Alors que les élections devant renouveler le Conseil Exécutif de l’Université d’État d’Haïti (UEH) étaient prévues pour le 16 février 2025, elles ont été une nouvelle fois reportées, plongeant l’institution dans une impasse électorale. Ce blocage traduit-il une crise institutionnelle profonde ou au contraire une volonté de redressement démocratique ? L’UEH est-elle réellement à l’image du pays, en proie à des crises à répétition ? Le vice-recteur aux affaires académiques, Jean Poincy, fait le point sur les principaux obstacles, les enjeux du processus et l’impact de ce report sur l’administration et l’avenir de l’université.
Ce deuxième report des élections traduit-il, selon vous, une crise institutionnelle au sein de l'UEH ? Quels sont les principaux blocages ?
Je ne parlerais pas d’un report des élections, mais plutôt d’un processus électoral qui butte à un cul-de-sac qui met en valeur les institutions démocratiques auxquelles s’accroche l’UEH depuis 1997. Ce que beaucoup tendent à qualifier de crise institutionnelle n’est concrètement que l’état de convalescence de l’université tirée d’un marécage de violations de principes depuis des lustres ; soit par complaisance des uns et par celle des autres en appui à ceux qui sont appelés à faire respecter les règles du jeu. En l’occurrence, le président de l’ancienne Commission Electorale Centrale (CE) qui a cuisiné le processus électoral dans son intégralité pour démissionner de son poste incessamment après la publication du calendrier électoral en vue de se porter candidat au poste de recteur.
Qui pis est, il voulait que les élections se réalisent avec un électorat truffé d’irrégularités et d’illégitimité à hauteur de 52% depuis 2016 ou 2017 dont 4 Doyens, 7 professeurs et 2 étudiants étaient illégitimes ; et six postes de représentants d’étudiants vacants. Tous les illégitimes le supportaient et réclamaient avec véhémence les élections devant renouveler le Conseil Exécutif (CE) aussitôt que possible. La contestation du processus résultant débouchant sur l’épuration de la liste électorale a conduit à la prorogation du CE jusqu’au 15 décembre 2024 moyennant un délai accordé aux 4 décanats jusqu’au 20 novembre 2024 pour se régulariser. Rien n’a jamais entrepris dans ce sens pour 3 d’entre elles jusqu’à la fin de ladite prorogation et a laissé l’électorat amputé de beaucoup de membres légitimes du Conseil de l’UEH (CU) pour rendre effective la réalisation des élections.
S’il faut identifier succinctement les principaux blocages, il convient de parler d’un manque d’électeurs légitimes au sein de l’électorat. La liste des électeurs légitimes réduite à 24 a rendu fragile le quorum requis fixé au nombre de 24 électeurs légitimes pour réaliser les élections à la date du 9 février 2024. Seulement 21 étaient présents. Toutefois, la charte électorale a permis un report à la huitaine moyennant une baisse du quorum à 21 électeurs légitimes. En effet, le 16 février 2024 marquant la reprise, le quorum de 21 n’a pas été atteint. Seulement 20 étaient présents. Aucune provision institutionnelle n’étant prévue en conséquence, un retour à la case départ s’impose. Malgré tout, déterminé à réaliser les élections, un groupe a constitué un bureau sans provision légale pour enfanter une élection aux forceps. Ce qui mérite d’être qualifié de tentative d’un vrai coup-d’ état électoral, avortée bien sûr grâce à un minimum de probité intellectuelle de certains membres.
Comment garantir un processus électoral crédible et inclusif dans un climat aussi incertain ?
La crédibilité du processus électoral n’est pas remise en question. Au contraire, le fait d’obliger au groupe qui supporte le président-démissionnaire-candidat au poste de Recteur d’agir selon les prescrits de la Charte Electorale, les Dispositions Transitoires et les Règlement Internes du CU garantissent la crédibilité du processus. Le fait d’exiger de combler les postes de représentants d’étudiants et de remplacer les Doyens et Professeurs illégitimes au sein du CU le rend tout aussi bien inclusif. C’est pourquoi j’ai déjà parlé de la convalescence des institutions de l’UEH. S’il n’y avait pas la forte opposition aux violations des principes, l’UEH serait encore empêtrée dans l’illégitimité sous une couverture apparente de stabilité malgré ses conditions de fonctionnement précaires. Le climat incertain du pays aucune influence sur la crédibilité du processus électoral.
Le report des élections a-t-il un impact sur le fonctionnement académique et administratif de l’UEH ? Si oui, comment y remédier ?
Aucunement ! le seul handicap au fonctionnement académique et administratif est le fait que 63% des entités de l’UEH sont sans abris et qu’il faut trouver un moyen de les loger. Un système administratif est en place et travaille en toute cohésion avec les entités malgré leurs difficultés et le Ministère des Finances. Cependant, le fonctionnement académique souffre sévèrement de l’insécurité généralisée qui sévit dans le pays et qui affecte tout le monde dans la région métropolitaine.
Certains estiment que l’UEH est à l’image du pays, avec des crises à répétition. Partagez-vous cette analyse ? Comment l’université peut-elle contribuer à une transformation nationale ?
Je répondrais catégoriquement non, parce que ce qui se passe actuellement au niveau de l’UEH autour des élections se distingue largement des autres organisations du pays. Au contraire, c’est parce qu’elle s’oppose catégoriquement aux dérives de toutes sortes connues ailleurs ; elle dit un non catégorique aux violations des principes et normes administratives qui régissent son fonctionnement. Il faut plutôt considérer les frictions électorales actuelles comme une fièvre indiquant le degré d’une infection qui mine la santé du corps. Le diagnostic étant fait, l’administration du remède en cours perturbe les éléments nuisibles au corps. Un traitement mal administré risque de provoquer une occurrence fatale. Le président-démissionnaire-candidat au poste de Recteur est le chef d’orchestre de toute violation de principes confortant et consolidant plusieurs décanats, professeurs et étudiants dans l’illégitimité depuis 2016-2017 à date. La commission électorale qu’il présidait avait pour mission de veiller à la tenue des élections régulières dans toutes ces entités et à tous les niveaux, mais elle n’a jamais rien fait sous ses directives pour conforter les illégitimes afin de gagner leurs votes lors des élections.
Le fait que certains membres du CU s’érigent contre les violations du président-démissionnaire-candidat jusqu’à la dernière tentative de forcer une élection pour l’élire est un début de transformation pouvant être émulée par le reste de la société qui patauge dans l’illégalité et l’illégitimité. Si le CU se laisse berné par lui et ses nombreux sympathisants fervents défenseurs d’une UEH démocratique dans le temps, et fait choix de lui comme Recteur quand les élections auront lieu, l’UEH va sombrer dans des dérives institutionnelles jusque-là incomparables et inouïes et le pays peut perdre aussi l’espoir de se transformer.
Vladimir Predvil