Où se cachent nos intellectuels?

Ils ont étudié, lu, voyagé, écrit, participé à des conférences, sont intervenus dans les médias pour propager leurs idées, ont travaillé dans la clandestinité avec une détermination à toute épreuve, n’ont pas lâché prise même quand leurs camarades avaient été emportés à Fort- Dimanche pour ne plus revenir chez eux. Ils ont pris tous les risques durant la période dictatoriale. Aujourd’hui que ladite démocratie s’étend dans toute sa lugubre splendeur et que plus de trente ans sont déjà passés comme « La discorde aux cent voix », dans quel lieu se cachent-ils?

 

L’âge et ses désillusions les ont forcés à la retraite, hors des débats, désabusés de la répétition des erreurs, fatigués par la maladie, se sentant impuissants devant les dégâts d’un pays ruiné, ne pouvant plus élever une parole de protestation contre les tuteurs internationaux, laissant donc la place libre aux idées imposées face auxquelles les nouvelles générations n’ont d’argument que celui de déclarer l’échec.

 

Les intellectuels haïtiens sont-ils une espèce en voie de disparition?

Dans un monde marqué par « la mort des idéologies » et la standardisation des formules au sujet de la qualité de la vie, la monotonie académique remplace l’éloquence véhémente.La grande lyrique des protestations matures est laissée à la foule qu’on manipule au gré de ponctuelles conjonctures électorales.La rythmique des normes culturelles imposées devient le grand rituel spectaculaire duquel on sort avec beaucoup plus de snobisme formaliste que d’engagement à faire avancer d’un cran les atavismes sociaux.

 

Remarquez qu’il ne s’agit pas, ici, d’une défense et illustration d’un réalisme socialiste désuet. Il y est plutôt question d’une critique de l’institutionnalisation culturelle et d’une mondialisation des valeurs que la retraite intellectuelle « tiers-mondiste » ne permet pas aux générations actuelles d’analyser.

 

 

La funeste leçon télécommandée n’a pas été apprise. La retraite des idées clairvoyantes de l’intellectuel organique a laissé la place libre à l’abstraction formaliste du discours, à la programmation mécaniste des concepts et à l’insidieuse infiltration d’une volonté post-moderne de domination qui veut coloniser le lieu idéal de la pensée révolutionnaire: les neurones.

 

Où se cachent les intellectuels quand leur pays est livré au spectacle de la pitié internationale? Où se cachent les intellectuels quand des manœuvriers politiques utilisent l’enjeu bakoulou de la résistance nationaliste quand il est plutôt question de l’affairisme « petit-bourgeois »?

 

Où se cachent nos intellectuels qui n’osent pas dire que construire des routes, des ponts, des marchés publics, des bibliothèques, des salles de théâtre est la responsabilité d’une élite responsable? Où se cachent nos intellectuels quand toute la nation est livrée à l’anarchie soudoyée, à la destruction des valeurs éthiques, à la promotion de l’indécence et du populisme? Où se cachent nos intellectuels quand la grande division sociale est entretenue par de multiples sectes religieuses dont le ministère des Cultes a perdu tout contrôle sur le territoire national?

 

Où se cachent, enfin, nos intellectuels pour proposer des idées contre cette transition maintenue, financée, médiatisée pour illustrer l’idée, académiquement soutenue, de la mort des idéologies et du décès, longtemps annoncé, d’une nation dite rebelle et ingouvernable?

 

La Rédaction

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