De 1986 à 2024, en particulier entre 1991 et 2021, sous les administrations politiques de Jean-Bertrand Aristide 1 et 2, de René Préval 1 et 2, et de celles de PHTK partagées entre Michel Martelly et Jovenel Moïse, les places publiques en Haïti figurent parmi les principaux hauts lieux de rassemblement populaire et de mobilisation politique dans le pays. Ceci bien avant l'ère des médias sociaux. Face au chaos actuel dans le pays, et la déviance démesurée et le recrutement des jeunes par l'industrie de la violence, il y a lieu de nous interroger sur la véritable place des places publiques dans cette ère du nouvel ordre national du chaos social.
Dans la construction de la culture autodestructrice en cours, les places publiques, comme des espaces se confirment dans certains cas comme des lieux de deconstruction d’un ensemble de valeurs sociales, familiales, citoyennes, civiques et éthiques dans le pays. Ce qui nous porte à croire que les places publiques en Haïti, en dehors des organisations populaires et institutions publiques, devraient répondre par devant le tribunal de la conscience collective, de leur implication, contribution, ou attraction ?
Définie comme un espace urbain ouvert, généralement situé au centre des villes, conçu pour accueillir la circulation, les rassemblements et les activités sociales, les places publiques sont à la fois présentes dans presque toutes les villes du pays, à travers les dix départements géographiques. On y trouve parfois dans une seule et même commune plusieurs places publiques dédiées à la mémoire des personnages et des faits historiques et à d'autres personnalités et événements socio-culturels.
Des impacts positifs à retenir. Les places publiques jouent un rôle essentiel dans la vie urbaine. Ce sont des espaces de loisirs et de détente pour les familles. Elles favorisent la convivialité sociale et le renforcement du lien communautaire. Elles valorisent le patrimoine culturel et touristique. Elles offrent des opportunités pour des activités récréatives et artistiques.
Dommage que l'absence de politique de maintenance ou de modernisation de ces lieux publics, culturels, attractifs entre les rendez-vous de loisir des familles, de rencontre des amoureux et d'attraction pour les touristes, ou d'organisation pour les grandes activités artistiques, culturelles et récréatives, comme les foires d'artisanat et de gastronomie, de festival et d'animation en pleine air, et des jeux de toutes sortes comme les montagnes russes entre autres, n'encourage pas assez les utilisateurs ou les jeunes surtout, de prendre des photos souvenirs pour les partager sur les médias sociaux. Autant encourager les mairies à sauver et à sauvegarder la mémoire et la vitalité de ces lieux.
Dans le voisinage immédiat des temples religieux, associées à la fête patronale de la ville et des figures religieuses comme le cas de la commune de Pétion-Ville, qui dispose à la fois la Place Boyer (fondateur de la commune) et de la Place Saint-Pierre (comme saint patron), les places publiques se confirment en dehors des cimetières pour les morts, des marchés pour l'économie, comme le plus haut lieu vivant, attractif, et inclusif de la ville. Un carrefour incontournable. Un miroir pour afficher la mémoire collective de chaque commune.
Les places publiques comme espace de loisir communautaire ou de miroir du chaos social ?
Dans ce qui reste de la capitale haïtienne, comme vestiges et fragments, la plus grande Place publique du pays demeure le Champ de Mars, un complexe réparti entre plusieurs places et des monuments qui divise cet haut lieux historique, culturel et symbolique en plusieurs places, comme celle de la Constitution, de la Paix, du Marron inconnu, du Mausolée, entre autres qui entourent et font référence aux principaux monuments symboliques.
De telles places publiques en Haïti constituent des espaces urbains stratégiques où se rencontrent les dimensions sociales, culturelles, politiques et esthétiques. Elles constituent des lieux de mémoire et de convivialité, mais aussi des arènes de contestation et de dérives sociales. Leur étude permet de comprendre comment ces espaces, à la fois porteurs de valeurs et de tensions, peuvent être transformés en instruments d’éducation civique et citoyenne.
Difficile de ne pas se rappeler et de constater des années plus tard, les nombreux mouvements de protestations et de contestations qui venaient souvent de certaines places publiques célèbres du pays, dans les grandes villes. Ces hauts lieux de rassemblement allaient servir parfois de rampe de lancement des jets de pierres contre les véhicules des passants, des véhicules de l’Etat ou sur des cibles identifiées. Les attaques à l'arme blanche comme les tirs isolés et les rafales laissent souvent des traces de sang et des victimes innocents dans le voisinage immédiat de nos places publiques, en dehors des hôpitaux et des morgues.
Des impacts négatifs souvent plus importants et invisibles, qui participent dans la destruction du tissu social, familial et moral actuel dans le pays. Où sont passés les enfants qui traînaient et dormaient sur les principales places publiques dans la capitale et la zone métropolitaine de Port-au-Prince et des autres villes de provinces, des communes devenues des zones de non droit ? Bien avant le règne du chaos actuel, qui venaient recruter ou exploiter ces jeunes garçons et filles qui fréquentent ou fonctionnaient nos places publiques pour les emmener dans les voisinages du cimetières et d’autres coins sombres, a l’ombre des regards, avant de transformer la capitale et d’autres villes en un vaste cimetière ?
Des places publiques ou laboratoires du chaos, les places publiques présentent aussi des dérives. Elles deviennent des lieux de regroupement de mendiants et marginaux. Elles sont utilisées par des manifestants professionnels pour des mobilisations répétitives. Elles abritent des formes de délinquance et de déviance des jeunes, parfois recrutés par des groupes armés. Elles se transforment en espaces de frustrations sociales et politiques, où se propagent des discours destructeurs.
De nombreux auteurs et spécialistes se sont déjà interrogés sur la place de l’espace dans la construction et la déconstruction sociale. Autant encourager les penseurs confirmés et les jeunes chercheurs à approfondir les recherches et réflexions sur la transformation positive et responsable de l’espace public en Haïti. Parmi les recommandations susceptibles de transformer ces espaces en lieux d’éducation civique et citoyenne, on peut citer la réhabilitation architecturale : aménager des espaces verts, des bibliothèques de plein air, des zones de jeux éducatifs.
Les places publiques comme espace de représentation, de référencement, de rassemblement et de rayonnement des villes en Haïti ?
Des dimensions non négligeables ou incontournables à prioriser. La dimension politique des places publiques dans leur rôle des places comme scène de mobilisation, de contestation ou de légitimation du pouvoir. Existe-t-il une manifestation populaire réussie en Haïti au lendemain du 7 février 1986, qui n’a pas bénéficié d’une place publique comme espace d’information, de conscientisation, de recrutement, de mobilisation, de paiement des primes ou de récompenses accordées aux manifestants après la marche ou les casses ?
Dans quel sens l’architecture, les monuments, les symboles, les messages et les animations intégrant les structures physiques de ces lieux publics ou installés a l'intérieur et à l'extérieur des places publiques peuvent-ils contribuer réellement dans l'éducation civique et citoyenne de la population haïtienne ? Pourquoi faudrait-il penser à redéfinir les places publiques en Haïti, comme de nouveaux acteurs dynamiques capables de contribuer au processus visant à inculquer aux citoyens les valeurs de respect, de solidarité et de participation démocratique ?
Les places publiques: entre les dimensions architecturales et esthétiques, symboliques et culturelles, politiques et démocratiques ?
Durant les annees de Préval et Aristide, plusieurs places publiques ont ete rénovées en particulier, en dehors des autres rénovations, aménagements et interventions de l'ère PHTK. A défaut de les confirmer, pendant un certain temps, bien avant 2004, plusieurs histoires ésotériques liées aux disparitions de personnes dans le pays, étaient associées à certains travaux d'aménagement des places publiques dans le pays. Ces sacrifices ou rituels font référence à des rituels qui remontent à plusieurs siecles, servant à exercer et à renforcer le pouvoir, la protection et l'attractivité des grandes constructions dans le monde.
Dans le cas des places publiques du pays, parmi les lieux de rassemblement et de communication de toutes les couches de la population, incluant tous les cercles religieux, il faudra rappeler que certains vues aériennes proposent dans l'aménagement et la décoration certaines images de Veve, parmi d’autres formes et figures inscrits dans l’art sacré et le symbolisme.
Dimension architecturale et esthétique. Les places publiques haïtiennes, héritées de la colonisation et des influences modernes, sont conçues comme des espaces de respiration urbaine. Elles offrent des zones de verdure, des monuments et des structures symboliques. Cependant, le manque d’entretien et l’absence de planification urbaine les transforment souvent en lieux dégradés. Une réhabilitation architecturale pourrait renforcer leur attractivité et leur rôle éducatif, en intégrant des espaces dédiés à la lecture, aux expositions et aux activités culturelles.
Dimension symbolique et culturelle. Ces lieux incarnent la mémoire collective : ils accueillent carnavals, fêtes religieuses, cérémonies patriotiques et commémorations. Ils sont des marqueurs identitaires et des espaces de convivialité. Leur symbolique est forte : ils représentent la nation, la communauté et la culture. Toutefois, cette dimension est fragilisée par l’occupation anarchique et la marginalisation sociale. Valoriser leur rôle symbolique passe par une programmation culturelle régulière et inclusive.
Dimension politique ou democratique. Historiquement, les places publiques en Haïti sont des espaces de mobilisation. Elles deviennent des théâtres de manifestations, de débats populaires et de contestations politiques. Cette fonction est légitime dans une démocratie, mais elle contribue aussi à l’instabilité lorsqu’elle est instrumentalisée par des acteurs politiques ou des groupes armés. Les places sont alors perçues comme des foyers de tensions plutôt que comme des espaces de citoyenneté.
Des programmes d’éducation populaire seront organisés sous forme d’ateliers, de conférences et des activités artistiques sur la citoyenneté. L’encadrement social pourrait impliquer les associations communautaires et les médiateurs pour réguler l’usage des places. La valorisation culturelle viendrait favoriser la tenue des festivals, des expositions et spectacles réguliers. Une belle occasion de mobiliser la participation citoyenne, d’associer les habitants à la gestion et à l’animation des places, pour renforcer leur sentiment d’appartenance.
Difficile de ne pas reconnaître que les places publiques en Haïti sont des miroirs de la société. elles reflètent ses richesses culturelles et ses fragilités politiques. Leur transformation en espaces d’éducation civique et citoyenne est une voie essentielle pour renforcer la démocratie et la cohésion sociale. Les mairies et l’Etat central devraient penser à constituer un comité intersectoriel ou interministériel pour penser la problématique des places publiques en Haïti. Comment les transformer en des lieux de rassemblement populaire, de redressement des valeurs sociales, de réorientation des jeunes, et de récupération de certains déviants dans notre société ?
D’ici les prochaines années, il faudra repenser ou renforcer la place des places publiques dans l'éducation à la fois formelle et populaire en Haïti. Ces hauts lieux publics, populaires et politiques étant à la fois responsables en grande partie dans la construction et la déconstruction de la pensée collective, autant dans la transmission des informations, des faits, des valeurs et des visions d'Haiti et du monde, on ne saurait les laisser dans leur simple fonction basique face au chaos actuel dans le pays. Pour inverser cette tendance, il est nécessaire de transformer ces lieux en des espaces d'expositions thématiques et d'animation permanente, des forums civiques organisés où se tiennent des débats encadrés et constructifs, des ateliers de sensibilisation et des activités éducatives sur la démocratie, les droits humains, les savoirs utiles et l'intelligence collective.
Dominique Domerçant
