Chaque année, à pareille période, le Prix Jean Métellus de la poésie (1) décerne une distinction au candidat de son concours de poésie. Cette année, c’est la jeune Brééna Rose Anadini Bélizaire qui rafle la mise, la première femme depuis le lancement de ce prix il y a 4 ans.
Avec À celles qui liront demain, Brééna Rose Anadini Bélizaire inscrit sa voix dans la lignée des poètes qui donnent à Haïti des mots de veille et de résistance, quand la nuit s’allonge et que le silence menace d’ensevelir les vivants. Par cette distinction, ce n’est pas seulement une autrice que l’on célèbre, mais une conscience lucide, un verbe debout dans la poussière de l’histoire, un souffle qui refuse de plier.
Lire ce livre, c’est entrer dans un voyage intérieur et collectif, là où le lecteur marche à découvert sur la braise de la mémoire. L’ouvrage, déjà, a l’éclat d’une pierre vive : une langue travaillée au feu, où la métaphore n’orne pas, mais tranche, éclaire, réveille. Tout y est clair, parfois douloureusement : une limpidité qui ne ment pas.
La poétesse ausculte le pays comme on palpe une plaie. Elle écoute les silences lourds, les noms menacés, les blessures anciennes qui reviennent au présent, et elle en tire des vers capables de tenir quand tout vacille. Sa poésie frappe et caresse, dérange et éclaire, sans cris gratuits ni complaisance : une justesse qui séduit même le lecteur le plus exigeant.
Haïti apparaît alors comme un poème, une phrase inachevée, coupée sans cesse par la violence, les catastrophes, les promesses vides. Ici, parler a un prix : l’encre se mêle au sang et à la sueur. Mais l’écriture, loin d’être un luxe, devient nécessité vitale, acte de mémoire et de foi, résistance au grand effacement. Tant que des voix persistent, la phrase continue.
Au cœur du texte, l’adresse à celles qui viendront ouvre un futur féminin comme espace de réparation. Les femmes ne sont plus des silhouettes effacées : elles deviennent héritières conscientes d’un legs de lutte, de parole et de survie. L’exil n’est pas seulement géographique ; il traverse aussi l’intime, la culture, la mémoire. Et contre la solitude transmise, un “nous” se forme, rempart collectif qui partage les fardeaux et refuse de laisser l’histoire se perdre entre des pages déchirées.
Le poème ancre enfin la mémoire dans le corps : ventres en guerre, douceur indocile, rage sacrée. La tendresse n’y est pas soumission, la colère n’y est pas honte : ce sont des forces transmissibles, une énergie pour continuer à nommer, à écrire, à tenir.
Quand on arrive à la dernière page, on ne referme rien vraiment. On reste debout, dans un silence neuf, comme après une déflagration qui n’a pas laissé des ruines, mais une clarté. Cette poésie ne console pas : elle veille, elle insiste, elle oblige à voir autrement. Et elle prouve que, malgré les interruptions et les pages arrachées, Haïti continue de s’écrire — non pas pour finir, mais pour respirer, résister, avancer.
Jean Métellus continue de vivre à travers ce Prix
Au fil des années, le Prix Jean Métellus s’est imposé comme une vitrine privilégiée, une verrière de lumière offerte à l’œuvre foisonnante de l’écrivain haïtien Jean Métellus, disparu le 4 janvier 2014. Il est aussi un phare dressé contre l’oubli, où chaque génération vient découvrir, relire et transmettre une parole qui refuse de s’éteindre.
Le 4 janvier 2026 marquera douze ans depuis que l’auteur de Haïti, une nation pathétique a fait le grand voyage, laissant derrière lui une œuvre dense, grave et prophétique, semblable à un archipel de mots où se rencontrent pensée, poésie et lucidité politique.
À l’image d’une source souterraine, ce prix fait remonter à la surface la vitalité de cette œuvre tout en nourrissant la création contemporaine. Il ne commémore pas seulement une absence : il entretient une présence. Comme une veilleuse allumée dans la nuit de l’histoire, il rappelle que Jean Métellus n’a pas quitté la langue, mais y demeure, dissous en elle. Chaque édition devient un passage de relais, une manière d’affirmer que le grand voyage n’est pas une fin, mais une traversée, et que la parole du poète, loin de se taire, continue de marcher parmi les vivants. À l’écran comme dans les livres, son œuvre reste une respiration critique, un héritage qui refuse le silence.
Dans cet esprit de veille et de transmission, l’hommage à Jean Métellus dépasse les frontières. La chaîne de télévision communautaire en France Hlive lui rend hommage le lundi 22 décembre 2025 à 21 heures.
Autour de son œuvre et de sa mémoire, son fils Olivier Métellus, le docteur Jonas Jolivert, l’homme d’affaires et ami du regretté Péguy Bazile, ainsi que toutes celles et tous ceux engagés au sein de l’Association des Amis de Métellus, œuvrent sans relâche pour faire vivre ce prix. Leur action va bien au-delà d’une distinction littéraire : il s’agit de préserver une exigence, de soutenir la création poétique et d’offrir aux écrivains un espace de reconnaissance, de visibilité et de partage.
Grâce à cet effort collectif, le Prix Jean Métellus s’affirme aujourd’hui comme un repère majeur dans le paysage littéraire haïtien, un lieu où la poésie continue de se dire, de se renouveler et de résister.
Maguet Delva
Paris, France
(1) Jury : Ginette Adamson, Watson Charles, Mackenzy Orcel, Claude Mouchard, Sylvestre Clancier.
