Fédération haïtienne de football (FHF): L'urgence d'une transition consensuelle

Portés par une résilience ayant fait vibrer et forcé l’admiration de tout un peuple, nos Grenadiers ont — malgré des difficultés de tous ordres (infirmerie bien remplie, problèmes administratifs, etc.) — arraché, le 9 septembre dernier, un nul précieux face aux Ticos du Costa Rica, sélection coutumière des grands rendez-vous et régulièrement présente aux dernières phases finales de Coupes du monde de football (6 au total), et même quart-de-finalistes en 2014.

Cette performance de la sélection nationale est d’autant à saluer qu’elle est réalisée alors que le pays vit au rythme d’une insécurité endémique, que la gestion de la Jeunesse et du Sport haïtiens est traversée par une ligne de faille institutionnelle et que la fédération haïtienne est placée sous la tutelle d’un Comité de normalisation (CN) depuis 2020 ; et plus précisément, de manière stable, depuis juillet 2021.

À rappeler que cette dernière a quand même réussi, malgré de forts bourrasques de vents contraires, à « tenir la baraque » : deux (2) championnats nationaux de première division masculine ont été organisés, les principales sélections masculines et féminines ont été maintenues en vie, et la filière des jeunes a continué d’exister — jusqu’à la qualification des U17 masculins pour une Coupe du monde au Qatar en novembre prochain. Parallèlement, la sélection senior masculine lutte encore pour arracher son billet pour la Coupe du monde 2026.

La donne a cependant pris une tournure inattendue lorsque le CN a annoncé qu’il n’était plus habilité à organiser les championnats nationaux, invitant les clubs à se structurer en ligue professionnelle pour reprendre la main.

En théorie, cette bascule vers l’autonomie des clubs s’inscrit dans la ligne des standards internationaux : proximité avec le terrain, gouvernance partagée, meilleure attractivité commerciale.

En pratique, les clubs semblent, depuis lors, faire du surplace, d’autant qu’ils ne communiquent pas. De source sûre, si les réunions s’enchaînent et que les idées foisonnent, un doute sérieux persiste : des dirigeants de clubs qui, pour la plupart, ne se sont jamais frottés — ni tenus — aux standards du professionnalisme (planification, comptabilité certifiée, licences, marketing, gouvernance indépendante) pourront-ils, malgré les efforts louables de quelques-uns, mettre sur pied une ligue véritablement professionnelle, conforme aux règles de l’art ?

Dès lors, plusieurs questions légitimes surgissent.

Le CN a-t-il eu raison de laisser les clubs prendre leur destin en main, alors qu’il a prouvé au cours de ces quatre (4) dernières années des compétences crédibles en matière d’organisation et de continuité sportive ? On peut craindre qu’un retrait trop abrupt crée un vide, fragilise les acteurs les plus faibles et, à terme, pénalise les joueurs et le public fan du sport-roi. 

Le CN pouvait-il faire autrement si la FIFA et la CONCACAF l’y avaient enjoint ? On sait que les comités de normalisation ont un mandat borné : réformer les textes, assainir la gouvernance, préparer des élections — pas se substituer aux ligues. S’il s’agit d’une exigence des instances, le CN a suivi la règle ; encore fallait-il s’assurer que les conditions d’atterrissage étaient réunies ?

Allons-nous opérer un retour au Moyen Âge et mettre en place une ligue à l’image de la défunte LINAF, en ignorant les exigences pointues du football professionnel, formulées, sous forme de recommandations puis d’injonctions, depuis des décennies, à l’endroit des dirigeants de la FHF ?

D’où, je pense, la possibilité d’envisager une voie plus constructive et plus consensuelle : une démarche conjointe CN-Clubs mise en place d’un cartel de consensus articulée autour de trois (3) étapes, sinon chantiers indissociables.

  • Premièrement, le vote de statuts revus, modernisés et partagés, clarifiant les compétences, les contre-pouvoirs et les obligations de transparence.
  • Deuxièmement, l’organisation d’élections transparentes, pour doter la fédération d’une autorité élue et légitime. Dans ce scénario, des membres actuels du CN jouissant d’une crédibilité et de compétences techniques avérées pourraient, le cas échéant, quitter leur fonction transitoire pour se porter candidats dans un processus de compromis — conciliant l’expérience accumulée et le retour à la normalité institutionnelle.
  • Troisièmement, la conception d’une ligue professionnelle viable, avec un règlement homogène, des critères de licences pour les clubs (infrastructures, finances, formation), un modèle économique réaliste (actionnariat, droits médias, billetterie, sponsoring, etc.) et une gouvernance indépendante des aléas politiques.

Cette proposition, énoncée dans une modestie que j’assume, place d’abord les statuts au cœur du dispositif, afin d’ancrer une base juridique claire (compétences, contre-pouvoirs, transparence) sans laquelle toute architecture ultérieure serait bancale. Viennent ensuite les élections, tenues selon ces règles rénovées, pour conférer une légitimité incontestable aux décideurs appelés à arbitrer et à engager la responsabilité de la FHF. Ce n’est qu’avec cette légitimité que la ligue professionnelle peut être lancée sereinement — en contractualisant des obligations pluriannuelles (licences, droits médias, modèle économique) crédibles pour les clubs, les partenaires et le public.

Cette voie du consensus, que je présente et qui pourra alimenter les débats contradictoires civilisés dans les cercles sportifs et footballistiques, aurait un double effet vertueux :

  1. Sur le plan sportif, elle enverrait un message clair aux Grenadiers et à l’ensemble des sélections : les dirigeants du football haïtien savent dépasser les querelles d’appareil pour placer l’intérêt national au-dessus de tout. La stabilité perçue est un facteur de performance : elle favorise l’engagement des joueurs, facilite la planification des clubs et crédibilise Haïti auprès des compétitions régionales.
  2. Sur le plan institutionnel, elle montrerait à la FIFA, à la CONCACAF et à ses partenaires que le pays peut orchestrer une transition exemplaire, fondée sur l’entente, la coopération, la transparence et la responsabilité partagée.

En définitive, l’heure n’est plus aux divisions ni aux querelles de personnes dans le football national.

Si la priorité absolue demeure le rétablissement d’un climat sécuritaire — condition sine qua non de toute relance crédible — la balle est d’abord aux pieds de l’administration politique (CPT & Gouvernement) qui doit garantir des conditions minimales de sûreté — sécurisation des axes routiers d’abord, liberté de circulation de la population ensuite, passant par la rénovation des espaces devant accueillir les rencontres, et finalement la sûreté des enceintes sportives, des équipes et officiels, dans une coordination opérationnelle avec les collectivités territoriales et les forces de l’ordre pour le déroulement harmonieux des championnats nationaux.

Sur le socle de ce rétablissement sécuritaire, Haïti pourra graduellement déployer une ligue professionnelle forte et bien organisée, dotée de règles claires, d’une gouvernance partagée et d’un calendrier réaliste.

Le temps du sursaut citoyen et de la responsabilité collective a sonné : aux décideurs publics, clubs et au Comité de normalisation d’y travailler dès maintenant — statuts, modèle économique, licences clubs, arbitrage indépendant, mécanismes de transparence — afin d’être prêts dès que la fenêtre sécuritaire s’ouvrira.

On ne peut plus se permettre de laisser des milliers de jeunes sans pratique sportive, ni de priver le public d’un championnat local digne de ce nom. Pas davantage, nous ne pouvons revenir à une gestion du football par une ligue bancale ou obsolète (LINAF) — dont l’on peut certes tirer quelques bonnes leçons (ancrage territorial, mobilisation de bénévoles, sens du calendrier), mais qui demeure loin des standards de professionnalisation et de redevabilité exigés aujourd’hui.

L’heure est à une ligue véritablement professionnelle, adossée à des statuts modernes, à des procédures strictes d’octroi de licences et à une gouvernance indépendante, pour servir l’intérêt national.

 Si le football réussit cette transition, il deviendra un modèle dont tout le pays pourra s’inspirer. Suivez mon regard !

 

Mickelson THOMAS

Ex-DG du MJSAC

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