Je me permets de te tutoyer bien que tu ne me connaissais pas. Je ne te connaissais pas personnellement non plus, mais tu es rentré mon environnement depuis ce concours «Chante Nwèl » 1999 sur Télémax. Au début, comme le fils de Grand Père Noel, ton père et son mélodieux titre « Abdenwèl », ensuite pour l’immense artiste que tu étais et que tu resteras.
J’ai écouté « Baby I miss you » et « Pou mwen » plein de fois. Et que dire de « Ayiti se » un bijou dans toute sa dimension, l’un des plus beaux cadeaux qu’un artiste a faits au pays. Tu disais Haïti c’est la Citadelle, Morne Bilbao, Bassin bleu, j’ai envie de dire Haïti c’est aussi des jeunes comme toi qui, par la qualité de son travail, n’ont jamais voulu abandonner face à la fatalité d’un pays en défaillance. Il y a 3 mois en juillet 2022, je montrais le clip « Ayiti se » à un collègue comme un exemple de la qualité des images que je voulais voir dans un documentaire qu’on préparait. On s’exclamait la qualité de ces images vieilles de 10 ans, ce qui souligne le soin que tu as mis dedans.
C’est difficile d’être de la génération 80, d’avoir été bercé par cet artiste talentueux et ne pas être touché par ce départ brutal. Parti sur scène, un drapeau autour du cou, après une prestation de haut niveau comme en témoignent les vidéos postées par les spectateurs de ce concert historique à plus d’un titre. Il semble que ce flow « kole anba po mwen » que tu as fait dans la chanson « Drapo m » de Belo était prémonitoire. Ce drapeau est collé à ta peau. Combles de l’ironie, tu nous as quittés sur les rythmes de « Ou pati » malgré tous les moments passés avec nous dans tes œuvres.
Dans un pays où s’unir ou encore rester uni est un défi qu’on essaie de surmonter depuis plus de siècles, réussir à s’unir, se désunir et se réunir était un défi. La communion avec les milliers de fans de l’Accor Arena de Bercy est un témoignage de l’exploit que vous étiez en train d’accomplir. Les vibrations sont visibles sur les vidéos, même pour des yeux émotionnés comme les nôtres et des cœurs troublés par la tristesse. Merci d’avoir contribué à cela.
Une pensée profonde pour ta femme enceinte, tes enfants, ta maman et ton papa, toute ta famille, et tous tes proches affectés par le vide que tu vas laisser dans leur cœur. La communauté des artistes, les musiciens et spectateurs présents au concert et la nation tout entière méritent qu’on leur présente condoléances pour cette énorme perte que subit la culture haïtienne. Le pays entier sait ce que tu as représenté, et toi aussi tu le savais. La vie a voulu que ta sortie soit horriblement inoubliable tout en te donnant le privilège de jouir de ta passion littéralement jusqu’à ton dernier souffle. « Jodi a n oblije separe, se la li ye » (en français on est obligé de se quitter, c’est comme ça)». C’est tellement triste.
Va en paix, tu as donné la preuve qu’on n’a pas besoin de vivre 72 ans pour tout donner à son pays. Merci. Ton dernier post sur Twitter, moins de douze heures avant de rendre ton dernier souffle, saluait l’exemple de Carimi qui a montré la voie à des jeunes comme toi. Les mots ne sont pas assez pour exprimer l’immense héritage que tu as laissé pour ta génération et les autres qui suivront. J’espère qu’ils pourront, dans leur propres talent et affection pour le pays, faire vivre ta mémoire.
Merci pour tout.
Fersam Allifleur
17 Octobre 2022
