Tracées coralliennes

Pour Rebecca J.

 

(I)

et voici qu’aux labiales du jour

ma langue sur pilotis                             

toutes lettrines convoquées

par testament timbré

se décline

                 tempête

dans la géométrie des gestes de lumière

et remontée d’alphabet

à réapprendre de toi

en toi

j’arpente tracées coralliennes

et je rassemble

dans l’urgence d’un seul mot

neuves notes

et bris de mémoire ancienne

ultimes voyelles en bandoulière

vers l’éternité des signes

 

(II)

aux nouvelles cartographies

de l’ouïe

un chant gésine

étonné

en maternelles vocales

désenfouies

             livrées au jaillir d’un chant neuf

chaque tracée corallienne

en ses coutures salines

porte empreinte                                                                                           

des dictées de l’ancre

 

(III)

sais-tu

qu’aux cahiers de l’enfance

fleurant mots mâchés et envol de cerf-volants

ma langue sur pilotis

cherche encor et toujours

notes d’un chant abécédaire

dans la ferveur des parchemins

et la chevauchée des courriels

à la reliure des mots

du pouce à l’index

la soif des paumes parle langue palimpseste

ne subsiste certains soir de biture

que le rauque cri des draps froissés

d’avoir trop bu

à la cruche des sens

 

(IV)

tournant dos aux lucioles atones de ma nuit

je recouds mes pas de sable

dans la patience du désert

faut-il à l’épissure de tes paumes réécrire

            le syllabaire des contrées sahéliennes

hier arpentées au babil du Simoun

l’ombre portée de ta langue

navigue 

de dunes en oueds

aux deux faces d’un unique voile

moquant prophéties et amulettes mutiques

dans l’hallali des corps

qu’enfante la braise 

et que sculpte le Nordé 

bègue l’encre réclame son dû

bègue ma cantate guigne son faîtage

 

(V)

au piétage du désert

mes lettres de sable

coites dans la clameur du vent

refont le guet

au défilé des lampes irriguent le siècle naissant

il fait un temps de rare pluie

sur le sommeil des amulettes

et je ravaude le chant du midi

pour quitter ma nuit bavarde le soir venu

l’argile de ma langue s’agenouille

me voici nu

livré sans passeport au braconnage du Temps

qui passe et laisse zébrures ourdies sur l’ébène ta peau

il pleut sur ma rétine

l’averse d’une joie précoce

psalmodiée à la chute de ma nuit

dans l’effraction préméditée de tes pores

 

(VI)

faut-il pour accéder aux harmoniques de ton blues

être passeur d’étoiles filantes

porteur des luminaires sacrés

qui cherchent souffle au lieu primipare du voile

dans la grammaire des prophéties

et voici que je découds vieilles cartes hiéroglyphes

calligraphiées à la rumeur ardente de tes paumes

et par la carte du ciel je cherche chemins mektoub

l’émoi de l’oeil pour seul témoin

sais-tu qu’au défilé claudiquant des jours

je veille toute vaine désertion des sens

et autres mots de passe

pour enfin accoster au sens premier du songe

en terre-Québec

sur mon île enneigée l’été cueille l’offrande des paumes

qui tracent un air de fête

            au jubilé du derme

à la bègue conjugaison des corps

chaloupés vacillants

pétris de lumière

rebelle est mon blues

à l’ivresse tempétueuse de l’index

qui emprunte encor l’abécédaire de tes pas

 

(VII)

ah ! cueillir mes mots métèques

dans l’entrelacs des pupilles

il fait un temps de lave parolière

recto verso de ma soif

la fièvre de l’enclume dicte son cri

dans l’impatience de ta luette

apatrides mes lettres de faïence

à l’abandon des corps de lumière

s’énoncent de toi

gardienne d’une langue initiale

et l’index sourd serti de sortilèges

je te tisse

toi aussi 

en quête d’aube

dans la moiteur d’une prière

 

(VIII)

en mienne demeure brodée d’inquiète lune

et de rêves endimanchés 

ai vu se noyer fragiles parchemins

lus à contre-sens du jour

aux bégaiements du beffroi

une saison de coutures dentellières

prend son envol

dans la joie aux mille voix de l’attente

tisse son décours                         

pourtant ma bouche n’est point chenille aptère

qui ne connaît pas chemin

des lettres lues à la haute voilure des sens 

un jour de silencieuse promesse advient l’écriture

dans l’humus

et l’urgence enfiévrée d’un seul mot

luminaire

à l’ardente forge du dire

 

Robert Berrouët-Oriol

Montréal, septembre 2021

 

NDLR –

 Collaborateur régulier du journal Le National depuis 2015, le linguiste-terminologue Robert Berrouët-Oriol est surtout connu des lecteurs pour ses articles de vulgarisation linguistique et ses livres dédiés à l’aménagement linguistique en Haïti. Pourtant, depuis plusieurs années, il est l’auteur d’une œuvre poétique originale et exigeante saluée tant par Anthony Phelps, Yves Chemla et Joël Des Rosiers que par la critique québécoise. Concepteur de la notion d’« écritures migrantes » dans la littérature québécoise contemporaine consignée dans les anthologies de la Belle Province, Robert Berrouët-Oriol a reçu en 2010 le Grand Prix de poésie du Livre insulaire à Ouessant, en France, pour son livre « Poème du décours ». Dans « Entendre battre le cœur » (août 2021), le compte-rendu de lecture de son huitième livre de poésie, « Simoun », publié à Montréal en 2021 aux Éditions Triptyque, le réputé critique littéraire québécois Hugues Corriveau a mis en lumière « le grand vent sahélien » et « la haute parole » poétique de Robert Berrouët-Oriol. Le National est ravi de donner à voir à ses lecteurs cette « haute parole » poétique dans un texte inédit de Robert Berrouët-Oriol, « Tracées coralliennes », daté

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