Les porcs: entre la Chine et Haïti, un hôtel ou un musée ?

Dans la province d’Hubei, en Chine, une ferme verticale pouvant accueillir 650 porcs vient d’ouvrir ses portes.  58 millions d’euros, 26 étages, 25.000 porcs à chaque niveau. Des ascenseurs peuvent supporter jusqu’à 240  bêtes. 54 000 tonnes de viande par an figurent dans la liste des informations les plus pertinentes publiées dans les grands médias dans le monde, pour présenter le plus grand et le premier hôtel à cochon dans le monde. Pourquoi un tel intérêt pour les cochons en Chine ?

 

 

De la naissance à l’abattoir, ce sont plus de 650 000 porcs que les responsables de ce projet prévoient d'élever comme objectif à atteindre. Comment Haïti devrait-elle s’inspirer de cette nouvelle pour repenser ou redonner aux cochons, la véritable  place qu’ils disposent dans l’histoire, la société, la spiritualité, l'éducation  et surtout l'économie nationale ?  

 

Dommage que l’un des rares pays du monde, dont les mythes autour du cochon occupent une place importante dans sa genèse et  les traditions ancestrales, la consommation et la production, ne dispose pratiquement que des places informelles et improvisées, entre les rues et les quartiers, pour accueillir les porcs qui continuent de nous rappeler leur véritable place.

 

Dans l’histoire et l'évolution d'Haïti, il existe pratiquement cinq dimensions à prendre en compte, pour camper les cochons dans leurs différents statuts.  En dehors de certaines pratiques religieuses qui ne consomment pas la viande et tous les produits dérivés du porc, cet animal est très apprécié par d’autres traditions tant pour sa viande, sa contribution dans des recettes haïtiennes multiples comme le «Griot», entre autres, en dehors citations, comparaisons et d’autres injures.

 

D’abord, comme animal sacré, c’est dans les récits autour de la première grande réunion organisée par les esclaves révoltés, dans la nuit du 13 au 14 août 1791, que les témoignages se partagent entre le sacrifice volontaire d’un humain, et/ou d’un cochon, dont le sang avait été distribué aux membres de l’assistance, en signe d’engagement initiatique et de mobilisation mystique, comme cela se fait dans bon nombre de religion dans le monde ancien et actuel.

De cette cérémonie organisée en 1791, qui allait conduire à la grande révolte des esclaves de Saint-Domingue une semaine plus tard. Un  passage obligé, pour  mener vers la Victoire des noirs révolutionnaires dans la dernière batailles militaires et mystique tenue à Vertières contre l'armée française, le 18 novembre 1803. Et quelques semaines plus tard, la proclamation de l'indépendance d'Haïti allait se confirmer  le 1er janvier 1804.  

 

Depuis ce point de départ, le cochon s’est imposé dans les traditions populaires et ancestrales, dans l'imaginaire collectif, et l’inventaire des offrandes, des sacrifices mystiques, et certainement dans l’art culinaire et la recette préférée même d’un des plus importants esprits du Vodou en Haïti, Erzulie Freda. Ce personnage féminin  important qui célèbre la femme d’origine africaine et plusieurs autres vertus, des privilèges, des pouvoirs et obligations entre les négociations avec les vivants et les morts. Qui peut oser célébrer le lwa Erzulie sans une recette ou offrande de nourriture influencée par la viande de porc ?

 

Derrière ces deux dimensions initiatiques et mystiques ou même gastronomiques, influencées par les éléments qui composent le porc, entre le sang, la viande ou même les os, dans le Vodou, pendant longtemps, l'économie de la vie paysanne, des milliers de familles dans les campagnes était dominée par l’élevage des porcs dits (Kochon kreyòl). Un animal important et capital, qui était pratiquement peu exigeant, en terme de nourriture, de conditionnement, d’environnement et des soins , contrairement aux cochons importés en Haïti, un peu partout à travers le monde, après le massacre des «Kochon Kreyòl» accusés de maladie  imposée ou négociée par les autorités des États-Unis, entre la fin des années 1970 et le début des années, avec les autorités du régime des Duvalier.

 

Depuis ce massacre, une nouvelle génération de porcs ou  (Kochon Grimèl) s’est invitée et s’est adaptée dans l’espace haïtien, tout en exigeant beaucoup plus de conditionnement, entre la nourriture importée et les soins dont la majorité des paysans, des éleveurs et les familles en Haïti, ne pouvaient même pas offrir à leurs enfants.

 

Dans le chaos urbain actuel, qui découvre de la pauvreté des villes de province et la migration des paysans vers les grandes villes, l'élevage des porcs importés s’est également implanté dans bon nombre de grandes villes du pays, et pourquoi pas dans la capitale haïtienne, jusqu’à la démocratisation de la cohabitation entre les familles et les cochons entre les maisons et leurs cours, en dehors des promenades  régulières des cochons dans les rues, se défient et se nourrissent pratiquement de tout, incluant les déchets, humains.   

 

Devant le désordre urbain et chaotique confirmée dans l'aménagement et l'évolution de grand nombre de villes du pays, entre l'incapacité et l’impuissance de la majorité des administrations communales à disposer des ressources pour assurer une meilleure gestion des déchets dans la ville, les cochons trouvent en permanence une belle opportunité de se donner librement rendez-vous dans les sites de décharge improvisés dans les différents quartiers de nos villes.

Devenu pratiquement un acteur important autant dans l’histoire sacrée, symbolique, gastronomique, économique et sociologique en Haïti, les cochons en Haïti, contrairement à leurs paires qui disposent en Chine d’un bâtiment imposant de 26 étages, pratiquement un hôtel de luxe, une prison ou un abattoir, disposent pratiquement de plus de liberté pour circuler librement, entre les passants, les véhicules et les motos, tout choisissant librement  leur menu à la carte, pratiquement dans chaque coin de rue.

 

Devant toutes ces dimensions historiques, mystiques, gastronomiques, sociologiques et économiques   qui augmentent considérablement le pouvoir des cochons en Haïti, sur les vivants et certains de leur comportement au quotidien, l'aménagement d’un musée des Cochons en Haïti, pour sensibiliser et éduquer la population haïtienne pourrait grandement permettre à Haïti de rattraper la Chine.    

 

Des recettes dans la cuisine haïtienne, des rituels dans le Vodou, des citations et des expositions, des projections, des publications, des animations, des créations, des illustrations, parmi d’autres manifestations et des interventions autour de l’univers des cochons d’ici et d’ailleurs, dans les rues comme dans les fermes entre autres, sont autant de connaissances, de compétences, de culture et des comportements qui permettent aux visiteurs, notamment les Haïtiens de s'informer et de se former, de s'éduquer à travers les leçons enseignées par les porcs.

Des porcs, on en trouve un peu partout en Haïti, pratiquement dans toutes les villes et à toutes les heures du jour et de la nuit, en solitaire ou en groupe, à la recherche d’un environnement pour se reposer et se renouveler. Dans l’histoire et l'évolution de l’histoire d'Haïti, les cochons sont à la fois des témoins et des acteurs privilégiés et influents dans le façonnement des êtres, du bien-être,  de l’environnement, de l’imaginaire collectif dans tous.

 

Dominique Domerçant  

Légende: Premier pays consommateur de viande de porc dans le monde, la Chine vient d’ouvrir une méga structure ultra technologique d’élevage de cochons. CP/ C-NEWS

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

0 COMMENTAIRES