Bilan des ateliers sur le patrimoine, l’éducation et l'archéologie dans les départements du Nord et du Nord-Est

En collaboration avec le Bureau national d'ethnologie, le docteur en archéologie, Jean Joseph Sony, a organisé des séances de formation sur l’éducation, le patrimoine et l’archéologie dans les départements du Nord et du Nord-Est. Expérience enrichissante à plus d’un titre, il s’agissait de sensibiliser les populations locales, les professeurs des écoles primaires et secondaires sur l’importance du patrimoine culturel dans l’enseignement de l’histoire, selon une note publiée par le Bureau national d’ethnologie. Le National a rencontré le docteur en archéologie Jean Joseph Sony. Il revient dans cet entretien sur son parcours et sur sa tournée dans les villes du Nord et du Nord Est.

Le National : Vous êtes archéologue et vous enseignez le cours Patrimoine archéologique pour le Programme de master histoire mémoire et patrimoine à l’IERAH. Pouvez-vous vous nous en dire plus sur votre parcours ?

Jean Joseph Sony : Bien sûr, je suis docteur en archéologie caribéenne de l’Université de Leiden, aux Pays-Bas. Actuellement, je suis chargé de recherche du FNRS (Fonds de la recherche scientifique) à l’Université catholique de Louvain et chercheur à KITLV (Royal Netherlands Institute of Southeast Asian and Caribbean Studies), Leiden, aux Pays-Bas. Mes travaux de recherches portent sur l’archéologie précoloniale et à l’archéologie relative à la période coloniale avec un accent particulier sur l’archéologie du paysage et la longue durée des transformations du paysage culturel. Je me suis aussi intéressé aux politiques du patrimoine (The politics of heritage) pour appréhender la manière dont le patrimoine archéologique est négocié entre citoyens/nes et institutions du patrimoine suivant des regards critiques sur les discours et pratiques liées au patrimoine archéologique. Je suis co-fondateur de Local Voices, un projet qui prône l’amplification des voix locales caribéennes dans les décisions relatives au patrimoine archéologique.

LN: Vous avez entrepris une tournée dans les départements du Nord et Nord-Est autour de l’éducation et le patrimoine. Parlez-nous un peu de cette tournée et quel a été son objectif ?

JJS: En fait, j’effectue la plupart de mes travaux de recherches dans le nord d’Haïti. Cette année, je voulais consacrer mon séjour de recherche à des visites de terrain (anthropologie liée à l’archéologie) ainsi qu’aux travaux d’ateliers sur le patrimoine (ce que j’appelle partage de connaissance). C’est dans ce contexte-là que je commence une série d’ateliers sur le patrimoine et l’éducation en collaboration avec le Bureau national d’ethnologie, l'Association des Dondonnais en action (ADA) et TODE Consulting Dondon et de l’Université publique du Nord-Est à Fort-Liberté (UPNEF). Il s’agit pour moi, dans un premier temps, de disséminer les résultats des travaux archéologiques effectués en Haïti par moi-même et par d’autres chercheurs et dans un deuxième temps de discuter de leur importance dans l’enseignement de l’histoire. On sait bien qu’il y a pas mal d’informations qui ne sont pas mises au jour dans les manuels scolaires. Avec les enseignants d’écoles primaires et secondaires et les acteurs des associations locales, nous avons discuté des propositions que nous pouvons envisager pendant les cours en classe et les visites scolaires sur des sites du patrimoine.

LN: Quelles sont les communes que vous aviez visitées dans ces deux départements et parlez-nous un peu du contenu de vos échanges ?

JJS: Nous avons réalisé cette série d’ateliers à Fort Liberté et à Dondon. Comme je l’ai mentionné précédemment, le contenu de l’atelier était basé sur le patrimoine, l’archéologie et l’éducation. Nous avons eu des activités interactives où les participants ont proposé des directives en rapport à ce qu’il faut ajouter et supprimer dans l’enseignement de l’histoire. Ils ont identifié différents types de patrimoine dans leur communauté et nous avons discuté le rôle de la responsabilité citoyenne dans le processus de pérennisation du patrimoine. En ce qui concerne mes visites, j’ai visité Fort Liberté, Dondon, Port Margot, Sainte-Suzanne, Limbé, Cap-Haïtien et Quartier Morin et ai échangé avec beaucoup de citoyen/nes pour essayer de reformuler mes objectifs et questions de recherches pour de futurs projets archéologiques.

LN: Vos attentes ont-elles été comblées ?

JJS: Cette première série a été un succès vu que les retours des participants ont été positifs. Il faut dire que l’essentiel pour nous c’est déclencher ce dialogue qui peut servir à quelque chose dans le futur. Je vais continuer cette série d’ateliers dans d’autres communes dans les prochains mois surtout en collaboration avec d’autres organisations locales et professeurs d’école primaire et secondaire.

Le National: Pourquoi est-il utile de nos jours de sensibiliser les gens autour de l’Éducation au patrimoine une thématique si sensible ?

Jean Joseph Sony : Je comprends votre question, mais je ne sais pas pourquoi on parle de « thématique si sensible » alors qu’il y a une urgence. Haïti c’est des milliers d’années d’histoire. Les traces de ces années d’histoires sont présentes dans le paysage. Certaines ont disparu. Certaines n’ont pas encore été documentées et interprétées. Ces traces du passé existent partout dans le pays. Pourtant, beaucoup de citoyens/nes, professeurs d’école, élèves et d’élus ne se rendent pas compte ou font fi de leur existence, alors qu’elles font face aux différentes contingences environnementales ainsi qu’aux activités humaines (pillage, construction, tourisme non contrôlé, etc.). Il y peut y avoir plusieurs angles de discussion et de compréhension en rapport à cette thématique. En tant qu’archéologue, je pense que les sites archéologiques peuvent servir à mobiliser des connaissances sur le passé pour faire émerger d’autres récits. En plus, il n’y pas assez de musées en Haïti pour narrer (une partie de) ces histoires. Pourtant, il devait y avoir plusieurs musées dans chaque département. Autre chose, certains discours officiels autorisent encore la fameuse expression « Christophe Colomb a découvert » Haïti en 1492, suivie de petites histoires biaisées sur la vie des premiers habitants de l’ile d’Haïti, sans prendre en compte des connaissances qui ont été produites à l’échelle nationale et régionale. Même s’il faut reconnaitre des améliorations dans quelques manuels, mais l’urgence de réviser et de corriger les narrations du passé est indéniable.

 

Propos recueillis par :

Schultz Laurent Junior

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