Pestel au cours des ans

Pestel, telle que nous la voyons aujourd'hui, n'est pas seulement un simple village de pêcheurs, mais elle est tributaire d'une longue histoire passionnante, écrite en lettres d'or par des hommes de grandes visions dont le corollaire était la justice sociale. Sa longue marche vers l'histoire remontée depuis l'époque coloniale est documentée par plusieurs historiens. Si intéressante qu'elle soit, elle est retracée ici pour une lecture appréciable.

À l'époque précolombienne, Pestel faisait partie du caciquat Xaragua dirigé par la reine Anacaona.  On ne connait pas par quel nom  les Amérindiens l'ont appelé. Sa première appellation connue est remontée à la période coloniale française. 

Fond-du-Bourg était par ce nom que les premiers Français qui la fréquentèrent ( Moreau,  St Méry) l'appelèrent. Ils étaient pour la plupart des gens venus faire d'immenses provisions de chair de bœufs sauvages et de cochons marron pullulant dans ses mornes boisés.  Ce n'est qu'après qu'elle porte le présent nom. Elle fut un des cantons de la Paroisse de Jérémie et plus tard un quartier de Corail jusqu'à son érection en commune en 1843. 

Son nom actuel, Pestel le doit  à un colon français : François Pestel, originaire de Granville en Normandie, qui s'installa vers 1750 à Jérémie. Habile commerçant, il devint rapidement riche propriétaire, étendit ses exploitations dans les différentes iles avoisinantes et fut nommé Commandant des Milices du quartier des Cayemites (brochure de l'édition 1989 de la Fête de la Mer). Veuf de Julienne Anne Morel, il mourut à 52 ans le 11 décembre 1778 laissant ses affaires à son neveu Nicolas Pestel qui donna son nom à toute la localité. Ce dernier y laissa après la bataille opposant les Blancs aux Affranchis. Il était venu pour exploiter et non résider.

François Pestel n'est pas toutefois la première personne à mettre les pieds dans cette contrée, car des ossements humains et des objets faits de la terre cuite découverts dans la grotte aux Indes, relate Moreau de Saint Méry, par les aventuriers français témoignent de la présence des Indiens dans la région. Sans compter, en octobre 1685 deux galères espagnoles vinrent à la baie des Cayemites pour piller, mais n'y restèrent pas pour longtemps et s'embarquèrent pour Corail, a signalé Moreau de Saint Méry. Elle eut eu des visites des boucaniers qui s'établirent dans les nippes depuis 1653. 

Dans l'intervalle, les pirates, la trouvant un beau cachet, la colonisèrent; c'est là qu'ils prirent l'habitude de venir partager leur butin et de se refaire une santé après une journée de représailles contre les bateaux espagnols traversant la rade. Le point d'eau saumâtre « Source salée » aurait été la première cause de leur installation.  Source salée leur servit de source pour leur consommation. 

Iles Cayemites sont en tout cas le premier endroit fréquenté par les Pirates français.  En 1756, la zone ne comptait qu'une douzaine d'habitants selon l'estimation de l'historien Moreau St Méry; c'étaient des anciens frères de la côte qui y vivaient d'une manière à demi-sauvage. Deux noms sont mentionnés : Durand, ancien corsaire, et Lesclavon, ancien flibustier. Habiles en art militaire, c'étaient eux qui résistèrent à la marine anglaise qui vint dans la rade pour piller.  

Tandis que Plymouth (nom d'un esclave marron donné à la partie localisée au bas du Pic Macaya) des cantons du quartier de Cayemites ( située à l'entrée sud) était déjà habité depuis 1720 par des nègres marrons puis par certains colons intéressés par le commerce de café. De ces personnes, on retient le nom de Farin, un ancien officier de la maréchaussée, mais son passage était de courte durée, Fourcaud, et Lacour qui y débarqua en janvier 1770. Ce sont eux qui ont encouragé d'autres gens à venir s'y installer. 

 Quelques années plus tard, il y eut l'arrivée de plusieurs colons dont  Jacques et Bernard Goux, Jean Savon, Antoine Romain, Michel Mabilais, Jean-François, Boutinat Desriveaux, Jean Terrasson, Joseph de Beaumont, Pierre Tozia, Jacques Pierre Laclotte, Jean Baptiste et Ambroise Billard, Pierre Jorry-Guiberry, Rey Dupré, Ferrier, Lasalle, Lanaux, Savon de Brémont, Lacomb, Laurent Ménard, Lesseur, Lefèvre, Pierre Lafièvre, Charles Adam, Clément Jeudy, Gelin (habitant de Martinique), Dorvilier, Durocher, Cadet, Jean Cassous ( les Manuscrits de maitre Antoine Gilles) . Dès leur arrivée, ils prirent possession de toutes les habitations. À Duchity, le colon s'appelant Duc Huty fonda une maison d'esclave. Les vestiges de ce manoir colonial existent à date. À Cassou, il existe encore des ruines d'une citerne coloniale. Sur cette habitation était construit un dispensaire militaire. D'où le nom de la zone « Mòn Lopital ».  À Desriveaux, on construit l'Habitation Clément qui reste célèbre dans l'histoire d'Haïti.

D'année en année, Pestel attira d'autres gens et devint un quartier important de la Paroisse de Jérémie. Grâce à la route du désert reliant Plymouth à l'embarcadère, citée par Moreau St Méry dans son ouvrage, elle devint un véritable port de commerce. Depuis son embarcadère,  les Français embarquèrent le café pour l'Europe. En plus, des échanges s'effectuèrent entre la zone et La Plaine du Cul-de-sac. D'où son importance dans plusieurs batailles mettant aux prises Blancs et Affranchis. 

En 1792, le concordat des Blancs et des hommes de couleur à la Croix des Bouquets souleva le mécontentement des hommes de couleur de Pestel; les frères Lafond vivant à Cayemites à la tête d'une troupe parvinrent à vaincre les Blancs de la Grand 'Anse.  

Le 19 juin 1793, pour la deuxième fois, une révolte éclata à Pestel; les Planteurs blancs de la zone contestèrent la loi du 4 avril 1792 établissant l'égalité entre Blancs et affranchis.  Dans cette bataille, il y eut un fils de Jean Bernard qui se trouva dans les rangs des rebelles. 

Rigaud ordonné par les Commissaires prit le commandement d'une troupe de 1200 hommes de couleur. La Légion d'égalités le nom de son armée se porta au camp de Desriveaux,  4e section Pestel. Elle essaya vainement de persuader les rebelles de la nécessité d'obtempérer à l'ordre des Commissaires.

 La bataille éclata, l'armée de Rigaud fut battue par la troupe des Blancs dirigée par Duperrier et Débrosse. Rigaud perdit alors ses deux plus grands lieutenants Jourdain et Ignace qui venaient tout juste de faire leur preuve dans la bataille de Savannah aux États Unis.

 En 1793 après la bataille entre les colons et les hommes de couleur, les Français de la zone se réfugièrent à Cuba et à la Jamaïque. L'un d'entre eux fut Georges Édouard Laclotte( ét fils de Jacques Pierre Laclotte, colon habitant de Plymouth et de Marie Louise dite BoumbaSomore esclave affranchie par le sieur Laclotte) qui avait laissé Pestel en 1802 en compagnie de ses sœurs et de quelques esclaves pour se réfugier à Cuba d'abord puis en Louisiane. Cette localité était restée presque inhabitée. Il ne restait que très peu de colons sur place. 

C'est à partir de cet espace de temps que le camp Thomas (1re section) et le Fortin Lundy ( Desriveuaux) furent construits, de toute vraisemblance, dans une perspective de contrecarrer l'influence de l'Angleterre dans la Baie des Cayemittes. 

Laissée vide par les colons français, Pestel fut tombée en 1794 entre les mains des Anglais. En décembre de la même année, Geffrard trouvait la nécessité d'aller à sa reconquête. Il leur lança assaut dans les montagnes de Plymouth et obtint de brillants succès. Repliés, les Anglais y revinrent pour la plus belle. 

 En 1796, c'était le tour du Général Rigaud; il ordonna Desfournau d'attaquer le camp de Plymouth, Doyon le camp de Desriveaux (4e section communale de Pstel), fortin construit par les Français royalistes. Ce dernier atteignit les Anglais et les tailla en pièces. Au camp Thomas (1ère section communale de Pestel), l'armée anglaise dirigée par le colonel Peste fut battue par l'armée de Rigaud ayant à sa tête le colonel Blanchet. Suite à cela, les Anglais quittèrent définitivement la zone en juillet 1798. 

Lors de la guerre du Sud, Pestel a pris position pour Rigaud contre Toussaint Louverture.  Cette position est justifiée par rapport à la forte domination des planteurs royalistes dans la zone.  Le sud en général était pro- Rigaud.

En 1802, commença la bataille pour l'indépendance du pays. Il ne passa pas pratiquement de grande chose à Pestel; voilà pourquoi jusqu'en 1803, Pestel était après Jérémie, Les Cayes, l'endroit du pays qui restait en possession des Français. Constatant une telle chose, Geffrard envoya en août de cette année le commandant Lafredinière pour prendre possession de Pestel. C'était en vain. 

En mars 1804, Pestel entra finalement en possession de l'armée des Indigènes quand le Gouverneur à vie Jean Jacques mit ses pieds à Corail. Ce fut sur la route coloniale de Désert située dans la 1re section qu'il emprunta pour y aller. Il fit escale à carrefour Thomas où était situé un camp militaire.  

Il réunit les Blancs de Pestel et quelques autres endroits et les fit égorger. Ce jour-là il marcha sur le sang, écrit Dorsainvil. L'une des victimes est Jean Bernard (1773-1805) assassiné dans le rivage non loin de Pestel en tentant de s'enfuir.  Il fut un propriétaire terrien à Corail et aux Baradères. Durant la bataille opposant les Affranchis aux Colons de la Grand'Anse, il était grièvement blessé, ce qui a permis son hospitalisation à l'hôpital Plymouth. 

Dans l'intervalle de 1804 jusqu'à l'insurrection de Goman, il n'y eut pas de grands événements à Pestel. C'était un petit port entourant d'un relief extraordinaire. Il fut habité de temps à autre par des familles venant soit des Nippes soit de Jérémie. Ce sont leurs descendants qui ont fait de Pestel ce qu'elle est aujourd'hui. Jean Bernard est considéré comme le patriarche de tous les Pestelois. Isaac, aurait largement contribué à l'accroissement démographique du bourg grâce à sa progéniture. Ses enfants étaient au nombre de 22 pour la plupart et beaucoup plus pour certains. Ce sont les descendants de ses fils qui peupleront plus  tard toute la zone. 

Depuis 1821, Pestel est placée sur la liste de paroisse suivant la nouvelle délimitation du président Jean Pierre Boyer.  Ce statut lui est attribué après treize ans de rébellion contre la politique agraire de Alexandre Pétion caractérisée par l'accès de la terre aux Généraux et non aux Cultivateurs. Pour cette cause, elle fut ravagée et incendiée.

 Finalement en 1843, elle est élevée au rang de commune, chose qu'elle a acquise au prix de son sang et sur le champ de bataille au côté des hommes de Praslin luttant pour le renversement  de Jean Pierre Boyer au pouvoir. Pendant tous ces temps, la commune s'est lancée dans des luttes pour la conquête du bien-être social. Les plus importantes étaient  sa dissidence contre le gouvernement de Sylvain Salnave et sa révolte contre Lysius Jeune Salomon. Toutes ces batailles lui ont positionné sur la scène politique.  C'est peut-être la raison pour laquelle elle a eu, durant le 19e siècle, quatre de ses fils ayant pris siège à des assemblées constituantes. Ce n'est pas les moindres Volny Borelly,  Smanazar Alcégaire, Sobodker Louis Gilles.

Vers 1846, Pestel accueillit en sa terre le mouvement des piquets. À cause de cela,  elle fut  ravagée. 

Dans les années qui suivaient, la ville se régénéra, sous l'impulsion de St Louis Ambroise, brillant intellectuel né à Pestel que l'empereur Faustin Souloupe nomma Comte de Pestel en 1849.  Elle était dans la plus grande tranquillité durant les onze années de gouvernance de Souloupe en dépit que ce fût un pouvoir féroce. Elle garda cette même allure pendant tout le mandat de Fabre Nicolas Geffrard. 

Mais toujours fidèle à sa vocation par amour pour la liberté et la justice sociale, Pestel reprit, en 1868, les armes contre le gouvernement Sylvain Salnave. Pour signifier leur dissidence, les Pestelois avaient créé une armée révolutionnaire de salut public.  À cause de cela, Pestel fut ravagée et incendiée par les troupes gouvernementales.  Les piquets (des hommes armés de pique) de la commune avaient pour chef Jean Léon Ermosan. Rentré à Port-au-Prince pour renverser Salnave au pouvoir, il fut le dernier de ses pairs à être tué au champ de bataille. Le reste de la troupe se retrancha à  Pestel.  

De 1870 à 1880, le flambeau de la résistance s'éteignit provisoirement pour se rallumer sous Salomon.  En tant que bastion des teints clairs, Pestel passa au camp de Boyer Bazelais contre Salomon. Cette opposition était menée sous la direction du Commandant Metès, chef des Révolutionnaires et Leonidas Bernard, figure de proue anti-Salomon à la Chambre des députés. Pour cette raison, la ville fut assiégée par les troupes gouvernementales sous les ordres de Sabourin.  La ville a quand même résisté aux bombardements de l'armée gouvernementale. N'était-ce pas Corail qui a cédé, la résistance irait jusqu'au bout. 

Cette bataille a été la première cause originelle à toutes les luttes familiales qu'allait connaître la commune, mais qui en 1956 devenait très profonde au lendemain des élections mettant aux prises Daniel Fignolé, fils de Pestel à Clément Jumelle, proche des Gilles. Les Bernard, affirment la plupart d'entre eux, ont accusé le général Louis Gilles, en tant qu'allié du pouvoir, d'avoir été le principal responsable du bombardement de la ville. 

Ce n’était pas terminé pour les Pestelois puisqu'en 1902 la ville se vit diviser entre les Firministes et les partisans de Tonton Nord. Six (6) ans plus tard, l'expérience a été rééditée en faveur de Antoine Simon. Les hostilités qui y ont lieu se sont soldées par la mort de Étienne Malebranche, un partisan de Firmin. 

Pendant toutes ces années, la ville n'était qu'un plat de main. Elle couvrait spécifiquement l'étendue allant de l'embarcadère au carrefour « devan tikwa ». De Tikwa jusqu'à l'actuelle maison de Berthier Lesperance, c'était l'emplacement du cimetière. Plus loin, il n'y avait que les locaux de l'école nationale et du dispensaire. Il a fallu l'arrivée de Max Laplanche à la tête du conseil municipal en 1952 pour que la ville ait été prolongée jusqu'à Fond Bel. Cet élargissement était devenu une nécessité puisque la spéculation du café exigeait plus d'espace.

Historiquement, l'agglomération du bourg a débuté vers la fin de 1800. Isabella, Estezina, Anatole Bernard, Adélaïde, les sœurs Romain, les Décossard, les Blanchard ont tous une maison à la basse-ville. En cette époque, c'était deux rangées de maisons qui bordaient la rentrée du nord. Les habitants  n'étaient pas  plus qu'une centaine. 

 Cette ville a connu une nouvelle extension vers 1880 avec l'avènement de la bataille des libéraux locaux  contre le président Salomon. Certains généraux venant mater la révolte occupaient les fermes  de l'État situées en haut de la Basse-Ville.

Sous l'occupation américaine, Pestel a véritablement pris sa vitesse de croisière. Les bases d'une ville sont véritablement jetées. Elle accueille sa première école nationale (1922), puis en 1935 un bassin communautaire et en 1954 son dispensaire devenu centre de santé en 1988. Ce n'est qu'en ce moment qu'ont eu lieu .lpa.qmp tracées du tronçon de route Carrefour-Pestel.

Cette commune qui a produit de grands leaders aux trempes de Daniel Fignolé continue de tourner sa roue de l'histoire afin de parvenir au projet de société dessalinien pour lequel elle a dû batailler.

 

James St GERMAIN 

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