Il était une fois un certain Lionel Magloire !

Cet homme éminent vient de s’éteindre à l’âge de quatre-vingts ans à Cologne (Allemagne), où il a vécu près de soixante ans. Ses amis haïtiens et allemands se souviennent de lui avec tristesse et émotion, affection et reconnaissance.

Qui mieux qu’Adolphe Drouineaud, alias Fanfan, camarade de classe à Saint-Louis-de-Gonzague, pourrait nous parler de sa jeunesse haïtienne ? Spécialiste de neurologie et psychiatrie à Baden-Baden, il évoque l’entrée en 6e de Lionel à Saint-Louis-de-Gonzague, comme d'autres élèves d’Haïti. Grand, svelte et musclé, ce très regretté membre de l'équipe d’athlétisme se distinguait notamment au 100 mètres.

 

« Sa grande intelligence et surtout son charisme, se souvient Drouineaud, ne l’empêchaient pas d’être simple, sympathique et de savoir se défendre. » Son talent s'est concentré sur les sciences naturelles, les mathématiques, la physique et la chimie. Lionel Magloire était l'un des meilleurs élèves de sa classe. De père écrivain, poète et professeur de droit, Lionel avait de vastes connaissances, notamment artistiques.

 

Dans ses rapports avec ses six sœurs, il faisait preuve d’un « naturel » dépourvu de violence, comme du reste avec les femmes en général. Il était quelqu’un de très gentil et sociable. « Une fois, en 7 ans d'école, je l'ai vu impliqué dans un match de boxe avec un camarade de classe. C'était une bataille de géants comme dans Gargantua et Pantagruel de Rabelais. »

 

« Ce qui était frappant, c'était son assurance prononcée, sa confiance en soi. », rapporte encore Fanfan. À l’École Polytechnique, il était l'un des plus brillants étudiants. Il lui est même arrivé de contredire son professeur de mathématique. Grâce à ses très bons résultats, il a reçu une bourse du  Deutscher Akademischer Austauschdienst (DAAD), l’Office allemand d'échanges universitaires, pour aller étudier à l'université technique de Clausthal-Zellerfeld (Allemagne), où il a travaillé dans le secteur minier avant de se lancer, sous l’impulsion de ses professeurs exceptionnellement enthousiastes à son sujet, dans les études de physique. Il obtint son doctorat à l'université de Munich. « Il convient de mentionner que le célèbre prix Nobel de physique, Werner Heisenberg, travaillait à l'époque à l'Institut Max Planck de Munich », souligne Fanfan. C’est ainsi que Lionel est devenu professeur à la Fachhochschule — aujourd'hui Technische Hochschule — de Cologne. « Belle réussite d’un Haïtien en Allemagne ! » se réjouit Fanfan.

 

« Un arbre géant »

Arrivé en Allemagne en 1963, Lionel Magloire aura passé près de soixante ans dans sa patrie d’adoption. « Lorsque j'ai rencontré ce cher Lionel lors du vernissage d'une exposition à Cologne à la fin de l'année 83, cet arbre géant se tenait à côté de moi avec une expression absolument bienveillante, étonnée et amusée. », raconte son ami allemand Peter Mönnig, artiste de Cologne que lui avait présenté la peintre Alice Stepanek, une amie commune. « Lionel avait une aura que j'ai toujours admirée chez lui, son étonnement juvénile, c'est ainsi que je la qualifierais. »

 

Lionel était chef de famille à cette époque, lorsqu'il a décidé de quitter la Bavière pour s’installer en Rhénanie. Appelé à Cologne à la suite de ses travaux sur la théorie des couleurs en photographie, il est entré en contact direct et étroit avec la scène artistique de cette ville, qui jouissait à l'époque d'une réputation internationale en tant que capitale fédérale de la culture. « Lionel était comme un poisson dans l'eau dans ce monde. »  

 

Peter Mönning parle du Lionel artiste, collectionneur, conseiller, roady, photographe. Il se souvient d’une grande soirée de spectacle en 1986 à l'Artothèque de Cologne, suivie d'une exposition des reliques du « Sommet rhéno-caribéen ». « C'était un physicien qui s'intéressait à l'espace et au temps. Nous avons également essayé, comme nous le faisions à l'époque, d'expliquer la mondialisation de manière esthétique. », se rappelle-t-il. Il y prenait part en photographe. Toute la famille Magloire s’y associait. Elfrun, sa femme, psychothérapeute, s’occupera du gatering, leur fils Miró, artiste, de l’ambiance musicale.

 

Mönning en garde un excellent souvenir. « Les conversations stimulantes et les légendaires après-midis de jeux que nous organisions étaient caractérisées par la tolérance et, une fois de plus, Lionel était pour moi l'étonnement, la bienveillance et le plaisir. Il pouvait le faire aussi bien devant une table dressée de manière festive que devant une œuvre d'art. Et c'était toujours un plaisir de le voir s'amuser. »

 

« Complètement dévastée »

D’autres amis de Cologne se sont joints à l’hommage : Florian et Sylvia Brovot, Fabiola, Pierre et Salomé, Carmina, Laetitia et Aurelian. « Nous nous souvenons très bien de sa créativité, de sa gaieté, de ses rires. Son ouverture à la nouveauté, sa nature positive vont nous manquer. »

 

« Je suis complètement dévastée, exprime Claudia von Mayenburg de München/Dettenschwang. Je ne peux pas imaginer que je ne reverrai jamais Lionel. Il est encore si présent dans mon esprit : je vois encore son sourire plein d'humour et j'entends encore ses "à propos". » Souvenirs. Elle revoit ses enfants s'ébattre autour de lui. Lui prenant « discrètement et obstinément » des photos.

 

Même si, ces dernières années, Lionel ne pouvait plus participer à la vie comme il le faisait auparavant, Claudia von Mayenburg croit que comme « ami cher », il lui manquera infiniment.

 

Même sentiment désemparé chez Jost von Mayenburg, de Munich/Dettenschwang : « Pour l'instant, je ne peux qu'imaginer que Lionel s'est envolé comme les dernières notes d'une musique qui s'éteint ou comme les cercles de couleur de cette peinture. En fait, il devrait toujours être parmi nous sous une autre forme. Des scènes infinies avec lui passent devant mon œil intérieur, un trésor infini de beaux souvenirs. » 

 

Pour Esther von Mayenburg de Francfort, c’est le même sentiment de désespoir. Elle n’en revient pas : « Depuis que j'ai vingt ans, vous deux, Lionel et Elfrun, faites partie de ma vie et je suis très triste que Lionel ne soit plus de ce monde. » Elle connaît le défunt depuis toujours et se rappelle des photos qu’il a prises d’elle, de son fils bébé, Jakob et de la façon dont il a tenu Jakob dans ses bras quelques semaines après sa naissance. Le petit avait cessé de pleurer.

 

« J'ai de si merveilleux souvenirs avec vous à Munich Starnberg qu’il est difficile de réaliser qu'il est décédé.», se désole aussi Cordula Paratore (Munich). Sa jeunesse, dit-elle nostalgique, est liée à Lionel. « Que de fêtes et autres activités nous avons eues ensemble ! »

 
Ce ne sont pas les seuls amis à avoir apprécié ce personnage étonnant, qui gardait sa bonne humeur même quand il allait physiquement mal. « Lionel était une personne spéciale, toujours charmante, optimiste et calme, se souvient Karin Aubert de Munich. Sa vie n'a pas été facile, étant jeté hors de la sécurité familiale dans un pays étranger à un si jeune âge. Mais miraculeusement, dès le début, ni les frontières ni les distances n'ont empêché la famille de rester liée. » 


Kirsten et Peter Kaiser de Münster ont en mémoire « un ami charmant avec un sourire céleste.  Réconfortant et, de plus, calme. »

 

Quant à Ingrid Pohl, de Berlin, Lionel est lié à des souvenirs spéciaux. « Lorsque je vivais avec Klaus-Peter à Munich, Lionel m'a initiée à la photographie en noir et blanc. Cela fait longtemps, mais c'est resté dans ma mémoire. »


Le jour des obsèques, la sœur de Lionel, Manuelle, a déclamé un poème du père de Lionel, Hébert Magloire intitulé « L’art poétique » tiré de son livre Pour que le jour se lève de la rosée. « Lionel aimait ce poème beaucoup », nous confie sa femme éplorée, Elfrun. 

 

 

Huguette Hérard

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