Par Fabiola Fanfan
L’Association haïtienne de psychologie (AHPSY) s’impose aujourd’hui comme une voix courageuse dans un pays où la santé mentale demeure un sujet tabou. En organisant une conférence-débat sur le bien-être psychologique des enfants et des adolescents, ces professionnels ont osé dire tout haut ce que beaucoup taisent encore : nos enfants souffrent, et leur douleur n’a que trop longtemps été ignorée. Le travail de ces psychologues mérite d’être salué, car ils rappellent que comprendre l’esprit humain, ce n’est pas une faiblesse, c’est une force.
Quand le pays fait peur, les enfants se taisent
En Haïti, parler à un psychologue reste pour beaucoup un signe de folie. On préfère dire : « Li fò, l ap kenbe », comme si tenir bon suffisait à guérir les blessures invisibles. Pourtant, dans les rues, dans les écoles et jusque dans nos foyers, la peur et l’incertitude ont laissé des traces. Les enfants grandissent dans un pays où les coups de feu remplacent parfois les berceuses, où l’école devient un refuge fragile, et où le jeu cède la place à l’angoisse.
C’est dans ce contexte que l’AHPSY a choisi de dire : assez de silence ! À travers sa conférence-débat sur « La santé mentale des enfants et des adolescents : comprendre pour mieux agir », elle a invité parents, enseignants et citoyens à repenser notre rapport à l’enfance et à l’écoute.
Écouter pour soigner
La présidente de l’AHPSY, Gihane Dejoie Mathurin, a touché juste : « Nos enfants vivent une crise émotionnelle profonde. Leur équilibre est fragilisé, leur monde intérieur bouleversé. »
En Haïti, on soigne souvent le corps avant l’esprit. Mais l’enfant qui rit moins, qui s’isole, ou qui devient agressif, crie peut-être un mal que les mots ne savent pas dire. Reconnaître cette souffrance, c’est déjà commencer à la guérir. Nos écoles et nos familles devraient devenir des lieux d’écoute, où les émotions ne sont pas une honte mais un langage à comprendre.
Parents et enseignants : des piliers à renforcer
La psychologue Mélodie Benjamin a rappelé que la santé mentale n’est pas l’affaire des seuls spécialistes. Elle dépend aussi de ceux qui vivent chaque jour auprès des enfants.
Dans nos maisons, la discipline est souvent confondue avec la peur. On croit éduquer en criant, corriger en frappant. Mais un enfant humilié perd confiance en lui et se ferme.
Mme Benjamin invite à valoriser chaque enfant selon ses forces : un bon danseur, un rêveur, un bricoleur ou un musicien ont, eux aussi, leur intelligence. Il faut célébrer cette diversité, comme le disait Howard Gardner dans sa théorie des intelligences multiples.
Changer cette mentalité demande du courage. Cela veut dire désapprendre certaines habitudes, comme croire qu’un enfant silencieux est forcément obéissant. C’est apprendre à parler, à écouter, à dire aussi : mwen konprann ou.
L’adolescence : un carrefour fragile
La psychologue Johanne Refusé a rappelé que l’adolescence est une période de tempêtes intérieures. Le corps change, le regard des autres compte, et la quête d’identité devient pressante. Dans un pays en crise, ces bouleversements peuvent tourner à la détresse.
Les parents doivent rester proches, même quand les adolescents se ferment. Un mot de soutien, une activité partagée, ou un simple « comment tu te sens ? » peuvent faire une grande différence.
Mme Refusé encourage à observer les comportements, à décoder les silences, à comprendre les signaux d’alerte avant qu’il ne soit trop tard.
Changer la culture du silence
Haïti a longtemps confondu la foi avec la fatalité. On prie, on espère, mais on oublie d’écouter. Pourtant, Dieu lui-même, dit-on, nous a donné la parole pour que nous puissions dire notre douleur.
La santé mentale n’est pas une affaire étrangère ni un luxe réservé à une élite. C’est une nécessité pour rebâtir une nation équilibrée.
Les psychologues haïtiens, à travers l’AHPSY, nous tendent la main. À nous de la saisir.
Parce que prendre soin de l’esprit d’un enfant, c’est préparer la guérison d’un pays tout entier.
Fabiola Fanfan
fanfanfabiola10@gmail.com
