Le défenseur d’Haïti Duke Lacroix va disputer les qualifications pour le Mondial 2026 en ce mois de juin, mais ce n’était pas forcément gagné d’avance. La FIFA l’a rencontré.
Haïti va disputer la suite des qualifications pour la Coupe du Monde de la FIFA 26 les 7 et 10 juin. Markhus « Duke » Lacroix sera présent avec les Grenadiers. Le défenseur des Colorado Springs Switchbacks raconte son parcours du combattant pour goûter à sa première cape.
« Twò prese pa fè jou louvri. » (Pas besoin d’être trop pressé, cela ne fera pas arriver le jour plus tôt)
Quiconque tente d’apprendre le créole haïtien serait bien inspiré de commencer par ce proverbe répandu sur cette île des Caraïbes pour comprendre l’esprit des insulaires, patients de nature.
Évidemment, le néo-international haïtien Duke Lacroix, s’il ne parle pas encore couramment créole ou français (il est né dans le New Jersey aux États-Unis, de parents haïtiens) est déjà adepte de ce crédo. En fait, le parcours qui l’a mené jusqu’à sa première cape avec l’équipe nationale d’Haïti – à l’âge de 30 ans – est l’illustration parfaite de cet adage.
« J'avais toujours eu en tête l'idée de devenir footballeur international et ce, dès le début de ma carrière, mais ça ne s'est pas vraiment concrétisé », raconte Lacroix, aujourd’hui âgé de 31 ans et fort de six sélections avec Haïti, dans un entretien exclusif avec la FIFA. Son ton est enjoué, sans aucune amertume dans la voix. « J'ai essayé de comprendre comment ça pouvait se faire. Qui fallait-il appeler ? À qui fallait-il s'adresser ? Je n'avais pas d'opportunités. Je n'avais pas non plus de passeport haïtien à l'époque. Et puis, pour être honnête, j'étais un peu naïf quant à la manière de m'y prendre. »
« Quand l'intérêt s'est enfin manifesté, en 2019, j'ai commencé à me fixer des objectifs », narre le joueur passé par la prestigieuse Université de Pennsylvanie, pensionnaire de l’Ivy League, où il a étudié la sociologie avant de décrocher son masters en psychologie du sport. « J'avais beaucoup d'expérience à ce moment-là. J'ai reçu un appel d'un entraîneur d’une équipe nationale de jeunes d’Haïti. Il m'a simplement demandé si ça m'intéressait. J'ai répondu que oui, que j'adorerais commencer le processus, mais je savais qu’il fallait un peu de temps pour obtenir un passeport. Puis 2020 : le COVID frappe ! Le monde entier était sous le choc. Les formalités administratives ont accumulé beaucoup de retard. Je n'ai plus eu de nouvelles pendant longtemps après ça. J'ai essayé de passer quelques coups de fil, mais ça n'a pas vraiment abouti. Je ne savais donc pas où en était mon dossier à ce moment-là. Je me suis dit qu'ils n'étaient plus intéressés. »
Cependant, l’arrivée de l’Espagnol Gabriel Calderón à la tête des A, en 2023, a changé la donne. « Il m'a dit : “Ça te dirait de revenir ?” “, poursuit celui qui n’avait encore pas porté le maillot du pays de ses parents. ‘J'ai trouvé comment obtenir mon passeport le plus rapidement possible et j'ai été appelé pour participer au rassemblement de juin [2023] pour la dernière Gold Cup.’
Et alors que l’arrière gauche semblait bien parti pour enfin faire ses débuts avec les Grenadiers, il a subi un nouveau coup d’arrêt. ‘Je me suis blessé’, se souvient le joueur alors déjà âgé de 30 ans qui a finalement eu une nouvelle occasion de revêtir le maillot bleu et rouge, quelques mois plus tard.
Sauf que… ‘Il y avait des matches de la Ligue des Nations contre Cuba et la Jamaïque, mais mes papiers n'étaient pas encore en règle et j'ai dû rentrer parce que je n'étais pas éligible. Ça a encore retardé ma première sélection, mais toutes mes péripéties ont rendu l'expérience d'autant plus belle lorsque j'ai enfin eu cette opportunité.’
Après n’avoir jamais cédé à la frustration de tous les déboires administratifs et au moment de réaliser ses premiers pas, Lacroix avoue avoir été quelque peu nerveux, lui qui ne parle ni français, ni créole. ‘Je me suis dit : ‘Comment vais-je faire pour que les autres me comprennent ?’‘, se remémore-t-il à propos de ses premiers moments dans le vestiaire en match officiel, avant d’affronter Sainte-Lucie en juin 2024, en qualifications pour la Coupe du Monde de la FIFA 26™. La prestigieuse rencontre se soldera par une victoire 2-1 pour les Grenadiers.
‘Après quelques minutes, tout s'est détendu. C'est un groupe de gars formidables, avec un staff formidable. Ils sont très accueillants, tout le monde est ouvert et parle à tout le monde. De plus, le fait d'être un joueur plus âgé et expérimenté m'a été bénéfique, car je suis professionnel depuis longtemps, je sais à quoi m'attendre, j'ai l'habitude des vestiaires, même si la langue n'est pas la même. J'aime penser qu’on parle tous le langage du football.’
Lacroix a donc enfin pu fouler la pelouse sous le maillot de Haïti pour la toute première fois. Une expérience incroyable pour le défenseur. ‘C'était un sentiment indescriptible’, sourit-il jusqu’aux oreilles. ‘Porter les couleurs haïtiennes et représenter un pays, ce n'est pas la même chose que de représenter un club, surtout quand mes parents ont grandi là-bas et qu'ils ont des liens très étroits avec leur famille restée sur place. C'était juste... Je ne peux pas expliquer ce moment, mais c'était vraiment spécial.’
Quelques jours plus tard, toujours en éliminatoires de la Coupe du Monde, une compétition pour laquelle Haïti ne s’est plus qualifiée depuis 1974, Lacroix a même ouvert son compteur but dans un succès 3-1 contre la Barbade. ‘Honnêtement, je ne savais pas quoi faire’, relate-t-il au moment d’expliquer sa célébration. ‘J'ai regardé la vidéo plusieurs fois, je ne savais pas comment célébrer. C'était juste un moment surréaliste. Je n'ai vraiment réalisé qu'après coup, en passant des coups de fil à ma famille et mes amis. C’est là que je me suis dit : ‘Oui, ça vient d'arriver’.’
Depuis, le défenseur des Colorado Springs Switchbacks, en USL (2e division nord-américaine), a honoré quatre autres sélections et fait à nouveau trembler les filets, en Ligue des Nations de la Concacaf face à Sint Maarten (8-0). Son prochain objectif ? Les deux matches de qualification du Mondial 2026, contre Aruba et Curaçao, en juin. Un troisième tour pourrait en effet se profiler pour les hommes de Sébastien Migné et, à la clé, une place en Coupe du Monde.
‘Je pense qu’on est confiants, mais on comprend le travail qu'il faudra accomplir pour y parvenir [à la qualification]’, poursuit Lacroix. ‘Aucune équipe ne va simplement nous donner la victoire et nous dire ‘Tenez, voilà, c'est pour vous’, juste parce que ce serait une belle histoire. Toutes les autres équipes ont leur propre histoire, qu'elles essaient d'écrire, de réécrire ou de replacer dans leur contexte. On comprend donc le défi qui nous attend et auquel nous allons faire face, mais on l’aborde avec beaucoup de confiance, avec un seul objectif en tête : la qualification.’
‘Ce serait un rêve de participer à la Coupe du Monde’, conclut le joueur qui espère mettre fin à plus de 50 ans d'attente de toute une nation. ‘Il faut replacer ça dans son contexte historique et prendre en compte depuis combien de temps cela dure pour le pays. Je sais que mon père parle souvent de cette expérience, d'avoir cette fierté envers l'équipe qui s’était qualifiée à l'époque. Cela fait longtemps que le pays attend ce moment.’
Mais, après tout, comme le dit le proverbe haïtien et comme l’a prouvé maintes fois Duke Lacroix, tout vient à point à qui sait attendre.
Source: FIFA