Haïti: avec un coup de pouce du gouvernement, les agriculteurs de riz nourrissent l’espoir de nourrir leur nation

À Haïti, les cultivateurs de riz subissent depuis de nombreuses années les effets des importations céréalières pouvant permettre de manger à moins de la moitié prix. Mais lancé l’an dernier, un programme du gouvernement s’emploie à faire de ces agriculteurs le principal grenier rizicole de la nation par la relance de la production et la restauration des systèmes d’irrigation.

 

« Cet article a été initialement publié par Global Press Journal »

PONT-SONDE, HAÏTI — L’aube pointe ici et le calme du paysage s’éclipse avec le coq qui entonne son cocorico. La rosée matinale scintille sur des feuilles vertes en attente de la chaleur qui vient du soleil. Des agriculteurs, quant à eux, armés de leurs djakouts, sacs fabriqués localement, partent à la conquête des champs.

Parmi eux, Galan Damas, cultivateur de riz de 43 ans, est propriétaire de ces terres. Selon lui, l’investissement du gouvernement dans ses cultures de riz porte ses fruits. Dans quelques mois, le riz sera prêt pour le décorticage, lâche-t-il.

En mai 2017, le gouvernement haïtien a lancé la Caravane du changement, initiative visant la relance de la production rizicole dans la vallée de l’Artibonite, principale zone riziculture du pays et terroir de Damas. Et bientôt, dans la foulée de cette initiative, jusqu’à 3 000 travailleurs temporaires vont travailler dans la région pour faire le curage des canaux d’irrigation. Et il y a 60 ans de cela, le gouvernement construisait ces canaux. Aux dires de Jean Willy Jean Baptiste, ancien sénateur et l’un des responsables de l’initiative, ces travaux seront une manne pour une centaine de ces travailleurs qui pourront décrocher un emploi pour deux ou trois ans.

L’initiative, une fois réussie, va probablement transformer le secteur rizicole d’Haïti et faire des agriculteurs haïtiens le principal grenier rizicole du pays.

Aujourd’hui, Haïti dépend encore largement du riz importé parfois 50 pour cent moins cher que le riz produit localement.

« En tant que cultivateurs de riz, on est conscient du pic des prix du riz local sur notre marché, et le coût de production du riz local explique en grande partie cette montée des prix », révèle Damas. « Moderniser l’agriculture et réduire les coûts de production est l’unique solution pour produire plus de riz ».

D’autant que l’on se souvienne, à Haïti, les gens ont toujours mangé du riz, mais la consommation de cette céréale s’est accrue à la fin des années 1980 avec l’allègement par le gouvernement haïtien des restrictions à son importation.

À l’heure actuelle, le riz est l’un des principaux produits importés sur le sol haïtien, représentant environ 8 pour cent de toutes les importations. Le pays importe environ 10 pour cent du riz cultivé aux États-Unis. Entre 2007 et 2016, le riz importé de partout dans le monde représentait plus de 80 pour cent de l’offre totale de riz du pays.

Entre 1985 et 2011, la part du riz dans l’apport calorifique moyen par jour à Haïti est passée de 7 à 23 pour cent. Les subventions accordées aux riziculteurs américains, le changement des tarifs sur les importations de riz à Haïti et d’autres changements politiques au cours de cette période ont entraîné un changement radical dans l’alimentation des Haïtiens.

« Chaque Haïtien a fini par prendre l’habitude de consommer du riz », révèle Jean Baptiste.

Pourtant, avec le riz importé qui arrive à un prix moindre, le cultivateur de riz s’englue également dans une bataille perdue. Selon une étude, une grosse marmite de riz importé coûte 175 gourdes haïtiennes alors que la même marmite remplie de riz local est proposée à 300 gourdes.

Bill Clinton, ex-locataire de la Maison Blanche, a présenté ses excuses publiques en 2010, reconnaissant que les subventions aux riziculteurs américains ont privé les agriculteurs haïtiens de la possibilité de produire du riz pour nourrir leur nation.

Et comme si cela ne suffisait pas, une grave absence d’infrastructures fait que ces agriculteurs ne peuvent jamais rêver de nourrir le pays.

« Nous ne parvenons pas à tirer le maximum de nos terres. Le résultat en est que la production sert uniquement à la consommation familiale, avec très peu de surplus à vendre, mais pas assez pour en faire une industrie », précise Damas.

Dans son analyse réalisée en 2017, le Copenhagen Consensus Center, un groupe de réflexion basé aux États-Unis qui traite des questions économiques, a révélé que frapper le riz importé des tarifs douaniers entraînerait aujourd’hui des hausses de coûts pour les consommateurs, tandis que les agriculteurs haïtiens ne seraient pas forcément capables d’augmenter leur rendement pour répondre à la demande. Et il est par ailleurs peu probable que d’autres options possibles, telles que les subventions aux engrais et l’assurance-récolte, aident à résoudre le problème en l’absence d’autres interventions.

Le Copenhagen Consensus Center a toutefois effectué son analyse sur base des capacités et des infrastructures actuelles du secteur agricole haïtien. (Ce centre et son directeur, Bjorn Lomborg, ont fait l’objet de critiques pour leur position sur la politique concernant le changement climatique. L’analyse visée ici porte sur des questions d’ordre économique et non climatique).

Si la Caravane du changement réussit à améliorer les systèmes d’irrigation actuels et à les étendre sur 18 000 hectares supplémentaires, une superficie de 50 000 hectares au total sera disponible pour la riziculture dans la vallée de l’Artibonite, affirme Jean Baptiste. À l’heure actuelle, il existe des canaux d’irrigation sur environ 32 000 hectares.

La solution au problème alimentaire haïtien devrait trouver sa source à l’intérieur d’Haïti, précise-t-il.

« Il est vrai que d’autres pays peuvent nous venir en aide, mais c’est nous les acteurs qui doivent commencer avec les ressources du pays », ajoute-t-il.

Sylvain Sama, un agronome qui travaille avec l’Organisme de développement de la vallée de l’Artibonite, affirme que les problèmes clés du secteur rizicole haïtien sont le manque d’infrastructures, l’utilisation persistante de vieilles techniques agricoles et le manque d’argent pour investir dans ce secteur. Le développement des infrastructures n’apporte qu’une solution partielle au problème, fait-il savoir. Il importe également que les agriculteurs aient accès aux meilleures infrastructures commerciales notamment l’accès aux institutions de crédit et à d’autres systèmes d’appui auxquels devraient s’ajouter la modernisation du matériel et l’aménagement des bassins versants.

« On ne peut pas compter sur la pluie pour cultiver le riz », renchérit-il. « Il est l’heure pour nous d’enclencher l’aménagement des bassins versants ».

Sama se départ de son pessimisme. La Caravane du changement est un coup de pouce pour les cultivateurs de riz, car elle réalise le curage des canaux et le drainage bien que beaucoup reste à faire.

« Augmenter le volume de la production de riz dépend entièrement de nous », dit-il.

Toutefois, nombreux agriculteurs font face à un problème plus fondamental, à savoir que la plupart des gens dans ce pays vivent au jour le jour, avec peu ou pas d’épargne pour développer leurs activités. Dans l’ensemble, les agriculteurs affirment que ce qui les inquiète le plus, c’est de trouver de l’argent pour faire l’épargne en vue des investissements tant en capital qu’au quotidien.

Selon Max Démosthène, 65, cultivateur de riz, le plus important pour lui est non seulement la formation aux techniques agricoles mais aussi le financement pour investir dans ses activités agricoles.

Les agriculteurs haïtiens ont besoin d’une agence de crédit axée sur l’agriculture, rappelle-t-il. Ces changements, ajoutés à une nouvelle expertise sur le meilleur moyen de gérer la production rizicole, permettraient aux agriculteurs haïtiens de reconquérir le marché, conseille-t-il.

« Ce n’est pas bon de dépendre des autres pour avoir à manger surtout que nous avons non seulement beaucoup de terres mais aussi des moyens de faire produire nos terres », fait-il savoir.

Cet espoir dans la capacité des terres à produire a poussé les agriculteurs à se montrer enthousiastes à l’idée de pouvoir user de leurs compétences. Leur espoir est qu’un jour ils pourront nourrir la nation, affirment-ils.

« Nous espérons que le gouvernement travaillera main dans la main avec les agriculteurs pour sortir le pays des importations et de la faim », confie Damas.

Adapté à partir de sa version originale en français par Ndayaho Sylvestre, GPJ.

 

Anne Myriam Bolivar

Global Press Journal Haïti

 

« Global Press Journal est une publication internationale à but non lucratif ayant reçu plusieurs prix et qui emploie des femmes journalistes locales au sein de plus de 40 bureaux d’information indépendants en Afrique, en Asie et en Amérique latine »

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

0 COMMENTAIRES