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Une voile est tombée, une étoile est partie

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On prendra du temps à comprendre et à admettre, tout ce qui va nous manquer avec ce départ inattendu de cette éminentissime  personnalité, Mme Liliane Pierre Paul.

Madame, vous demeurez une figure emblématique de femme haïtienne adulée, la plus conséquente que j'ai connue pour ma part. Toujours ferme à votre douleur affective pour le pays, ferme à vos convictions profondes et à votre critique sans langue de bois. Une dialectique  avertie du prisme du langage, pour une icône  de la presse haïtienne, qui a connu son martyr, même contrainte à l’exil le 28 novembre 1980, du temps obscur de la dictature sanguinaire des Duvalier. Vous n’avez jamais eu froid aux yeux pour  défendre des libertés individuelles et collectives. Contre vents et marées et face aux assauts répétés des régimes successifs en turpitude, vous avez été tenue debout. Depuis plus de 35 ans, vous portez  une passion de la parole libérée, d’une militante indéfectible des droits humains, de la démocratie et de la dénonce totale de la corruption sur toutes ses formes.

Madame, vous avez été un être pro social, altruiste, caractériel par nuance et sans équivoque, qui a  eu  ce sens parfait de l'histoire immédiate et des faits sociopolitiques des 50 dernières années. Capable de  nous faire revivre à coup de scansion rythmée, les grands drames de ce pays et comprendre les grands défis et enjeux qui en découlent. Avec vous la géopolitique n’est pas à craindre, car il faut s’informer pour comprendre la mouvance bipolaire du monde de chaque jour. Afin de fuir ou éviter l’aliénation socio-culturelle du système  globalisant, là où l’impérialisme moderne asservit certains États et leurs dirigeants fantoches  sur mesure, les rendant vassaux et prêts à l’emploi de l’économie néolibérale accablante. Vous avez toujours pensé que nous avons été et nous sommes ce grand peuple de l’histoire de l’humanité, qui mérite de garder son authenticité, tout en étant capable de s’ouvrir et de s’adapter souverainement aux concerts des autres nations. Une nation capable de faire confiance à sa population, de faire confiance à la science et à  la technique, capable de produire, de transformer et de nourrir tous ses enfants en toute dignité. Du moment qu’on s’y attèle courageusement et intelligemment à la tâche.

Madame, effectivement vous avez bien compris, comment tourne la roue de notre société à la tourmente. Il est évident que beaucoup de combats continuent d’être menés à date par d’autres consciences concernées, pour tenter de pallier les problèmes cruciaux du cycle infernal de la pauvreté extrême, de l’injustice sociale et géographique, de la redistribution inéquitable des richesses et du processus de marchandisation de la situation humaine précaire, comme variable économique des plus cupides. Malheureusement, les droits de l’homme et de la femme sont toujours en proie aux envies fougueuses des plus mafieux, qui veulent quoique honteusement, en bénéficier. Toutes ces irresponsabilités, ignorances de civilisation et leurs effets négatifs pervers ont un impact critique sur la sécurité, la santé et la dignité de l’être  haïtien. Le terrain de ce mal endémique reste houleux. Vous avez été une hôtesse de ces préoccupations fondamentales dès les années 70; sans concession aucune, les dire, les  approfondir jusqu’à leur  épuisement, n’a jamais été fortuite dans votre lecture, pour barrer leur évitement.

Pour vous madame, la mémoire licencieuse ne meurt jamais et l'avenir est à bâtir au quotidien avec labeur et patriotisme. À partir de 4 heures Pm de la journée de la Radio Kiskeya, « Nan Radio Kisyeya li fè 4 trè », aucune autre voix ne saurait être familière outre que la vôtre.  Dans un ton opiniâtre; robuste; perspicace; analytique; critique; ironique; sensible, voire même fragile, votre verbe poursuit une cause sans masque social, de cette  journaliste militante aguerrie sans conteste. Un effort dans la justesse des mots, sans possibilité d'amalgame pour l'édification du plus grand nombre ou du plus inculte.

Avec vous Liliane, la langue créole agrainée d'un folklore riche, saisissant et imagé, était utilisée comme une arme de combat puissante, pour servir et pour unir, pour comprendre et pour agir, pour dénoncer ou apprécier quand il le faut. Cela  nous manquera amèrement pendant longtemps. Car on attendait et en jouissait religieusement de vos propos justes et de vos déchiffrages éclairés de chaque évènement, de chaque fait politique ou de société, de chaque accord ou désaccord, de chaque acteur social ou politique, de chacun de leurs déferlements et de leurs  retournements.  En conséquence, vous minez un regard total sur la crise haïtienne systémique, pour une chroniqueuse en avance sur beaucoup de catastrophes sociopolitiques annoncées. Quand Liliane place une voix sur la conjoncture, on fait mieux de  l’écouter, car elle sait comment faire trembler les murs et faire bouger les lignes.

Puisque aucune âme qui vive ne saurait être parfaite, vous n'auriez pas pu échapper aux fatalités qui incombent au genre humain. À savoir des limites de certaines idéologies ou pensées arrêtées trop certaines, pour cause de sensibilité ou de constructions sociales, de portion de partialité ou simplement de sympathie naturelle. Vous acceptez vos différences sciemment  et n’avoir jamais eu peur d’aborder la position minoritaire dans vos idées, même si cela vous coûte cher dans la balance. Ce qui fait de vous une personne assertive unique, imprégnée de vos pulsions, de vos propres  jugements, de vos mesures, voire même de vos démesures. On s'y faisait avec madame, car c’était vous.

Madame vous avez eu votre temps, vous avez bien fait votre œuvre, quoique sûrement partie avec le cœur lourd et troublé dans  un consumérisme de l’intérieur, n’ayant pas pu être le témoin d’une Haïti prospère, juste et équitable pour tous ses citoyens. Aux yeux de beaucoup, vous resterez fidèlement Liliane Pierre Paul, la matriarche de la démocratie en Haïti, même pour les ingrats qui vous ont combattue.

Une voile est tombée, une étoile est partie, bonne traversée madame, mais surtout ne renoncez jamais de porter Haïti dans votre cœur, même dans les entrailles de l'au-delà. Et mille mercis, madame, pour vos engagements et tous vos sacrifices citoyens impayables!

Nan Radyo Kiskeya li fè 4trè

En hommage à la journaliste militante, Liliane Pierre Paul (16 juin 1953 -31 juillet 2023

Jean Evalcin Odney Sociologue

 

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