« Haïti n’en peut plus ! » lance à Bruxelles l’Haïtienne Martine Larose en larmes

À l’occasion du dixième anniversaire du séisme, des commémorations ont eu lieu un peu partout en Europe. À Bruxelles, des Haïtiens du Benelux - ainsi que quelques Belges - s’en sont souvenus, avec émotion. Comme si c’était hier.

12 janvier 2020, 3 heures de l’après-midi. Les invités de la mission d’Haïti en Belgique commencent à rejoindre le local du Centre International pour la Ville, l’Architecture et le paysage (CIVA) où aura lieu la cérémonie. Il s’agit d’une commémoration mixte, avec une partie religieuse - pour les croyants - et des moments de témoignages entrecoupés de chants traditionnels haïtiens. Ce format a un but. « Histoire de satisfaire toutes les sensibilités », expliquent les organisateurs.

Après le rappel du douloureux bilan du séisme établi par Jean-Becker Edmond, chargé d’affaires de l’Ambassade haïtienne près le Benelux et l’Union européenne, la première partie – le moment religieux – peut alors commencer. Au-delà de la nature dévote des chants, des prières des officiants et des témoignages des autres intervenants, ils convergent tous vers un même thème : l’espoir. Que ce soit l’intervention du prêtre haïtien Claude Ciné, celle du révérend pasteur belge Bruno Jocelyn ou du théologien protestant haïtien Jonathan Julien, le fond de leur message est quasiment le même : la nécessité de s’unir pour surmonter l’adversité. L’espoir qu’après le deuil qui reste encore à faire, la volonté de dompter l’avenir puisse être une réalité.

Il en est de même pour les gens appelés à témoigner. Jonathan Julien a parlé de rassemblement et de réconciliation afin de réparer les torts de la nature. L’âme volant au secours du corps. Le Belge Pierre Pensis dont la maison à Port-au-Prince s’est effondrée sur sa famille et sur lui, le 12 janvier 2010, a émis le même vœu. Encore sous le coup de l’émotion, il raconte qu’il ne rate aucune célébration, qui, à chaque fois, fait office de catharsis. Il a même écrit un ouvrage sur cet événement malheureux pour atténuer le traumatisme.

Le moment assurément le plus émouvant est lorsque Martine Larose, une compatriote engagée et bien connue de la communauté haïtienne de Bruxelles, devait prendre la parole pour témoigner. À peine a-t-elle dit « je me rappelle ce jour-là où » qu’elle s’est arrêtée net : des sanglots lui coupaient la parole. Quand, après quelques longues secondes, elle s’est reprise, toute bouleversante de désespoir, elle a crié d’une voix empreinte d’émotion vive : « Haïti n’en peut plus ! » avant d’exhorter ses compatriotes à l’union. Pour elle, c’est la seule manière de pouvoir affronter les malheurs de toutes sortes auxquels le peuple haïtien est constamment exposé. Et il ne s’agit pas seulement des catastrophes naturelles qui s’abattent régulièrement sur ce pays, mais celles que les gens eux-mêmes s’infligent sciemment.

Espoir

C’étaient à peu près les mêmes propos qu’a tenus Yanick Ruben-Charles, porte-parole de la communauté catholique haïtienne de Bruxelles. En évoquant avec une émotion contenue comment elle a appris il y a dix ans la nouvelle du tremblement de terre, elle a terminé elle aussi sur une note d’espoir, celui de voir les siens « s’unir » afin de mieux faire face aux calamités.

Quant au peintre Kevens Prévaris, représentant à Bruxelles du ministère haïtien de la Culture et de la Communication, il a plutôt témoigné en artiste en invitant le public à regarder l’œuvre qu’il a réalisée à Port-au-Prince en mars 2010 intitulée « L’œil du tremblement de terre » [voir tableau]. Il a vécu le tremblement de terre dans sa chair, mais la plaie psychique ne s’est pas refermée. « Certaines blessures ne cicatrisent pas, les blessures physiques parfois, mais celles de l’âme, jamais. », dira-t-il en parodiant le personnage Georges Baudelaire du roman « Maître-Minuit » (Éditions Zulma, 2018) de l’écrivain haïtien Makenzy Orcel, son ami. Se référant encore à cet auteur, le peintre a affirmé que « l’œuvre n’a pas besoin du support de la parole parlée pour affronter le temps ». C’est ce qu’il a fait en usant d’images au lieu de mots, ce qui n’empêche guère son témoignage d’être aussi émouvant que les autres et de transpirer aussi l’espoir.

Même la chanteuse Marlène Dorcéna qui, par « déception », ne voulait pas s’exprimer sur le sujet, a parlé d’espoir qui fait vivre. Dépitée de l’état catastrophique de son pays 10 ans plus tard, elle souhaitait s’abstenir de tout témoignage, mais le hasard en avait décidé autrement. Quant aux chants qu’elle a interprétés avec un Raoul Nassar avec sa flûte en bandoulière et le musicien ténor Jonathan Julien, ils ont célébré certes le deuil (« Fèy o »), le désespoir (« Yon sèl pitit »), mais aussi l’espoir (« Wongolo, wale, kilè wa vini wè m, peyi a chanje ? »). Cette dernière chanson populaire interprétée avec brio fermera la partie commémorative qui aura réuni, ce dimanche après-midi, près d’une trentaine de représentations diplomatiques étrangères.

À ceux qui déploraient l’absence d’un prêtre vaudouisant parmi les officiants composés d’un prêtre, d’un pasteur et d’un théologien laïc, M. Edmond a expliqué que ses collaborateurs n’avaient pas trouvé de représentant de ce culte à Bruxelles. Au départ, il avait le projet d’organiser une cérémonie vraiment œcuménique, mais la difficulté de trouver un voudouisant l’en aurait empêché. « Nous ne voulions pas, s’excuse-t-il contrit, offenser personne, exclure aucune confession ». Il promet que la prochaine fois, son équipe et lui tacheront de trouver un prêtre vaudou prêt à pendre part à ce genre de célébration.

Malgré cette commémoration amputée de la liturgie vaudou, le message de sagesse, de réconciliation, de paix et de solidarité était bel et bien présent. Reste à savoir s’il trouvera des oreilles complaisantes et des âmes prospères prêtes à passer à l’action, c’est-à-dire réparer le passé, forger un présent plus apaisé afin de transformer les conditions socio-économiques et politiques de notre pays meurtri.

Huguette Hérard
 

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