Un grand concert en hommage à Jacques Stephen Alexis à Montréal

L’année 2022 coïncide avec le centenaire de la naissance de Jacques Stephen Alexis. Plusieurs colloques et autres activités culturelles sont organisés en Haïti et ailleurs dans le monde en hommage à cet écrivain et militant communiste haïtien. Le samedi 19 novembre de 2022, la Société de diffusion et de recherche dans la musique haïtienne (SDRMH) a honoré la mémoire de Jacques Stephen Alexis dans la salle de spectacle du CÉGEP Ahuntsic de 20 h à 22 h 30 . En partenariat avec le Centre international de documentation et d’information haïtienne, caribéenne et afro-canadienne (CIDHICA), elle a organisé un concert de musique savante à la hauteur du personnage. Assorti de lectures scéniques, l’événement a permis l’articulation d’une partie de l’univers romanesque et poétique d’Alexis au rythme d’une variété de musiques allant des chants vodouesques traditionnels d’Atibon à l’exécution des pièces de Cervantes, Lina Mathon Blanchet et d’Occide Jeanty.

Composé de deux parties, l’événement commence avec la lecture des extraits de Compère Général Soleil, Les Arbres musiciens, L’espace d’un cillement, Romancero aux étoiles. Ces morceaux littéraires sont entrecoupés par des extraits de L’étoile absinthe de Zulma et Ayiti, Chants et liberté de Joujou Turenne. Loin d’être linéaire, la mise en scène de ces morceaux se combine aux sonorités du lambi et de la trompette de Fréderic Demers. En les jouant, Joujou Turenne amène le public à percer le mystère et à apprécier la richesse de l’œuvre d’Alexis.

Par ailleurs, l’interprétation des morceaux musicaux populaires du nord d’Haïti par Atibon révèle un aspect important dans le parcours d’Alexis. Étant à la fois poète et militant révolutionnaire, ce dernier manifeste pendant toute sa vie une grande curiosité pour les cultures populaires. Car il a compris que l’on ne peut pas contribuer à améliorer voire changer une situation sociale si on ne la connait pas. Dans l’esprit d’Alexis, s’engager pour le changement en Haïti suppose une connaissance fine de la réalité du peuple haïtien. Propulsée par le battement des calebasses, la voix de Atibon a, entre autres, amené le public dans les profondeurs de l’âme paysanne haïtienne à travers des chants qui charrient non seulement les séquences héroïques des luttes pour l’indépendance, mais également l’aspiration de tout un peuple à la liberté.  Par ses vibrants chants, Atibon met en lumière l’intérêt qu’Alexis a toujours montré pour les traditions populaires haïtiennes.

Ensuite, un quintette à vent plonge le public dans l’univers esthétique de la pianiste et compositrice Lina Mathon Blanchet. En interprétant son Conte folklorique haïtien, il permet de mettre à jour l’âme populaire à travers un autre prisme musical. Par ailleurs, conformément à l’esprit d’ouverture d’Alexis, le quintette à vent nous transporte loin des rives haïtiennes pour explorer le fonds musical cubain. En ce sens, plusieurs pièces musicales sont interprétées sous les applaudissements répétés du public. Par l’écoute active, celui-ci entrevoit la communion des peuples caribéens à travers les méandres des touches mélodiques de Cervantes et de Saumell. Loin d’être un dépaysement, c’est une bonne façon de saluer la mémoire d’Alexis qui a su exprimer dans son univers poétique et romanesque l’unité des peuples caribéens en scrutant les enjeux sociaux d’exploitations et de domination.

Le concert prend fin avec l’interprétation de deux pièces du célèbre musicien haïtien Occide Jeanty : Grande marche funèbre et 1804 ou Dessalines.  Exécutée par l’Ensemble d’harmonie sous la direction de Frédéric Démers, la première pièce a un sens particulier dans la mesure où Alexis n’a pas eu de funérailles. En ce sens, le titre du documentaire d’Arnold Antonin sur les circonstances de sa disparition est très invocateur : « Jacques Stephen Alexis, mort sans sépulture ». Dans le contexte de cet hommage, l’exécution de la marche funèbre semble une façon symbolique de faire ses funérailles. En outre, la pièce 1804 s’inscrit dans une autre perspective. Comme une marche guerrière, il s’agit de saluer l’héroïsme et l’intrépidité de nos aïeux. Après la défaite du capitalisme axé sur l’esclavage en Haïti, la lutte se poursuit pour la construction d’une société égalitaire.  Plusieurs combattants ont déjà laissé leur peau dans le cadre de cette lutte. Alexis en fait partie. En jouant la pièce 1804 à l’occasion du centenaire de l’anniversaire de l’illustre écrivain que fut Alexis, il est question d’honorer sa bravoure et sa combativité pour la transformation sociale en Haïti.

 

Renel Exentus

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