L'environnement politique haïtien est traversé de vents contraires, les gros nuages d'orage s'amoncellent et nulle embellie n'apparaît hélas à l'horizon. Nous avons des femmes et des hommes qui aspirent à diriger le pays, même au péril de leur vie. Toutefois, il existe très peu de débats d'idées à même d’alimenter une vision partagée de ce que nous voulons faire de cette République effondrée. La diplomatie haïtienne peine à faire entendre la voix d'Haïti dans le concert des nations, à se projeter sur la carte mondiale.
C'est dans ce contexte de vide idéologique que le cinéaste Arnold Antonin présentera bientôt au public son dernier documentaire intitulé « Anténor Firmin entre l'épée et la plume ou de l'égalité des races humaines ». Une sorte de récit imagé, une "lodyans cinématographique" dans laquelle le comédien Johnson Désir entre dans la peau de Firmin pour raconter la vie de cet illustre intellectuel. Dans ce rôle, ce jeune artiste s’est révélé par son jeu à la fois sobre et solennel. On peut en dire autant de Farah Désir, la folle qui chante et danse des fragments de textes éparpillés dans le temps et perdus dans l'espace.
Une belle tranche de notre histoire de la seconde moitié du 19e siècle : batailles d'idées entre libéraux et nationaux, guerres fratricides et exils, mais aussi et surtout le rêve d'un homme d'une nation moderne, phare du progrès dans les Amériques.
Le spectateur bénéficie, comme toujours dans les documentaires d'Arnold Antonin, d'explications d'historiens et essayistes comme Émile Eyma, Pierre Buteau, Michel Soukar, Aymery Cicéron, Myron Jackson, Nathalie Pierre et Leslie Péan. Des lecteurs avertis qui offrent aux spectateurs l'occasion d'approfondir une œuvre incontournable dans ses dimensions politique, historique et diplomatique. Une plongée dans le temps des baïonnettes, où l'on voit s'affronter les généraux traîneurs de sabres, les pontes du vieux militarisme haïtien et un projet politique porté par un Firmin droit dans ses bottes, car l'homme savait aussi se battre pour ses idées.
Nos politiques et universitaires de même les jeunes ont donc la possibilité de redécouvrir Firmin - certains, celle de le découvrir - et c’est une bonne chose. À un moment où la violence dans le débat politique est à son paroxysme, Anténor Firmin par sa modernité et son exemplarité à chaque fois qu'il eut à diriger les finances de la République, demeure un horizon indépassable.
Le public attend avec impatience ce film qui campe si bien le défenseur « De l'égalité des races humaines », le concepteur de l'idée d'une fédération des Antilles, l'économiste de belle eau, l'homme d'État conséquent ! Autant de qualités pouvant susciter moult débats et servir d'inspiration à ceux qui ont la prétention de présider aux destinées de cette nation aujourd'hui en lambeaux.
Arnold Antonin a suivi les traces de l'homme et visité les multiples lieux de ses exils. Un fin travail de reconstitution qui mérite à être connu. Chapeau l'artiste !
Roody Edmé
