Taxis-Moto:les nouveaux héros de l’éducation en Haïti ?  

Taxis-Moto:les nouveaux héros de l’éducation en Haïti ?  

 

Dans ce contexte difficile, un acteur inattendu mais devenu incontournable s’impose : le chauffeur de taxi-moto. Bien plus qu’un simple transporteur, il devient un véritable maillon de la chaîne éducative, souvent ignoré, rarement valorisé, que je vous invite à considérer parmi les nouveaux héros invisibles du système éducatif en Haïti.  

Depuis plus de deux décennies, entre la rentrée des classes, et durant toute l’année académique, ils sont nombreux les parents soucieux, et qui disposent des moyens économiques, qui choisissent d’engager au moins un chauffeur de Taxis Moto, plus ou moins crédible, sérieux, professionnel et surtout de confiance, pour assurer le transport de leurs enfants à l’aller comme au retour, entre l’entrée de l’école et la résidence familiale.  Plus que de simples chauffeurs de Taxis-Moto, ces hommes finissent par se confirmer au fil des ans comme les nouveaux héros invisibles dans l’éducation en Haïti ?   

Devant la sortie de la maison, ils attendent chacun, tous les matins au moins un élève, si ce dernier n’est pas accompagné de l’un de ses parents. Le choix de ce moyen de transport rapide sert avant tout à limiter ou à réduire les risques de retard, dans un pays ou les barricades et les embouteillages sont monnaie courante. L’élève doit à tout prix arriver avant la fermeture de la porte d’entrée, la montée du drapeau et d’autres principes respectifs à chaque établissement scolaire.   

Des personnes de confiance dans la majorité des cas, avec ou sans le port des casques et d’autres accessoires de protection pour les motocyclistes, et pourquoi pas pour les passagers à bord, ces héros portent tous les noms et prénoms, parfois même des surnoms dans certains, pour les clients qui souhaitent afficher une plus grande familiarité, de confidentialité ou même de complicité afin de mieux protéger leurs enfants, dont la vie et la sécurité de ces derniers reposent entre les mains et les moindres gestes de ces chauffeurs de motos, en temps de crise, dont certains s’improvisent  en cascadeurs.   

Des chauffeurs souvent à l’heure, ces rudes et dignes travailleurs sont pour la plupart toujours disponibles également à n’importe quelle heure pour les trajets habituels et pour d’autres missions imprévisibles et à risque. Ces héros invisibles du système éducatif haïtien, sont dans la plupart des cas des victimes de ce même système éducatif national, dont certains n’avaient pas eu la chance de terminer leurs études classiques, et d’autres malgré leur diplôme professionnels, techniques et universitaires en main, n’arrivent pas à trouver de l’accompagnement, à développer des capacités et à mobiliser des ressources pour se lancer dans d’autres activités économiques moins risquées dans les rues.   

Déficit chronique des infrastructures de transport public dans pratiquement tous les départements géographiques du pays, cette triste réalité se convertit comme une mine d’opportunités économiques et un levier de valorisation sociale pour de nombreux citoyens-entrepreneurs issus en majorité dans la catégorie sociale qu’on dénommait la classe moyenne. Le métier de chauffeur de Taxis-Moto offre ainsi de multiples avantages, en dehors de la proximité créée entre ce dernier avec son client et ses proches, à transporter dans toutes les destinations possibles et inimaginables sur de longues distances.  

De transporteur a garde du corps improvisé, jusqu’à transiter au statut d’ami, de témoin, de conseiller, de confident ou de complice de l’élève, les Taxis-Moto comblent plusieurs vides à la fois dans la vie de l’enfant et de leurs familles. Chaque matin, dans beaucoup de cas, ces héros invisibles, à travers leur contributions discrètes mais déterminantes à la scolarisation, participent activement  dans la réduction du taux d’absentéisme et de décrochage scolaire.  

Dans un certain sens, sur le plan académique, ces chauffeurs jouent un rôle indirect dans l’amélioration des résultats scolaires (arriver à l’heure, moins de fatigue). Et dire, d’un point de vue économique, la situation critique du pays, avec la cherté de la vie dans tous les secteurs d'activités, en particulier liées à l’importation des aliments, des matériels et des équipements mécaniques ou mobiles comme pour le cas des motos et leurs pièces de rechange, les conditions de vie de ces transporteurs ne sont s'améliorent pas pour autant, face à la rude compétition qui existe dans chaque coin de rue et devant les principaux secteurs attractifs.   

Dans la plupart des cas, les ententes d’abonnement et la fidélisation entretenue entre le chauffeur de moto avec son client, et ses proches à la maison et dans ses autres lieux de fréquentation, obligent  souvent ce rude travailleur à risque, à avancer les courses à crédit. Dans une forme de solidarité avec les familles pauvres, ces heros invisibles, dans une forme d’empathie sont contraints de s’adapter à la réalité du pays en permanence.   

Des conditions de travail difficiles et des risques élevés, des risques d'accidents élevés, des routes en mauvais état, et une situation d’insécurité imprévisible et fragile qui n’épargne aucun secteur, y compris le camp des assassins et terroristes et leurs auxiliaires qui circulent majoritairement à bord des motos, pour réaliser leurs forfaits, l’absence de protection sociale ou de reconnaissance formelle du métier de chauffeur de Taxis-Motos, devraient interpeller la conscience des élites et des dirigeants en Haïti.  

Des héros pourtant bien visibles, marginalisés dans leurs droits à un mieux-être et oubliés dans les rues comme de vulgaires chauffards.  Loin d’être des saints ces derniers, avec tout le désordre qu’ils provoquent souvent dans les rues, et les déploiements solidaires et violents qui en suivent même s’ils sont le principal fautif qui réclame réparation et dédommagement, cela ne nous empêche pas de plaider et de porter leur cause, en reconnaissance de leur contribution en particulier dans le transport public, un maillon important dans l’économie nationale, en termes d’apport indirect dans l’éducation de notre jeunesse, ou la relève du pays.   

Dans une grande majorité des familles haïtiennes, il existe au moins un de ces rudes travailleurs qui jour et nuit, sous le chaud soleil comme pendant les temps de pluie, lors des violences des rues comme dans les bouchons qui rappellent la vitalité économique dans la vie de nos communes. Qui a dit que de nombreux enfants du personnel domestique, les chauffeurs, les agents de sécurité et certains des collaborateurs des dirigeants haïtiens utilisent au quotidien des Taxis-Motos pour se rendre à l’école, à l’université, au marché, à l’hôpital, au travail... ?   

Dans une forme de mission presque « sociale » imposée par les conditions de vie du pays, et face aux besoins réels et urgents de la population, les chauffeurs de Taxis-Moto, représentent des acteurs à valoriser dans les politiques publiques d’éducation et de transport en Haïti. Il y a lieu de reconnaître leur rôle dans les politiques éducatives. Et pourquoi pas, l’Etat, les collectivites territoriales, et d’autres acteurs socioeconomiques devraient penser aux opportunites et aux possibilités d’intégrer les Taxis-Moto dans des projets de transport scolaire communautaire. Il faudrait penser à former et à encadrer ces héros invisibles, pour mieux sécuriser ce secteur pour en faire un partenaire durable de l’éducation.   

Dans un pays où l'État peine à garantir des moyens de transport scolaire fiables, les Taxis-Moto apparaissent comme des alliés de l’éducation, souvent ignorés mais essentiels. Ces chauffeurs aux multiples talents et visions, parcours et passions, reconvertis dans cette nouvelle profession participent, chaque jour, à écrire l’avenir de milliers d’enfants, moteur rugissant à l’appui. Il est temps de les reconnaître comme des acteurs de changement et de penser à des politiques de soutien adaptées. Au travers du miroir social de la conscience que je tente de vous présenter, il est possible d’entrevoir entre un casque, un deux-roues et une volonté inébranlable de servir, le portrait ambulant des centaines et des milliers des nouveaux héros…de l’éducation.  

  

Dominique Domerçant   

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