Les étudiants qui risquent l’auto-stop pour se rendre à l’école

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Les étudiants qui vivent en périphérie de la deuxième plus grande ville d'Haïti doivent parcourir de longues distances sur des chemins de terre pour atteindre leurs collèges. Les nombreux étudiants qui n'ont pas de voiture ou de taxi doivent héler un conducteur de voiture (ou essayer de le faire).

NDLR: Cette histoire a été initialement publiée par Global Press Journal. Global Press Journal est une publication internationale à but non lucratif (ayant reçu plusieurs prix) qui emploie des femmes journalistes locales au sein de plus de 40 bureaux d’information indépendants en Afrique, en Asie et en Amérique latine.

CAP-HAÏTIEN, HAITI — Sherlyne Ligène a passé cinq ans à étudier pour réaliser son rêve de devenir créatrice de mode, mais son plus grand défi n'a pas été de terminer ses études.

Pour aller en classe - à l'Université Publique du Nord au Cap-Haïtien (UPNCH) et à SOS Villages d'Enfants, une école professionnelle à un peu plus d'un kilomètre de là - elle devait parcourir un long, poussiéreux chemin de terre sans autres options de transport en commun que les motos-taxis. C'est le seul parcours disponible pour les étudiants des environs de la deuxième plus grande ville d'Haïti de se rendre à ses deux écoles. Pour ceux qui ne peuvent pas se payer régulièrement des taxis motos, l'auto-stop est leur seule option.

Ligène, qui a obtenu son diplôme en 2021 et dirige maintenant sa propre entreprise vendant ses créations de vêtements et d'accessoires, explique que le trajet de 30 minutes en moto-taxi pour se rendre à l'école via le quartier du Haut-du-Cap coûtait 150 gourdes haïtiennes (environ 1 dollar américain); sans revenus, elle ne pouvait pas se payer ce mode de transport, alors elle faisait de l'auto-stop tous les jour.

« Il y avait des chauffeurs qui faisaient parfois semblant de s’arrêter pour nous, » raconte Ligène. « On les voyait ralentir mais dès qu’on commençais à marcher vers eux, ils démarraient. C'est très humiliant pour nous, surtout quand d'autres personnes nous regardent. »

A mesure que le coût du carburant a considérablement augmenté en Haïti, le prix d'un trajet en moto-taxi a plus que triplé pour atteindre 500 gourdes haïtiennes (3,60 dollars) au cours des deux dernières années.

La route n'a connu aucune amélioration au fil des ans. Les étudiants sont souvent exposés aux eaux de crue de la rivière voisine, ce qui la rend impraticable pour les motos-taxis.

Pour les élèves qui habitent le sud de la ville, en provenance de la Madeleine, un quartier de La Petite Anse, la seule voie d'accès aux écoles est aussi un chemin de terre, bourré de creux. Cette route n'est pas à risque d’inondation mais, comme la route du nord, elle est poussiéreuse pendant l'été et boueuse pendant la saison des pluies.

Si les élèves ne peuvent pas se rendre à l'école en moto-taxi ou en auto-stop, beaucoup doivent rentrer chez eux, incapables d'accéder à leur éducation ce jour-là. Les collèges n'offrent aucun moyen de transport pour leurs étudiants et les annonces d'amélioration des routes au fil des ans ont été accueillies avec scepticisme par ceux qui ont enduré ces parcours risqués pendant des années.

SOS Villages d'Enfants, où Ligène a étudié la haute couture, a été créé au Cap-Haïtien en 1989 et propose neuf programmes professionnels, dont la plomberie, la cosmétologie et la mécanique automobile, à plus de 800 élèves, explique la directrice Sandy Gabriel.

« Bien que l'école professionnelle ne fournisse pas de bus ou de moyens de transport alternatifs aux élèves qui viennent de près ou de loin, ils parviennent quand même à faire le trajet jusqu'à l'école », explique Gabriel. « Certains d'entre eux prennent un moto-taxi et d'autres font de l'auto-stop. »

Plus loin sur la route, desservant environ 2 000 étudiants, l'UPNCH est l'une des 18 universités publiques d'Haïti qui relèvent du ministère de l'Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle, incluant deux, dont l'UPNCH, au Cap-Haïtien.

Sadrack Ordena, secrétaire générale de l'université et ancienne élève, a déclaré que lors de l'ouverture de l'école en 2007, un bus était prévu pour les étudiants, mais il a cessé de fonctionner après deux ans – une décision qu'elle n'a pas pu expliquer.

Les étudiants ne sont pas les seuls à avoir des difficultés de transport. Alors que certains enseignants ont des voitures, ceux qui n'en ont pas et qui ne trouvent pas de collègues pour les emmener, doivent également faire de l'auto-stop.

Splandeur Toussaint, ancien élève de l'UPNCH et maintenant professeur de statistiques à temps partiel à l'université, dit avoir entendu des rumeurs d'élèves et d'enseignants agressés lors de leur trajet quotidien vers les écoles.

« En général, les gens préfèrent ne pas en parler », explique Toussaint, évoquant toute attaque contre ceux qui se rendent à l'école en stop. «Je ne suis pas surpris que l'identité des victimes n'ait pas été révélée. »

Ordena et Gabriel réfutent tous les deux que quiconque ait été agressé lors d'un trajet vers les écoles.

L'inspecteur de police du Haut-du-Cap, Edrice Demesvar, dit être au courant d'un incident survenu en mars lorsqu'une étudiante a été agressée pendant qu'elle se rendait à l'université en auto-stop. L'étudiante a été agressée par le conducteur du véhicule dans lequel elle avait voyagé après avoir exigé le paiement du trajet; elle a eu un bras cassé. Le conducteur a depuis été arrêté, a déclaré Demesvar.

Les risques de l'auto-stop sont une peur quotidienne pour beaucoup.

« Je n'aime vraiment pas faire de l'auto-stop », déclare Lovenski Chery, étudiante à l'université.

« Parfois nous rencontrons des gens très gentils qui nous emmènent, mais nous rencontrons aussi d’autres qui nous font des avances et nous harcèlent sexuellement. »

Mais alors que les dirigeants de ces écoles confirment qu'ils sont en train de prendre des mesures pour remédier à la situation, ils admettent avoir d'autres projets qu'ils jugent plus importants que de garantir un mode de transport fiable et sûr pour les étudiants.

« Nous prenons les mesures nécessaires pour obtenir un bus pour les élèves, mais nous avons d'autres priorités en ce moment, comme la construction de plus de salles de classe en raison du nombre croissant d'élèves », a déclaré Ordena. « L'insécurité est partout. Les choses ne vont pas aussi mal au Cap-Haïtien, mais nous nous inquiétons toujours du fait que nos étudiants fassent de l'auto-stop tous les jours. »

Le maire adjoint du Cap-Haïtien, Patrick Almonor, n'était pas disponible pour commentaire.

Philippe Valcin, qui est le coordinateur de l'Assemblée de la Section Communale de Petite Anse, la division administrative de Petite Anse, dit qu'un projet est prévu pour améliorer les routes nord et sud avec un financement de la Banque Mondiale, le Programme des Nations Unies pour le Développement et l'Agence Américaine pour le Développement International. Les plans comprennent le resurfaçage de la route et le détournement de la rivière voisine vers le nord pour arrêter les inondations après de fortes pluies.

Certains étudiants doutent que le projet aille de l'avant.

« On nous a répété les mêmes choses encore et encore », raconte Jonas Ortil, étudiant en mécanique automobile à l'école professionnelle. « Mais j'espère vraiment que quelque chose sera fait; ce serait un tel soulagement pour la majorité des étudiants comme moi. »

Entre temps, Ligène déclare qu'elle n'oubliera jamais ses années d'auto-stop. Elle se souvient de toutes les humiliations et des gens lui disant à quel point elle était misérable et effrontée d’avoir fait de l'auto-stop pour se rendre à l'école.

« Faire de l’auto-stop a été pour moi très économique, » dit Ligène. « Je n’oublierai jamais ce chapitre de ma vie. Mais maintenant que je construis ma carrière, je sais que tout cela n’a pas été en vain. »

 

 

Verlande Cadet, Global Press Journal Haiti

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