Lettre au Général Soleil

 Quelque part sur l’île,                                                 le jeudi 23 juin 2022

 

 À Jacques Soleil,

 

Déjà plus de la moitié de l’année écoulée, mais ici, dans ce bas-monde, la nuit et l’oppression y règnent encore.

Déjà environ soixante années que tu as exprimé, aux intellectuels du monde, la volonté de rattacher la théorie à l’action.

Déjà plus de cinq décennies que tu as voulu rompre les chaines de la complaisance qui tue chez l’homme tout sentiment d’humanité, pour faire monter les eaux de l’espérance.

Déjà longtemps, même trop longtemps...

 

Mon ami,

Les années fuient, les jours se chaussent bien de sabots de vent. Ce monde inégalitaire que tu as connu, contre lequel tes mains ont embrassé la lutte, dans un bel élan de symbiose, de synergie, de générosité, ont montré la voie, le chemin aux milliers d’Hilarion et de Claire Heureuse du présent, aux innombrables souffre-douleurs qui crèvent, mais gardent en eux la promesse qui ensemencera la terre... Ce monde riche de toutes les exploitations des prolétaires refuse de mourir pour laisser place à l’ aube.

Jacques Soleil, tu ne le croyais sans doute pas, la saison ici est malheureuse.

Tu as beau formulé des vœux sincères de belle amour, d’harmonisation et de morale au genre humain. Ici et à travers la planète, la désespérance, l’égoïsme fleurit comme la mauvaise herbe, comme l’ivraie. L’espoir est mis à mort. Chaque jour sur ton île, où tu dors,  est assassinée quelque part l’espérance. Ici et ailleurs sur de frêles esquifs, les nôtres et d’autres milliers de contemporains risquent ce qu’il leur restent de souffle, afin de donner à leur avenir des ailes. Aussi sont-ils devenus d’eux-mêmes réfugiés de l’intérieur ?  Des migrants vers d’autres cieux plus « cléments », lorsqu’ils ne sont pas tout simplement traqués comme au temps noir de la traite, lorsque le colon payait une misère la peau du nègre. Ou refoulés pareils à des colis que personne ne veule garder.

Jacques, toi qui n’as voulu que l’homme, l’intellectuel responsable ne se gave de complaisance envers le silence. De douceur devant la méchanceté, d’insensibilité devant les inégalités et injustices sociales. Toi, Jacques, qui as opposé aux médecins de l’ âme collective des peuples, leur rôle, leur mission dans la débâcle dans laquelle le monde quotidien s’enfonce. Jacques Soleil, ce lieu de vie, de luttes, d’interrogation dont ton œuvre a reparti les échos, constitue le plus bel humanisme, la plus belle amour dont aujourd’hui il en manque tant à notre monde.

Ici, depuis ton absence, tout est martyr et finit dans le sang. Nous nous sommes devenus les artisans de notre déchéance. Pioches en main, jamais nous n’avions cessé de creuser. Qui, le fond. Qui, notre tombe. Comme le scorpion qui se pique, il y a longtemps que l’homme ici est devenu un loup pour l’homme. À la gloire des néo-colons. Malgré l’orage et les menaces de tout bord, les travailleurs d’usine portent en eux le souffle de la lutte qui dit demain demeure une plantule qui ne mourra pas.

Mon Général Soleil, les gardiens de la troupe ont pactisé, pactisent encore, s’entendent comme un charme avec les loups afin de semer la pagaille, de donner en pâture la bergerie. Les rafales qui déchirent le jour fauchent très souvent l’innocence. Nos rêves trop longtemps laissé en jachère. Sur ta belle île qui t’attendait là-bas, le jour est noir; toute écarlate la nuit. L’égoïsme, le déni ont érigé leur étendard. La mort, encore des corps peuplent le quotidien. Ceux qui, quelque part, prétendent avoir les rênes du pouvoir, font la guerre, promettent le deuil, mitraillent à travers leur silence le peuple et l’espérance. Il n’est plus permis de donner forme à l’avenir ici.

Demain aurait pu être meilleur. Mais qu’attendre des comparses complices aux mille morts sur les bras ?  Des complices, dans la mal-gouvernance, au final, ne représentant qu’eux-mêmes ?  Les fleurs dont tu espères porter demain, puisque l’espérance est une rebelle jamais met-elle bas les armes, les fleurs ont le cœur fané comme le soleil de juin brûle les champs bleus de nos plaines.

Il y eut eu tes constats probants clouant sur pilori les postures, les alibis qui se gaussent -fausse modestie- d’être humaniste, tout en proclamant la haine de l’homme. Du théorique détaché de l’action. Des postures qui émeuvent sur le drame de certains ( par affinité socio-historique et idéologique ou géopolitique), pourtant ignorent et se montrent incapable et insensible du drame d’autrui. Sur terre et ici, cet humanisme mensonger fleurit et met à nu toutes les failles et l’hypocrisie du genre humain.

De ce lieu où, attristé, tu reposes -pas du vrai repos du guerrier, puisque la lutte a eu une saveur inachevée- ,  à l’instar du Fondateur de la Patrie, ton auguste aïeul, Jean-Jacques Dessalines, apprends à ton peuple, et aux déshérités qu’ils soient d’ici ou du globe à réenchanter la vie, à donner un souffle nouveau à la lutte, à la liberté de l’Homme. Apprends-nous à nous inspirer aux symboliques du soleil comme métaphorique de l’unité, du compagnonnage, de la lutte.  « Le Soleil d’Haïti nous montre ce qu’il faut faire », Hilarion, par ta voix, a tracé d’un trait lumineux le chemin. Apprends à l’homme à corréler la parole proclamée à l’action, à accomplir une vraie amour humaine éjectée de géométrie variable.  À ne pas enfermer par nos paroles l’homme dans les tiroirs de nos manquements et de notre indifférence.

Ces quelques souhaits, accomplis-les, Compère Soleil, que l’Homme revienne de ses errements. Que la déchéance, où s’enfonce l’île, puisse mourir pour laisser l’aube poindre ici.

 

James Stanley Jean-Simon

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