Pour la valorisation du travail social dans le secteur sanitaire en Haïti

Introduction

L’intervention sociale en milieu hospitalier par les travailleurs sociaux est d’une importance capitale pour que la question de soins intégrés soit une réalité dans le pays. La santé, selon OMS (1999) « est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité». Dans un système de santé, il faut tenir compte de la multidimensionnalité de l’être humain, et on ne peut pas réduire uniquement  la santé à la dimension physique qui relèverait des compétences des médecins.

Les deux autres dimensions, le mental et le social sont négligées dans les structures du Ministère de la Santé publique et de la Population (MSPP) l’organe régulateur de la santé en Haïti. Il existe en son sein une unité de santé mentale et deux insignifiants centres psychiatriques végètent dans la région métropolitaine de Port-au-Prince. On n’y trouve aucune structure pour gérer la dimension sociale en matière  de santé humaine.

Il n’existe pas une direction de Travail  Social au MSPP et l’ignorance quasi complète des travailleurs sociaux est notoire dans les hôpitaux en Haïti. Dans ceux qui en disposent, ces professionnels ont, pour la plupart,  intégré au cours des années 1990, pour aider les patients à faire face à la discrimination liée au VIH/SIDA.

Nous voulons ici montrer l’importance du Travail Social dans la conception de politique publique en matière de santé, faire ressortir la nécessité de l’intervention des travailleurs sociaux dans les hôpitaux autant qu’en communauté. Enfin, nous proposerons au  MSPP  des pistes pour   une réelle intégration et une valorisation du Travail Social dans le secteur de la santé en Haïti.

  1. Travail Social et santé publique

Le Travail Social a fait son apparition dans le domaine de la santé au début du XXe siècle avec la remise en question de la médicalisation des problèmes sociaux et des mauvais traitements des patients dans les hôpitaux et les asiles. Il a entraîné l’accompagnement des personnes faisant face à des problèmes psychosociaux et la reconnaissance des  déterminants sociaux de la santé comme facteurs  de  maladie ayant un  impact important sur les conditions de vie des personnes. Les éléments anthropologiques et socioéconomiques participent dans la perception et dans le comportement des malades et par conséquent doivent  être pris en compte dans la définition d’une offre de soins de qualité. La recherche de ces facteurs et leur suivi dans la prise en charge des patients constituent le domaine du travailleur social dans les systèmes de santé. Le lien entre le Travail Social et le domaine de la santé doit être systématiquement maintenu et  l’intégration du travail social dans le secteur de la santé assurera la permanence de cette liaison.

    1. Intégration du travail social dans le secteur sanitaire

Deux moments clés marquent l’histoire  de l’intégration du Travail Social dans le secteur sanitaire :

  • Une vision : Le généraliste John CABOT  avait dès 1905 compris que l’environnement social de la personne a un impact sur sa maladie. Il a engagé une travailleuse sociale pour l’aider à  harmoniser les dimensions biopsychosociales  des patients, assurer le suivi du traitement et  la liaison entre les patients, la famille et l’hôpital (Cabot, 1919 cité par Berthiaume, 2009).
  • Une initiative collective : le  « mental hygiene movement » en 1908 aux États-Unis d’Amérique. Entreprise  par un ex-patient « Clifford Beers et le docteur Adolf Meyer », elle  dénonçait le comportement totalitaire vis-à-vis des patients dans les asiles, dans les hôpitaux (Piorkowski, 2012).
  • À partir de ces mouvements, les travailleurs sociaux ont rejoint les structures de santé mentale comme accompagnateurs et défenseurs des droits des personnes et ont  joué le rôle de médiateur entre l’institution, les familles des patients et leur environnement. (Cormier et Bergeron-Leclerc, 2009).

 

  1. Travail Social et politique publique en matière de santé

A côté des problèmes psychosociaux, les travailleurs sociaux sont aussi concernés par les déterminants sociaux de la santé.

2.1. Travail social et déterminants sociaux de la santé

On ne peut pas penser un système de santé sans tenir compte des déterminants sociaux de la santé tels, d’après Henri DORVIL (2013): l’insécurité alimentaire, le problème de logement, de l’assainissement, du chômage, etc. Ils  influent sur la santé des individus et des populations. Le maintien en  santé d’une population n’est pas seulement l’affaire d’un ministère de la santé. Dans les structures sanitaires, il faut, dans la prise en charge des patients, prendre en compte leurs conditions de vie et leur réalité socioculturelle « Si  plus on est élevé dans la hiérarchie des revenus, moins grande est la mortalité, […] plus longue […] est l’espérance de vie en bonne santé, il y a donc certaines choses dans la santé que la médecine ne peut pas guérir » (Dorvil, 2013).

Le travail social est devenu très important pour agir sur les politiques publiques en matière de santé : il intervient sur  les causes de la mortalité des pauvres et des plus pauvres face auxquelles la médecine reste impuissante.

  1. La pratique des travailleurs sociaux dans le secteur sanitaire haïtien

Les travailleurs sociaux interviennent à la fois en milieu hospitalier, -incluant les centres de prise en charge des malades mentaux - et dans le cadre de santé communautaire.

3.1. Travail social en milieu hospitalier

Les travailleurs sociaux interviennent dans la prise en charge des personnes vivant avec le VIH-SIDA et sont chargés de les accompagner  tout au long du processus de traitement. IIs peuvent aussi  accompagner les patients hospitalisés qui refusent de collaborer avec l’équipe médicale en réponse au comportement des personnels soignants,  aux problèmes liés à leurs conditions de vie ou à leur perception de la maladie. Ils participent à la prise en charge des personnes en période pré ou post-opératoire.

Ils prennent en charge des enfants ou bébés abandonnés à l’hôpital et assurent la liaison entre les autorités compétentes en matière de protection d’enfants. En outre, ils accompagnent sur le plan  psychosocial des employés déboussolés par les problèmes de stress de la vie quotidienne, de frustration et de l’épuisement au travail (burn out). Ils contribuent également à la défense des patients qui, certaines fois, sont négligés, discriminés par les personnels soignants. Nous devons mentionner les visites domiciliaires qui ne rentrent pas dans la pratique  des services de santé en Haïti sauf dans la prise en charge des malades tuberculeux, des enfants malnutris et l’accompagnement des personnes handicapées dans certains Hôpitaux.

3.2. Travail social et santé communautaire

Au niveau communautaire les travailleurs sociaux agissent, dans le cadre de la prévention primaire qui constitue l’ensemble des actes destinés à diminuer l’incidence d’une maladie ou d’un problème de santé ; dans la prévention secondaire, qui sont tous les actes destinés à réduire la prévalence d’une maladie dans une population en vue de réduire son évolution (Espace prévention, 2014).

Dans le cadre de la prévention primaire, ils sont capables d’intervenir dans la planification et dans la réalisation des activités de sensibilisation. Au niveau de la prévention secondaire, à travers des services de proximité, ils peuvent mobiliser la communauté autour des causes et des risques du problème vers la recherche d’une solution durable. 

IV- Proposition pour la valorisation des travailleurs sociaux dans le secteur

Le rôle joué par les travailleurs sociaux dans la société notamment en milieu hospitalier et en santé communautaire s’avère plus que nécessaire. Pourtant, ils sont dévalorisés dans le système par manque de reconnaissance de la discipline  dans le pays ; puis,  par la conception réductrice de l’être humain par les autorités et, surtout par manque d’organisation des travailleurs sociaux professionnels.

4.1. Problème de reconnaissance  du Travail Social en Haïti

Bien que la formation en Travail Social ait traversé plus de cinq décennies en Haïti, il y a encore une méconnaissance de la discipline. Cette méconnaissance s’explique d’une part, par la mise à l’écart de l’université dans les grandes décisions ou dans la vie politique du pays, d’autre part, par le fait que les universités n’adressent pas les grands problèmes de la nation. Il n’y a pas une parfaite relation entre l’université et le fonctionnement de la société haïtienne.

À côté de cette méconnaissance de la discipline, il faut souligner la conception réductrice de l’être humain à sa dimension physique. Ce qui justifie  l’absence de politique de santé mentale  dans le pays et qui explique également l’absence d’une structure bien organisée au sein du MSPP s’occupant des deux autres volets  de la santé.

D’ailleurs, certaines institutions  embauchent des personnes à titre de travailleur social, alors que celles-ci n’ont aucune formation en la matière. Ces institutions embauchent des psychologues, des sociologues à ce titre. S’il existait l’ordre des travailleurs sociaux professionnels, on pourrait régir l’organisation et la pratique du Travail Social en Haïti en tenant compte de la réalité locale.

4.2. Actions pour la valorisation du travail social dans le secteur sanitaire en Haïti

Des mesures efficaces pour la prise en charge de la santé mentale en Haïti et agir sur les déterminants sociaux de la santé sont nécessaires.

Le  MSPP devrait  non seulement se doter, d’une direction psychosociale constituée de deux unités spécifiques : (Unité de santé mentale et une Unité de Travail Social), mais surtout d’exiger  l’intégration de ces professionnels dans  les hôpitaux  publics et privés du pays. Pour ce faire, le MSPP doit mettre au point avec les universités locales dotées d’un curriculum de travail social, les programmes adéquats visant à faciliter leur intégration dans le secteur et à assurer la formation continue selon les exigences du secteur et de la dynamique sociétale.

En guise de conclusion

Pour rendre plus dynamique l’intervention des travailleurs sociaux dans le secteur sanitaire, le MSPP doit jouer son rôle de médiateur en vue de faire de la santé une affaire de tous les secteurs de la vie nationale. Il doit cesser d’être le ministère de la maladie, et devenir, effectivement, le ministère de la Santé publique. Ce niveau optimal nécessite une collaboration franche et significative entre tous les intervenants respectifs à savoir : professionnels médicaux,  psychologues, psychiatres et travailleurs sociaux.

 

Sedrick SAINTUS

Licencié en Travail Social

Master  en Économie sociale et solidaire

Sedrick.saintus@gmail.com

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