La stabilité politique est souvent considérée, à tort ou à raison, comme un baromètre de la santé d'un secteur public.
A l’instar d’autres ministères, celui de la Jeunesse, des Sports et de l’Action civique (MJSAC), théâtre d’une valse de onze (11) ministres s’étant relayés de décembre 2011 à novembre 2023, illustre cette chronique d'instabilité récurrente qui transpire des turbulences politiques et soulève des questions relatives à sa répercussion sur l'optimalité fonctionnelle du secteur, que le présent article se propose d'analyser.
Depuis l'entrée en fonction de M. Jean-Roosevelt RENE (octobre 2011) jusqu’à l'administration actuelle sous le leadership de Mme Raymonde RIVAL (novembre 2021), le MJSAC a vécu au rythme de nominations reflétant la turbulence et les remous du paysage politique haïtien. Celles-ci ne reflètent guère une démarche imprégnée des motivations cohérentes des décideurs politiques envers les besoins exprimés du secteur de la jeunesse, des sports et de l'engagement citoyen. Elles s'apparentent davantage aux résultats de tractations politiques destinées à tempérer les manœuvres bruyantes de factions et partis politiques, opposants ou alliés, dont les intérêts, agendas et programmes se trouvent souvent en contradiction flagrante avec les orientations gouvernementales énoncées lors des discours inauguraux des dix (10) Premiers ministres, qui se sont succédé au cours de la même période.
Si l'instabilité ministérielle n'est qu'un symptôme apparent d'un malaise institutionnel plus profond - à l’instar de la fièvre qui n'est qu'un signe et non la cause de la maladie - les changements fréquents au sein des ministères ne sont pas la source, mais plutôt le reflet d'un dysfonctionnement systémique.
Toutefois, il serait malvenu, de notre part, de porter un jugement de valeur sur l'aspiration légitime d'un parti politique à exercer le pouvoir et à se voir conférer des charges publiques, ces ambitions constituant l'essence même de la dynamique démocratique et de la pratique politique. Cependant, en tant qu’amants du sport, nous avons l’espoir chevillé au corps que de telles visées politiques soient commandées par la défense intérêts primordiaux de la Jeunesse, la promotion du Sport et l’exaltation du Civisme. Or, une apparente absence de concordance met en lumière les complexités et les contradictions inhérentes aux arcanes de la scène politique haïtienne, où les impératifs d'une vision prospective à long terme se heurtent souvent aux exigences fluctuantes et immédiates des stratagèmes des jeux de pouvoir à court terme.
Par conséquent, chaque nouveau titulaire nommé au MJSAC, muni de son ampliation, présente une feuille de route parfois élaborée dans une hâte regrettable. Cette précipitation impose donc aux fonctionnaires méritoires de l’institution une prompte capacité d'adaptation, entraînant une réévaluation des orientations précédentes; d’autant que la continuité gouvernementale, concept trop souvent écorné, qui nécessite une constante harmonisation des ambitions spécifiques d’un parti avec les chantiers sectoriels en cours n’est pas toujours au rendez-vous.
Il est donc impératif d’exposer brièvement les implications institutionnelles inhérentes à cette regrettable réalité administrative, pour mesurer les impacts et défis induits sur la performance ministérielle, tiraillée entre les impératifs d'une réactivité immédiate et ceux d'une planification stratégique à long terme.
Les défis de la planification stratégique
L'absence d'une gouvernance stable représente un goulet d’étranglement majeur à l'élaboration d'une stratégie cohérente. Des politiques pérennes sont cruciales pour le développement des programmes destinés à la Jeunesse au Sport et au Civisme. Aussi, l'instabilité ministérielle compromet-elle gravement la concrétisation d'une vision prospective, entravant ainsi la capacité du MJSAC à initier des projets structurants s'inscrivant dans la durée.
Conséquences sur les programmes, projets et initiatives
La carence de gouvernance stable entrave sévèrement la mise en œuvre de programmes structurés, compromettant ainsi l'aboutissement des projets et initiatives qui en découlent. Et pour cause, la fréquence des changements ministériels conduit à l’interruption, voire l'abandon de projets prometteurs et à une érosion de la mémoire institutionnelle. Les initiatives, parfois à l'état embryonnaire, ne sont pas suffisamment matures pour produire des résultats tangibles, et les investissements publics se dispersent sans atteindre leurs publics cibles.
Les effets sur la coopération internationale
La volatilité ministérielle sape les chances du MJSAC d'établir des alliances stratégiques durables, les acteurs engagés dans la solidarité internationale privilégiant, avant tout, la stabilité institutionnelle pour la fondation de partenariats à long terme.
Impact sur la gestion des ressources humaines
L'instabilité ministérielle engendre démoralisation et démotivation au sein du MJSAC, plongeant le personnel dans l'incertitude et sapant leur engagement dans des projets incertains. Ce climat préjudiciable nuit à la gestion des ressources humaines, entravant la rétention de professionnels qualifiés. Nombreux sont ceux qui, ayant bénéficié de bourses d'état pour des études supérieures à l'étranger dans des disciplines bénéfiques pour le secteur, ont quitté leurs postes pour des horizons plus stables, notamment au Canada et aux États-Unis, attirés par des offres plus prometteuses.
Répercussions sur les athlètes et la représentation à l’Internationale
Sur le terrain, les athlètes ressentent avec acuité les effets de cette instabilité. La préparation pour les compétitions internationales requiert des moyens conséquents et un accompagnement ininterrompu. Dans le contexte des pays à économie limitée où le financement étatique est vital pour les associations et fédérations sportives fédérales, l'absence d'une gouvernance cohérente et pérenne porte préjudice tant à la prestation des de nos Grenadiers et Grenadières, qu'à la représentation d'Haïti sur l'échiquier sportif mondial.
Solutions et perspectives
Pour contrer cette instabilité, il est crucial de nommer des ministres pour leur compétence sectorielle plutôt que pour leur influence politique. En outre, l'établissement d'une législation garantissant un mandat minimal pourrait initier une ère de stabilité soutenue, bien que cette idée paraisse idéaliste vu les rivalités au parlement pour le contrôle des postes ministérielles. Par ailleurs, l'instauration d'un conseil consultatif d'anciens ministres au sein du MJSAC pourrait tempérer « l'éphémérité » des réformes et ancrer une politique sectorielle visionnaire, sur un horizon de vingt-cinq (25) ans. Enfin, la formation d'un syndicat unique et intègre, purgé de motivations cachées et d'objectifs discordants, pourrait renforcer les efforts pour instaurer une dynamique de travail cohérente et pérenne au sein du Ministère.
L'aspiration à la stabilité au MJSAC nécessite une politique de Jeunesse, de Sport et de Civisme articulée autour d’un programme avec une vision stratégique à long terme, conçue pour persister au-delà des fluctuations politiques, soutenue par les acteurs du mouvement sportif et associatif et ratifiée par les élus de la nation. Les ministres ne devraient qu'en affiner l'exécution sans en altérer la substance. La continuité politique ne se mesurerait pas à l'aune des titulaires, mais par l’adhésion à une vision nationale constante, avec comme préalable non négociable, l'instauration d'un climat sécuritaire indispensable au progrès du secteur.
Mickelson THOMAS
Amant du Sport
Entraîneur Niveau III International (FIVB)