La diplomatie, pierre angulaire de la souveraineté nationale, est trop souvent négligée de nos jours. Pourtant, pour un pays comme Haïti, qui a marqué l’histoire mondiale par sa quête inébranlable de liberté, elle reste essentielle. Jeter un coup d’œil dans le rétroviseur de l’histoire devient alors impératif, non seulement pour comprendre les écueils d’aujourd’hui, mais aussi pour y puiser des leçons et de l’inspiration. À travers des figures emblématiques comme Ulrick Duvivier, Haïti trouve non seulement un écho de son héritage, mais aussi des raisons de fierté et d’espoir pour l’avenir.
Replonger dans l’histoire diplomatique haïtienne est une démarche essentielle pour raviver l’espoir face aux défis contemporains et pour éviter de céder au découragement. Ulrick Duvivier, ambassadeur émérite d’Haïti à Washington et dernier ministre des Relations Extérieures avant l’occupation de 1915, incarne la figure d’un homme de devoir, porteur d’un patriotisme noble et d’une vision politique exceptionnelle.
Diplomate visionnaire, il défendait les intérêts de son pays avec une ténacité exemplaire. Son amour pour Haïti n’était pas une simple rhétorique, mais une force motrice qui s’exprimait à travers des actions concrètes. En pleine période de ségrégation raciale aux États-Unis, Duvivier se distinguait par son refus de céder aux injustices du racisme ambiant, qu’il dénonçait sans relâche dans ses nombreuses correspondances diplomatiques. Ces lettres, conservées dans les archives, constituent des témoignages éloquents de son engagement en faveur des droits des Noirs en Amérique. Son combat s’inscrivait dans la continuité des idéaux fondateurs de la diplomatie haïtienne, façonnée par la lutte contre l’oppression et la défense des valeurs universelles.
Comme André Liautaud, plénipotentiaire à Washington quatre décennies plus tard, Ulrick Duvivier percevait le racisme comme une menace globale transcendant les frontières américaines. Pour lui, cette injustice représentait un fléau universel à combattre avec détermination. Ses analyses stratégiques et ses conseils pour contrer les ambitions impérialistes des États-Unis montrent combien il comprenait les enjeux régionaux de son époque. En cela, il s’inscrit dans la lignée des grands architectes de la diplomatie haïtienne, ces hommes qui, malgré les pressions internationales, maintenaient une ligne de conduite fondée sur la dignité et le respect des valeurs patriotiques.
Ulrick Duvivier était un humaniste convaincu, refusant les divisions raciales et œuvrant pour un Haïti inclusif. Bien qu’il fût mulâtre, il rejetait toute identification sectaire, plaidant pour une nation unie où chaque citoyen, quelle que soit son origine sociale, avait un rôle à jouer.
Cette vision d’un patriotisme universel fut partagée par son fils, Max Duvivier, et leur héritage commun continue d’illuminer l’histoire haïtienne. Max, éducateur et directeur du prestigieux lycée Alexandre Pétion, poursuivit l’œuvre de son père en plaçant l’éducation au cœur de son combat pour une société plus équitable. Sous sa direction, l’établissement devint un refuge pour les jeunes issus de milieux défavorisés, un lieu où ils trouvaient non seulement des outils d’apprentissage, mais aussi une stabilité morale et matérielle. À travers des gestes symboliques, comme l’aide apportée au futur poète Roussan Camille, Max Duvivier illustra un engagement profond envers la justice sociale et l’égalité des chances.
Les écrits et câbles diplomatiques d’Ulrick Duvivier sont des trésors d’une rare richesse. Bien plus que des documents administratifs, ils reflètent une intelligence politique remarquable et un amour indéfectible pour son pays. Chaque mot rédigé dans ses correspondances témoigne d’une analyse fine et lucide des relations internationales, offrant un regard stratégique sur les moyens de protéger la souveraineté haïtienne face aux menaces extérieures.
Duvivier suivait de près la campagne médiatique américaine qui prônait l’occupation d’Haïti, une propagande systématique menée par des journaux influents comme le Wall Street Journal. Sa vigilance constante et son sens aigu de l’observation lui permettaient d’anticiper les manœuvres du gouvernement américain, dont l’objectif initial était de contrôler les douanes haïtiennes avant de passer à une occupation totale.
Ulrick Duvivier appartenait à une élite intellectuelle haïtienne, aux côtés de figures comme Georges Sylvain, Anténor Firmin, ou Constantin Mayard. Ces hommes, qu’ils aient servi à Paris ou ailleurs, portaient haut les idéaux de dignité nationale et de justice universelle.
Ulrick Duvivier, également écrivain, avait ce don rare de transformer les enjeux complexes de son époque en des récits mobilisateurs. Ses trois ouvrages publiés, ainsi que ses archives diplomatiques inédites, constituent une mine inestimable pour comprendre la diplomatie haïtienne à une époque où elle était respectée et redoutée. Ces textes ne se limitent pas à une simple narration des faits ; ils offrent une réflexion profonde sur les défis auxquels Haïti était confrontée et sur les moyens de préserver sa souveraineté dans un monde en constante mutation.
Renouer avec le passé
Comparée à l’engagement et à la vision d’Ulrick Duvivier, la diplomatie haïtienne actuelle semble bien souvent éloignée de ses principes fondateurs. La quête d’enrichissement personnel, les alliances douteuses et la passivité face aux enjeux internationaux, comme l’abstention lors des votes onusiens contre le racisme, trahissent l’héritage des bâtisseurs de la diplomatie haïtienne. Cette dérive contraste cruellement avec l’intégrité et la détermination qui animaient des figures comme Duvivier.
Aujourd’hui plus que jamais, il est important – vital même - de se tourner vers cet héritage pour reconstruire une diplomatie digne et efficace. L’initiative du Regroupement des Archives Diplomatiques de la République d’Haïti (RADRH) offre une occasion unique de redécouvrir ces figures historiques et de transmettre leur héritage aux nouvelles générations.
À travers leurs écrits et leurs actions, Ulrick Duvivier et ses contemporains rappellent que la diplomatie haïtienne a été, en d’autres temps, un modèle de courage, d’intégrité et de fierté nationale. Retrouver cette mémoire, c’est renouer avec les idéaux qui ont fait la grandeur d’Haïti, et tracer une voie pour un avenir plus lumineux.
Grand-père de l’ancienne Première Ministre, Michèle Duvivier Pierre-Louis (2008), Ulrick Duvivier naquit le 30 janvier 1867 à Cap-Haïtien, dans un Haïti encore profondément marqué par les luttes pour consolider son indépendance. Issu d’une famille influente, Duvivier épousa Junie Martineau, avec laquelle il eut une nombreuse descendance : Ulrick Jr., Dathéa, Andrée, Gabrielle, Max (père de Michèle Pierre-Louis, ancienne Première ministre en 2008), Luce, Roger Darbel, Odette et Inès. Ce grand patriote rendit l’âme subitement le 16 juillet 1932. La nouvelle, relayée par Le Nouvelliste dans sa nécrologie du lendemain, laissa un vide immense dans le paysage politique et diplomatique haïtien.
Maguet Delva