Mon amour, mon geôlier

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Acte VII

Lentement, Judy se recroqueville un peu plus et serre la couverture fleurie en coton autour de son corps. Doucement, elle ouvre les yeux pour ensuite les refermer rapidement. Un beau soleil entre à travers la fenêtre que Gail vient d’ouvrir. En silence, il la regarde. Elle est à la fois redoutable et adorable avec son regard meurtrier.

-Moi qui avais peur que vous ne vous en sortiez pas, lâche-t-il d’un ton amusé.

Judy lui tourne le dos et ne répond pas. Jamais plus elle ne lui adresserait la parole. D’ailleurs, elle n’est pas censée être si proche de lui. Il l’avait enlevée, elle a dû sans doute l’oublier.

-Vous voyez que ce n’est pas si sorcier? Quand on veut, on peut.

Lorsqu’elle sent Gail prendre place à côté d’elle, elle sent sa résolution défaillir. Mais, elle doit se dominer. C’est vrai qu’il l’avait emmenée ici contre son gré, mais, ne l’a-t-il jamais traitée comme une captive? Gail est un homme merveilleux, tendre et gentil. Au silence qui a suivi ses paroles, il comprend certainement que la réalité a été pire que ce qu’il a pu s’imaginer. À la voir ainsi pliée sur elle-même, si petite et si fragile, il n’a pas besoin de détails pour connaître la lutte acharnée qu’elle a menée cette nuit. Pourtant, tout ce qu’il voulait c’était l’aider. Et là, maintenant, tout ce dont il a envie, c’est de la prendre dans ses bras pour la réconforter. Lentement, il lève sa main, mais avant même qu’il ne la touche, se ravise. Elle est un peu paniquée. Vaut mieux la laisser tranquille. Certainement qu’elle ne parviendrait pas en une nuit à anéantir tous ses cauchemars. Elle a besoin de temps. Et, il l’avait un peu secouée cette nuit en la mettant face à elle-même. Il ne peut qu’être désolé.

-Je vous ai préparé une tisane de couronnes de moines, elle est excellente contre les chevilles enflées. Mais, vous devriez boire ça pendant qu’elle est encore chaude, lui fait-il savoir avant de se lever.

Lorsque Judy se retourne, il n’eut plus que le dos de son visiteur, qu’elle voit franchir la porte. Elle se lève et s’assoit au bord du lit. Elle s’étire paresseusement en contemplant son pied. L’un se retrouve être plus gros que l’autre. Et, le plus gros lui fait mal. Même trop mal.

Judy se penche avec précaution, afin de prendre, sans se faire trop de mal, la tasse qui se trouve sur la table basse. Ce faisant, elle en prend une longue gorgée qui lui brûle délicieusement la gorge. D’un air distrait, elle vide le contenu. C’est alors que ses pensées vont vers Rose. Rose sur laquelle elle avait posé les yeux depuis hier matin. Où peut-elle bien être?

-Oh! Pauvre Rose, murmure-t-elle. Elle va penser que je l’ai abandonné.

***

Resserrant les pans de sa robe de chambre, pour se protéger de la fraîcheur matinale, Judy met ses pantoufles pour se diriger en direction de la salle à manger. Mais, ce n’était pas pour se retrouver face à cet homme. Elle sursaute et retourne sur ses pas à cloche-pied.

-Vous avez un problème? demande-t-il. Vous êtes censée rester au lit. Que faites-vous debout?

-Je cherche ma chatte, répond seulement Judy.

-Vous avez une chatte ici?

-Oui, Rose, déclare-t-elle soudain anxieuse.

Gail semble s’amuser de sa réponse. Il sourit avant de lui dire :

-Si Rose est votre chatte, comment expliquez-vous qu’elle soit dans mon lit, et pas dans le vôtre?

Judy faillit s’étrangler d’émotion.

-Qu… quoi? Jamais, elle ne ferait une chose pareille, elle déteste les étrangers.

-Venez, lui dit-il en lui faisant signe de la main. Vous avez bien dit étranger, peut-être qu’elle ne me considère pas comme tel.

-Ne vous prenez pas la tête, commence Judy calmement. C’est juste qu’elle se sente seule et cherche un peu de compagnie.

Un moment, Judy s’arrête et réfléchit à ce qu’elle dit. Autant qu’elle s’en souvienne, Rose a toujours été seule et n’a jamais voulu être l’amie de Chloé, l’adorable petite voisine de dix ans qui habite à quelques mètres d’elle. Pourquoi ce changement d’attitude? Rose, se serait-elle éprise de cet homme? Alors pourquoi cet homme insinue-t-il qu’elle a passé la nuit avec lui? Non, ça elle doit le voir de ses propres yeux.

-Où est votre chambre? demande Judy avec une pointe de sérieux.

-Non, si c’est pour réveiller mademoiselle, là non, je suis navré! enjoint Gail aussi sérieusement que Judy.

-Non, je veux juste constater ce que vous avancez, ajoute-t-elle.

-C’est par là, fait-il avec un signe de la tête. Deuxième porte à gauche.

Non sans difficulté, Judy gagne la chambre qui n’était pourtant qu’à quelques pas. À peine qu’elle a tourné le poignet et ouvert la porte, elle était vraiment étonnée de voir Rose étendue toute blanche sur le grand lit. Sans plus un mot, elle s’apprête à retourner sur ses pas. Et là, il l’arrête :

-Êtes-vous toujours fâchée contre moi? demande-t-il doucement.

Tout à coup ses yeux sont devenus sombres. Elle le regarde longuement avant de lui répondre :

-Non, je ne suis pas fâchée contre vous…

Gail lui sourit alors. Un sourire d’enfant heureux. Un sourire encore plus éblouissant que tout ce qu’elle n’a jamais vu jusqu’ici.

Judy lui rend son sourire et ajoute :

-Pourquoi, je serai fâchée contre vous?

Il s’approche de la jeune femme et une fois arrivée devant elle, il s’arrête et il lui prend la main.

Sous sa paume, les battements du pouls de Judy s’accélèrent. La jeune femme se fige. Prise au dépourvue par ce geste pour le moindre inattendu, elle eut tout à coup du mal à respirer.

-Vous allez bien?

-Je… euh…commence-t-elle. Oui… oui… je vais… bien. Merci!

Doucement, Gail lui prend le menton, la forçant ainsi à le regarder.

***

Judy est plus que troublée. De peur qu’il ne puisse lire dans ses pensées, elle détourne la tête. Non! Qu’est-ce qui lui arrive? Pourquoi est-ce qu’elle se sent toute chose au simple fait qu’il pose la main sur elle? Si elle ne se hâte pas de s’enfuir, elle va à coup sûr s’effondrer à ses pieds. Elle ressent une douleur subite dans la poitrine. Comment disparaître maintenant sans se trahir? Que va-t-il penser? L’idée lui paraît terrifiante.

Il vaut mieux l’affronter.

-Mais, pourquoi m’effraye-t-il autant? interroge une petite voix à l’intérieur de la jeune femme.

Lentement, elle lève les yeux vers lui. Jamais, de toute sa vie, elle n’avait encore vu un homme avec un regard aussi fascinant. La beauté de Gail Duncan est spectaculaire.

-Je vais bien, finit-elle par dire d’une voix mal assurée.

Il ferme les yeux un instant pour mieux se concentrer avant de réitérer :

-Sûre?

On dirait qu’il a du mal à croire ses oreilles.

Un instant, il eut un blanc dans la conversation où, il lève la main pour dessiner lentement de son pouce le sourcil de Judy, qui sent les battements de son cœur s’accélérer, comme si tous ses sens se concentraient sur cet endroit seul, de sa peau qu’il caresse.

C’est fou, cette sensation qu’il fait naître en elle. Elle ferme les yeux un instant, alors que les doigts de Gail maintenant s’aventurent vers son abondante chevelure. Si elle n’avait pas fermé les yeux, peut-être aurait-elle deviné ce qui allait suivre. Mais maintenant, il est trop tard. Judy aurait eu largement le temps de reculer, puisque en ouvrant les yeux, elle a lu clairement l’intention de Gail de longues secondes avant qu’il ne lui caresse la bouche d’un baiser. Pétrifiée, elle reste immobile, enivrée par le goût de ses lèvres si douces qui effleurent les siennes. Judy l’aurait imaginée avide… Mais, il est tout simplement doux… affectueux. Tendrement, il picore ses lèvres, les entrouvre doucement, les agace de mille façons. Judy ne lui a pas encore rendu son baiser, mais au rythme de son cœur qui bat à tout rompre, elle sent sa réserve l’abandonner. Et sans le vouloir, sans vraiment s’en rendre compte, elle écarte les lèvres, leurs dents s’entrechoquent, leurs lèvres s’unissent et leurs langues se cherchent dans un baiser passionné, d’une douceur infinie. Savamment, il explore sa bouche, éveillant en elle des plaisirs encore inconnus qui lui font perdre la tête.

Leur tout premier baiser…

C’est de la folie! Comment peut-elle accepter de se laisser ainsi embrasser par cet homme? Non, il faut l’arrêter.

-Juste une minute, se promet-elle. Après, elle mettra fin à cet impossible baiser, qui maintenant se fait plus long, plus intense et plus sensuel. Comment mettre fin à cette merveilleuse souffrance? Inconsciemment, elle se serre davantage contre Gail dont la chaleur la consume littéralement.

 

***

Doucement, il la soulève dans ses bras pour la mettre sur le lit recouvert d’un drap rose. Lorsqu’il la dépose, Rose effrayée bondit hors du lit. Judy, elle, ferme les yeux de sorte que ce moment ne s’achève jamais. Ses mains qui cherchent son corps sont à la fois si douces et si brûlantes que Judy ne peut s’empêcher de gémir de plaisir. À cet instant, il la fait taire d’un baiser. Un baiser qui exprime ce qu’ils ressentent tous les deux en ce moment : le besoin l’un de l’autre. Le besoin de se sentir vivant à travers la chaleur de l’autre sur sa peau.

Judy, pour sa part, ne pense plus à rien. Elle se laisse aller doucement à la tendresse de cet homme, qui a su faire naître en elle, tant de plaisir que son corps de femme ne connaît pas encore.

-Je te veux, murmure-t-il entre deux baisers.

Entourant son cou de ses bras, Judy ouvre les yeux, le regarde profondément avant de lui répondre tout écarlate de plaisir :

-Je te veux moi aussi.

-Non, tu ne peux pas le savoir, rétorque-t-il dans un sourire. Je veux que tu sois libre de m’aimer.

Stupéfaite, Judy essaie de comprendre ce que tout ça veut dire. Il roule sur le côté avant de la prendre dans ses bras. Il l’embrasse sur le front et la serre tout contre son cœur.

Jamais un homme n’a eu autant d’effet sur elle. Il faut surtout dire que jamais auparavant, elle n’a été aussi proche d’un homme. Ce n’est sans doute pas un sentiment qui a rapport avec l’amour, mais peut-être le désir. Le désir d’être à deux, enfermés dans cette maison… Cela ne peut donner que ça… Mais lui, pourquoi est-ce qu’il ne profite pas de l’occasion. C’est bizarre! Quel homme ne sauterait pas sur l’occasion de la prendre là, maintenant! Alors qu’elle est tout offerte. Palpitante.

-Je n’ai jamais ressenti cela auparavant, confesse-t-il en dessinant le sourcil de la jeune femme du bout de son pouce droit.

-Ressenti quoi? demande-t-elle plutôt déçue.

-Cette chaleur qui m’inonde quand je pose les yeux sur toi… C’est bizarre. Lorsque je te regarde, j’ai l’impression d’être hors du temps. C’est comme si, tu m’habitais longtemps, déjà…

Il s’arrête un instant, avant d’ajouter :

-Je ne sais pas pourquoi, je te raconte tout cela, mais tu dois savoir que…

-Que quoi?

-Que maintenant, tu sais…

Il a l’air d’hésiter.

-Je ne vais pas te retenir contre ta volonté.

-Tu veux dire que… que je peux partir?

Judy se redresse sur un coude pour mieux le regarder.

-Oui, dit-il en la fixant intensément comme s’il voulait être sûr que c’est bien elle, qu’il cherchait depuis la nuit des temps. Tu es libre de choisir.

Judy le regarde un moment, elle s’approche de lui pour déposer ses lèvres sur les siennes en un long baiser. On dirait qu’elle l’avait connu depuis longtemps. Et, elle se demande comment elle fait pour ressentir une telle chose? C’est comparable à une magie, cela n’a rien de rationnel. Rien qu’on puisse expliquer avec des mots. On ne peut que le ressentir, telle une douce brise dans la nuit venue de nulle part. Doucement, il met une main sur sa joue avant de lui de demander :

-Est-ce que tu veux passer la nuit avec moi?

Judy n’eut même pas le temps de répondre que Gail saute du lit. Judy le reconnaît à peine. Tout à coup, son visage est devenu crispé. Le sang de Judy, tout à coup, se glace dans ses veines.

-Qu’est-ce qui ne va pas? demande-t-elle tout doucement en essayant de cacher le tremblement de sa voix.

-Reste ici! Ne sors pas avant que je ne revienne, ordonne-t-il brusquement l’air tendu.

-J’ai fait quelque chose?

-Fais ce que je te demande et tout se passera bien.

Judy, surprise par ce brusque changement d’attitude, le regarde perplexe, les yeux chargés de questions. Leurs yeux se rencontrent un instant, et tout à coup le visage de l’homme devient blême. Une soudaine contrariété se lit sur son visage.

-Rassure-toi, cela n’a rien à voir avec toi, dit-il en passant avec délicatesse une main dans les cheveux de la jeune femme. Mais, tu dois obéir et faire ce que je t’ai dit. D’accord?

Gail lui prend les lèvres dans un ultime baiser. Fiévreux, il dévore ce baiser. Une caresse qui laisse la jeune femme pantelante.

***

Tourmentée, Judy se demande bien ce qui a pu se passer dans la tête de Gail pour le mettre dans un tel état. On eût dit qu’il était sur la corde raide. Au lieu de rester là à se tordre les doigts, Judy se lève doucement et gagne de ce pas, la porte en face d’elle. Elle tourne le verrou et pousse les deux battants qui s’ouvrent sous ses yeux émerveillés.

-Wow! Fabuleux! s’extase la jeune femme en se grattant la tête avec son index. Une magnifique pièce lambrissée de bois s’étend là sous ses yeux. Elle fait quelques pas pour s’approcher des rayons en cèdre garnis. Judy ne tarde pas à découvrir dans cette majestueuse bibliothèque quelques grands auteurs, dont elle a déjà fait la connaissance, étant une grande amatrice de classiques: Depestre, dans Adriana dans tous mes rêves. Shakespeare, Eco, Dostoïevski, Dumas, Modiano, ce dernier est encore vivant, pense Judy. Elle tend la main pour caresser L’étranger de Camus, La bête humaine de Zola.

La prisonnière. Albertine…

Judy tressaille au souvenir de ce fragment :

« S’étendre contre elle, et l’embrasser sur tout le corps, ce sont des gestes qui l’apaisent en lui donnant le sentiment de la posséder pour lui seul ».

Judy met sa main sur sa bouche en souvenir des lèvres douces et chaudes de son ravisseur… Mais rapidement, elle la retire pour la porter à sa poitrine pour essayer de calmer les battements affolés de son cœur. Là, elle entend une voix de femme.

-Je savais que je te trouverais ici.

-Tu m’as fait une de ces peurs… Judy reconnaît la voix de Gail.

-Toi, avoir peur? reprend la voix féminine.

-Non, ce n’est pas pour moi que j’avais peur.

-Pour qui, alors?

-Bon, oublie! Pourquoi es-tu là?

Ah! Comme cela, Gail a de la visite? Qui celle-là peut-il bien être? Judy s’approche et, sans penser à sa cheville, monte sur une chaise, qu’elle a mise sous une fenêtre, depuis laquelle, elle peut voir les deux personnes qui discutent, indistinctement. Elle reconnaît Gail. Et l’autre? Qui est-ce? Sa femme? De toute façon, c’est une personne proche. Assez pour savoir qu’il se trouve dans ce bois.

-Oh, c’est Mercedes! s'exclame Judy à voix basse. Mais, que fait-elle ici? se demande-t-elle piquée d’une vive curiosité.

Pourtant, si elle faisait silence, elle pourrait au moins avoir accès à la discussion et enfin déceler le mystère, car elle n’est pas là par hasard.

-En prenant le risque de venir ici, tu te mets en danger.

-Non, rassure-toi, personne n’est au courant de mon déplacement.

-Tu ne dois plus, je te le demande.

-Il me fallait te voir mon amour, explique la femme en se laissant aller dans les bras de l’homme qui ne l’accueille pas avec la même chaleur.

-Il te fallait me voir? reprend l’homme d’un ton sarcastique.

La femme relâche son étreinte.

-Gail, s’il te plaît, ne commence pas avec ça. On ne s’était pas mariés pour que j’aille te voir en prison. Elle observe une pause et laisse entendre d’une toute petite voix. Oh, mon amour! Dieu seul sait comme tu m’as manquée. S’il te plaît, prends-moi dans tes bras, dit-elle éplorée.

Du haut de son perchoir, Judy regarde le couple enlacé. Comme cela, il a sa femme. Eh bien! Mais, à voir le sourire de la femme, Judy comprend bien en guise d’être mannequin, Mercedes est une bonne actrice. Non, elle n’est pas sincère. Et Judy donnerait sa main à couper. N’allez surtout pas croire qu’elle pense cela parce qu’elle est jalouse.

 

 

***

-Que me vaut l’honneur de ta visite? demande Gail d’un ton sec. Ces deux dernières années, je ne t’ai vu qu’une fois, apparemment, tu as peur des prisons. Tu es venue savourer ma libération? Que je sache, je ne me suis pas fait libérer, je me suis échappé. Il articule ce dernier mot avec tant de rage, que Judy le sait en colère. Que fais-tu ici?

-Gail! crie la femme en fermant les yeux. Arrête!… Arrête! dit-elle en pleurant. Tout le monde commet des erreurs. Et moi, j’ai commis l’erreur de ma vie de n’avoir pas pu surmonter mes peurs de venir te voir, enfermer pour une chose que tu n’as pas faite. Cela me brisait le cœur…

-Dis, tu me crois? fait la voix de Gail, hésitante. Ta tante me regarde comme si j’étais un inconnu, un assassin.

-Comment peux-tu me poser cette question? J’ai toujours cru en toi… et moi, je te connais assez pour savoir que tu n’es capable de faire du mal même pas à une mouche. Ma tante elle, croit que j’ai trop souffert à cause de toi. C’est pour cela qu’elle te déteste.

-C’est pour cela qu’elle a appelé la police, en me voyant?

-C’est moi la police? renchérit-elle, lui caressant doucement le visage.

Gail lui prend la fine main aux ongles carmin et la regarde un instant qui paraît être une éternité aux yeux de Judy qui regarde la scène avec un pincement au cœur.

Pourquoi faut-il qu’il la regarde comme ça? C’est normal, non? Il s’agit de sa femme. Mais elle, pourquoi elle reste là à les regarder comme une atterrée? Elle attend sans doute de voir le baiser qui va les unir à nouveau?

Oubliant l’état dans lequel elle se trouve, Judy voulant redescendre, dépose son pied par terre. Sursautée par l’intensité de la douleur, elle emporte la chaise dans sa chute qui tombe à la renverse sur l’épais tapis sombre qui amortit le choc.

-C’est quoi ce bruit? l’entend-elle demander.

-C’est sans doute mon chat.

-Ton chat? rétorque la femme.

-Oui, ma chatte!

-Tu aurais une chatte, toi? persiste la voix féminine.

-On dirait que tu ne me crois pas tout à fait.

Mercedes ouvre la porte et jette un coup d’œil sceptique dans la salle, doucement éclairée. Tout est calme. L’atmosphère parfaite pour une salle de lecture. Il n’y a que le doux miaulement de Rose qui se fait entendre, en levant les yeux vers le couple.

-Rose, ma mignonne! Viens là, dit Gail, d’une voix douce en prenant la féline dans ses bras, qui se laisse faire, en balançant nonchalamment sa queue touffue.

-Rose? C’est quoi ce nom? Ça fait vieux. Et puis, permets-moi, elle est vachement affreuse. Tu vas devoir choisir entre elle et moi, glousse la jeune femme. Si je dois venir vivre ici, elle devra se trouver quelqu’un d’autre pour l’adopter.

-Rose n’ira nulle part, intervient rapidement Gail.

-Ce qui veut dire que tu la choisis à moi? Une chatte? jette-t-elle d’une voix agacée.

-Rose est bien plus qu’une chatte. Et, je ne la laisserais tomber pour rien au monde.

-Je vois bien que tu n’as pas perdu ton sens de l’humour.

 

 

***

Pourquoi est-ce que Judy, au lieu de se planquer là, ne court pas demander de l’aide à Mercedes? Elle l’aiderait sans doute? Le mieux c’est d’essayer. Mais au lieu de cela, mademoiselle préfère se tapir dans l’ombre à écouter ces deux, parlés. Parler de quoi d’ailleurs? De choses vides de sens. La conversation tourne et retourne autour de Rose.

-Où est-ce que tu l’as dénichée? Dans la rue? demande-t-elle avec dédain. Elle est tellement laide! s'esclaffe-t-elle.

-Ma chatte, laide? peste Judy entre les dents.

Elle commence à ne plus aimer cette façon qu’à cette femme de parler de son chat. Qui est-elle pour oser traiter sa chatte de laide? Tout à coup, elle eut envie de lui dire ses quatre vérités. Elle a beau être une top-modèle réputée, mais cela ne fait pas d’elle une belle femme pour autant… Même sa gamme de maquillage, sortie il y a peu, qui lui a valu une petite fortune ne peut lui payer la véritable beauté.

Avec ses cheveux or bouclés, coupés court sur sa tête, ses grands yeux noirs, et sa peau caramel, Mercedes est la beauté incarnée. Certaines fois, elle se montre même trop consciente de cette beauté qui s’effrite avec le temps. C’est ce que Judy n’a pas toujours apprécié chez elle. Mais bon, heureusement qu’il y a Gail qui ne mâche pas ses mots. Lui, c’est vraiment quelqu’un sur qui l’on peut compter.

-Tu t’es déjà regardé dans un miroir?

-Et comment? affirme-t-elle en riant, jetant un coup d’œil approbateur sur sa fine silhouette. Amusée par la question.

-Justement, c’est ce que tu viens de faire là, avec Rose. À travers Rose, tu t’es vue toi. C’est de la projection.

Le regard de Mercedes s’assombrit, on dirait qu’elle avait pris son mari au mot. Elle eut un rire amer avant de dire franchement ce qu’elle pense :

-Tu n’es pas sérieux. Ce n’est qu’un vulgaire chat.

-Oh, que si! Laisse-moi te dire qu’elle est la créature la plus merveilleuse que j’ai jamais vue.

-Merveilleuse? Tu parles, répète-t-elle en fronçant le nez.

-Ce chat cache une beauté que tu es incapable de soupçonner. Je veux faire d’elle ma reine. Et, je n’ai pas besoin de ton avis.

-Quoi? Et moi? Je serai quoi dans tout ça? Valet?

-Pas sûr. Il y a un bout de temps, déjà, depuis que tu ne fais plus partie de ma vie. Toi, tu fais partie de mon histoire, c’est-à-dire mon passé. Voilà, mon présent.

Mais, qu’est-ce qu’il raconte ce Gail? Quoi qu’il en soit, ça n’a pas l’air de faire plaisir à madame - qui vient de voir un chat, une chatte la détrôner - mais cela fait le plaisir de Judy qui commence à ressentir de vives douleurs. Elle est restée trop longtemps debout sur un seul pied déjà gagné par l’ankylose.

-Chéri, tu me désarçonnes! Franchement, ton sens de l’humour me dépasse.

-Il faut arrêter de tout prendre au premier degré. Parfois les choses ne sont pas toujours ce qu’elles paraissent être. Il faut savoir chercher parfois, au-delà de l’apparence, lui répond-il.

Promptement, la femme se retourne, parfaitement vêtue d’une robe rouge royale sans manches, mettant en valeur sa longue silhouette souple et la minceur de sa taille. Elle a la physionomie et l’allure d’une déesse qui fait tourner toutes les têtes.

-Je ne vois pas ce que tu veux dire. Encore moins, où tu veux en venir.

-Tu verras bien, dit-il en soupirant avant de s’asseoir pour déposer sa tête sur le dossier du fauteuil en cuir luisant, de marron d’Inde.

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