Thèse pour une sortie de crise

Enfin une thèse traitant des sciences politiques en Haïti. Il est à espérer que ce travail universitaire ouvrira des perspectives pour des recherches sur l’évolution du champ de la politologie en Haïti.

« Le Dr Gracien Jean croit dur comme fer que, sortir Haïti de la crise sociétale serait de la faire emprunter la voie de l’humanocratie et du fédéralisme étatique comme alternative à travers la proposition d’une Constitution fédérale humanocratique, mais cela dépendrait des changements d’attitudes et de comportements des élites économiques. Joseph André Gracien conclut en affirmant qu’il nous faut une nouvelle humanité dans ce monde moyennant que la politique soit au service des êtres humains pour satisfaire leurs besoins et pérenniser l’espèce humaine et non se servir des êtres humains à des fins politiques personnelles. » La lecture de la préface de Joël Lorquet s’impose parce qu’elle apporte des éléments sociologiques supplémentaires pour apprécier ce colossal travail sur l’histoire des idées politiques en Haïti. Une thèse intéressante à plus d’un titre qui met en lumière avec brio nos problématiques politiques cruciales que nous traînons depuis 1804.

Ce travail de quatre cents pages mérite qu’on s’y attarde, car c’est une première dans le champ de la recherche en sciences politiques en Haïti. Il a fait un résumé complet des idées politiques de 1804 à nos jours. Dans un espace politique saturé, où les auteurs sont obligés de s’autocensurer, l’auteur a fait preuve d’un courage intellectuel pour accoucher d’un tel travail. L’auteur observateur assidu de nos démêlées politiques sanguinolentes qu’il est, formule des propositions pour sauver son pays de la disette des idées.

Le dispositif adopté par l’auteur pour faire comprendre nos cheminements idéologiques est d’une clarté pédagogique. Le politologue va ensuite nous entraîner dans une voie fourmillante d’analyses judicieuses afin que nous puissions comprendre ce que nous vivons actuellement en Haïti.

Le titre « L'humanocratie et le fédéralisme étatique, une alternative pour sortir Haïti de sa crise de société vieille de trois décennies de 1986 à 2016 » déjà invite tout simplement à la curiosité et à la découverte. Il s’agit de l’histoire des idées politiques et des soubresauts de notre vie nationale. Sur des dizaines de pages, Jean nous fait une analyse sociopolitique pertinente et lucide de ce qui nous tracasse depuis 1986, après l’effondrement du régime héréditaire. Pour lui, une crise de société - comme celle que nous vivons ? - est une « rupture d’équilibre des intérêts de différents segments sociaux provoquant dans l’évolution d’une société de constantes tensions qui se manifestent par diverses formes d’instabilité où l’État se trouve dans l’incapacité ou historiquement ne peut plus remplir ses fonctions régaliennes ». Il explique plus loin qu’en sociologie politique, une crise est « la manifestation d’un choc violent opposant un ordre ancien à l’avènement d’un nouveau vécu sous la forme d’un drame socio-historique par les composantes sociales risquant ainsi de provoquer l’autodestruction ou encore l’entropie, phénomène de la dynamique sociale qui conduit à la désorganisation et à la mort de l’État-nation ». Cela est possible parce que, souligne-t-il, les sociétés ainsi que les États naissent, évoluent, progressent, régressent, meurent, disparaissent et renaissent sous d’autres formes. C’est ce qu’il appelle « la loi de l’évolution ou de la dynamique évolutive et cyclique des formations humaines et sociales à travers l’histoire de l’humanité ».

On ne peut ne pas voir l’utilité des propositions formulées. Dans l’introduction générale, l’auteur dresse non seulement un état des lieux dont on connaît les principaux traits caractéristiques, mais aussi bâtit un corpus de réflexion sociologique autour des maux qui nous rongent, dont la misère et la criminalité sont les plus poignants. D’où l’originalité de ce travail. On ne retrouve pas de recours systématique aux idées européennes pour essayer d’expliquer nos travers et nos dénuements dans le champ de la gestion de la cité.

C’est au chapitre IV que l’auteur présente comme des remèdes à nos dérives qui ont commencé depuis l’assassinat de celui qui a fondé ce pays. Pour comprendre « l’humanocratie » et le « fédéralisme », il faut d’abord les définir dans le champ de la sociologie politique de notre pays. C’est ce qu’a fait Gracien Jean avec pertinence. « C’est l’adoption de principes individuels fondés sur le devoir de respect de valeurs souveraines et non communautaires. L’humanocratie veut l’implication, l’engagement et refuse le fanatisme, la vénération des personnes. Par contre, elle prône l’humilité, la modestie, l’effacement des individus. Elle met en avant l’intérêt collectif au lieu de l’individuel. »

Ce faisant, il prend le contre-pied de toutes les grandes idéologies qui ont jalonné le développement des sciences politiques : capitalisme, communisme, anarchisme et socialisme. Un rappel de toutes ces idéologies qui nous ont causé tant de mal, au 19 et 20ième siècle. Il suggère qu’on fasse table rase de celles qui ont failli et de venir avec d’autres. Ce qu’il propose c’est l’humanocratie et le fédéralisme.

Pour lui, il s’agit de changer de paradigme en profondeur et de sortir du centralisme politique qui ne nous a apporté que du mauvais et ce à tous les niveaux pour nous précipiter dans les bras du fédéralisme politique, seule planche de salut pour les Nègres d’Haïti. Enfin, le politologue souhaite conjuguer ces deux concepts politiques à la lumière de notre histoire, donc la longue transition entamée au lendemain de l’effondrement du régime héréditaire le 7 février 1986. Nous avons donc les trois manettes de la pensée du politologue à laquelle il nous convie d’adhérer ce qui chez lui, est à la fois de la théorie et de la pratique.

Son travail mérite que l’on s’y attarde car nous vivons dans un pays où les activités politiques se réduisent aux hommes et femmes qui occupent la scène politique sans que les valeurs idéologiques qui devraient leur servir de boussole ne soient mises en avant. Pourtant la politique en tant qu’art de gouverner des hommes dans la cité, est avant tout une science, qui inclut l’économie politique, les relations internationales, le droit international, la géopolitique et la diplomatie. On comprend que l’essayiste se soit intéressé à démontrer son importance capitale pour l’avenir d’une société en élaborant et en démontrant la justesse avec des arguments pertinents.

 

Maguet Delva

 

Notes :

(1) L'humanocratie et le fédéralisme étatique une alternative pour sortir Haïti de sa crise de société vieille de trois décennies de 1986 à 2016.

(2) A la semaine prochaine pour la deuxième partie de la thèse soutenue en 2020 à l’Université Royale d’Haïti. La deuxième s’intitule « L’humanocratie et le fédéralisme sont-ils viables dans le champ socio-politique d’Haïti ? »

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