson pleine de charme et qui met les plus sensibles mélomanes en larmes ? Cette composition offre une qualité incomparable en terme de scénario, d’imagination, de message, de poésie  et d’amertume, dans ce dialogue sincère et cette soif d’amour.

Dans cette mise en scène, ces deux  amoureux malheureux font ainsi leur adieu, tout en nourrissant l’espoir viril de se revoir, autant pour le meilleur que pour le pire.  « Poukisa mwen tris konsa, mwen santi ou lwem jodia. Mwen vle wè zye w ankò, avan ou pati.", "Eske se vre w kitem, pou youn ki pa renmen w. Eskew abandone m konsa”. 

Dionne Lamothe persiste et signe : « Pou kisa mwen te rankontrew. Ou pa te dwe janm ekzite, ou pat dwe chèche zyem, ni telefòn w. Mwen eseye bliyew, men sa pa mache. Se kèm ap kenbe. Mwen toujou renmenw ». 

Derrière cette composition magistrale et inèdite, pour ne pas dire incomparable, qui porte le souffle de Raymond Cajuste, ce lead vocal de Bossa Combo, le répertoire de la musique haïtienne dispose certainement d’une perle rare, pour faire le deuil des anciens amours avant le mariage.

Dans le paysage des Caroline en chanson, le groupe musical Skah  Shah, bien avant s’était inscrit dans cette dynamique poétique et dramatique, en soumettant à travers notre appréciation les vers et les souhaits suivants : « Je veux chanter pour toi, je veux chanter pour toi, Caroline, Caroline… ».

De nombreuses autres formations musicales anciennes et contemporaines dans l’industrie de la musique haïtienne, comme Ju Kann, parmi d’autres, continuent d’interpréter cette pièce immortelle de Jean Michel Saint-Victor (Zouzoul), tirée de l’album « América. “.

Des paroles qui  décrivent tout le décor, appuyé par un doux solo avec le saxophone de Loubert Chancy, le chanteur vedette déploie ses complaintes envers Caroline. Celle qui fait souffrir tant d’hommes, et dont l’absence impose le décor suivant : ‘Le ciel est triste et sombre depuis que t’en est allée mon amour. Il a perdu son bleu, et celui que nous avions tant aimé. À penser, il semble que si tu ne rends pas, au jour le jour je ne vivrai que pour verser des larmes…”.  ‘Je veux chanter pour toi...". Plus de trois tendances de la musique haïtienne portent les cris contre Caroline. 

Dans le Rap avec Black Leaders et Born Haitian, à travers le Compas Direct avec le Skah Shah, en dehors du Troubadour avec Jocelyne Dorismé, et le duo soigneusement réussi par Raymond Cajuste et Dionne Lamothe, elle est bien présente et aimante cette femme, comme partout ailleurs, dans plusieurs langues, en français, anglais, espagnol et créole. 

De nombreux parents en Haïti comme à l’extérieur du pays, se sont certainement inspirés avant et après l’apparition de ces compositions, jusqu’à l’inscrire dans l’acte de naissance de leurs filles.  Combien de Caroline compte-t-on durant les générations des années 60 à 2000 ? Quels sont les points communs entre les  Caroline, issues des différentes classes sociales et générations ? Et pourquoi la majorité des créations musicales haïtiennes comme dans la pièce de MC Sollar,  présentent-elles presque toutes ce personnage de la même manière, entre une beauté qui brille et un amour qui brule ?

Dans l’attente de la prochaine composition qui mettra en valeur ce prénom célèbre Caroline, je vous invite à le chanter, à le danser et à le célébrer en chœur, entre le bonheur ou dans la douleur,  dans l’espace-temps de quelques carreaux. Pour mieux découvrir les multiples facettes émotionnelles, ou l’essentiel des valeurs qui sont associées à chaque Caroline.

 

Dominique Domerçant

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

0 COMMENTAIRES