Pour l’élimination du mémoire de sortie au premier cycle universitaire

Contexte

Le texte du professeur Carly Dollin, en date du 12/20/2023 dans le quotidien Le National,[i] dresse l’inventaire des causes réelles d’un faible taux de diplomation pour confirmer le constat de l’étudiant finissant, Davidson Adrien, démontrant les difficultés auxquelles les étudiants de l’UEH confrontent pour réaliser leur mémoire de sortie.[ii]  Cette réflexion qui suit prend le contrepied de leur position pour démontrer que le problème est essentiellement lié à l’exigence du mémoire et au manque de pratique de rédaction. Etant circonscrite dans la période évoquée par le professeur, cette réplique :

 

I : Relate les quatre obstacles évoqués par le professeur Dollin ;

II : Assimile l’exigence du mémoire à un vœu pieux ;

III : Pointe du doigt la sortie du labyrinthe académique.

 

Elle conclut en soutenant qu’il n’est pas nécessaire de retarder la sortie des étudiants du moule du premier cycle universitaire avec une exigence académique surannée, surtout que le Régime Académique Commun (RAC) en cours à l’Université d’État d’Haïti (UEH) propose de substituer au mémoire la pratique de rédaction.

I : Les obstacles comme souci du professeur

Reconnaissant que les étudiants n’arrivent pas à boucler leur cycle d’études à temps, il résume les obstacles en ces termes :

  1. L’étudiant se retrouve pratiquement sans un accompagnement adéquat par manque de professeurs disponibles pour l’assister dans la préparation de son mémoire ;
  2. L’étudiant sans revenu, qui se voit obligé de rémunérer le directeur de recherche, dans le cas de l’UEH, si ce n’est de l’acheter de certains professeurs, est découragé ;
  3. Le délai pour boucler le travail de sortie n’étant pas fixé, l’ambiance estudiantine ne s’y prête pas et l’étudiant est plus soucieux de trouver un emploi plutôt que de se consacrer à la rédaction du mémoire ;
  4. L’étudiant ne peut se tailler un mémoire de bonne facture sans avoir accès à une documentation adéquate.

En effet, selon lui, ce sont des obstacles majeurs qui, contribuant à un faible taux de diplomation, seraient endigués avec des mesures appropriées. Par exemple,  il souligne l’importance d’avoir un corps professoral à plein temps adéquatement rémunéré et disponible pour assurer l’apprentissage des étudiants au cours de leur cycle d’études. En conséquence, il en résulterait un meilleur encadrement et un renforcement des cours de méthodologie.

 

Le souci relatif à l’incapacité de réaliser le travail de sortie rappelle les propos du journaliste Danio Darius en 2008 décrivant l’exercice de « mémoire de sortie comme un calvaire » qui se traduit par un faible taux de diplomation.[iii]  Relancer ce débat aujourd’hui dénote que les étudiants ne sont pas encore sortis de l’ornière, malgré deux initiatives qui ont déjà adressé les deux premières causes énumérées par le professeur Dollin. Il s’agit :

  1. du Programme d'Appui financier à la Recherche (PAFR) lancé en 2005[iv] par le Rectorat de l'UEH qui consistait à offrir une subvention aux étudiants et une prime aux professeurs accompagnateurs ;
  2. de l’adoption du régime de professeurs à temps plein dans les années 2016-2018.[v]

 

Cette considération étant faite, est-il plus sensé d’imputer le problème à l’absence d’un délai obligatoire qui porterait les étudiants vers la procrastination ? Autant que ces aspects puissent y jouer un rôle, ils sont accessoires. Même en comblant ces vides en bonne et due forme, avec des accompagnateurs compétents, des subventions financières considérables, des cours de méthodologie bien élaborés, l’accès à jour à la documentation, les étudiants peineraient toujours à terminer leurs travaux de sortie.

 

II : L’exigence du mémoire, un vœu pieux

 

Ce qui suit est l’extrait d’un texte justifiant l’élimination du mémoire pour obtenir le grade licence. [vi]  

«…Si le mémoire est considéré comme un exercice d’apprentissage à la recherche, il suffit de demander si tous les étudiants sont intéressés à devenir chercheurs ou simplement intégrer le marché du travail. À cette question, le cursus des facultés serait taillé de manière telle à leur permettre d’orienter leurs formations suivant leurs aspirations. C’est un gaspillage en temps et en ressources de certains d’entre eux et de l’UEH d’imposer le mémoire à tous. Au regard de tout ce qui se fait ailleurs, on peut aller plus loin pour questionner la nécessité même du mémoire au niveau de licence où l’étudiant encore dans le processus d’apprentissage des connaissances n’a aucune maturité académique. Un tel travail est aujourd’hui reporté au niveau post-gradué pour être remplacé par des rapports courts qui mettent l’emphase sur l’organisation de la pensée, l’analyse, la cohérence, la créativité, la clarté et la simplicité de la communication.»

 

De surcroit, fournir des cadres au pays n’implique pas nécessairement une préparation orientée        vers la recherche, mais plutôt l’apprentissage des connaissances pratiques, l’organisation cohérente des activités intellectuelles à des fins utiles et la capacité de communiquer clairement ses pensées. Pour ce faire, faut-il nécessairement réaliser un mémoire soutenu par quelques cours de méthodologie principalement à mi-parcours ou en fin de cycle d’études comme exigence académique finale pour l’obtention du grade de licence sans la pratique de rédaction ? Vu sous cet angle, c’est un vœu pieux d’en faire une exigence au risque de ne pourvoir au pays un nombre de cadres suffisants…

 

Le constat statistique du professeur rejoint celui du texte dont l’essence est reprise ici pour clairement démontrer que l’exigence de mémoire est un ralentisseur du taux de graduation et de diplomation.[vii] En effet, les entités de l’UEH qui n’exigent pas de mémoire de sortie ont un taux de diplomation plus élevé que les autres.

«…Sur la totalité des gradués à l’UEH de 2003 à 2006, il revient de constater que seules les facultés où le mémoire n’est pas requis enregistrent un taux de gradués avec diplômes plus élevé que les autres qui font du mémoire une exigence. En effet, l’INAGHEI (particulièrement avec le département de sciences comptables), et la faculté de médecine et de pharmacie (FMP) sont en tête de liste. Respectivement, en 2003, 2004, 2005 et 2006, l’INAGHEI affiche 37%, 14%, 33% et 30% pendant que la FMP s’y accorde avec 28%, 40%, 22% et 32%. La faculté d’odontologie (FO) qui n’exige pas de mémoire suit le même courant que les deux facultés précitées avec un taux de gradués relativement élevé à 75% près des 25 étudiants qu’elle accueille environ par année… 

 

«..Il est toutefois bon de noter que les autres départements de l’INAGHEI comme la gestion, l’administration publique et les sciences politiques pour lesquelles un mémoire ou trois mini-projets sont requis, le taux de gradués accuse un large écart par rapport au département de sciences comptables. Une telle particularité est la tendance au niveau des facultés qui optent pour le mémoire/projet de sortie. Il y a l’ENS, la FAMV, la FASCH, la FDS, la FDSE, la FE, la FLA et l’IERAH qui éprouvent beaucoup de peines à faire sortir des gradués avec diplômes en mains. Adoptant la pratique des certificats attestant la fin du cycle d’études sans mémoires, l’UEH fournit de moins en moins de cadres au pays… »

 

«…Cette observation porte à formuler deux hypothèses de sortie : a) l’absence de mémoire dans toute l’UEH augmenterait le taux des gradués avec diplômes ; b) une meilleure préparation faciliterait la remise des mémoires donc, l’augmentation des gradués avec diplômes. Si l’expérience de la FMP, de la FO, et de l’INAGHEI tend à supporter la première hypothèse, elle ne dit pas qu’il est impossible de boucler le cycle d’études avec un mémoire fini. Ce qui invalide la première hypothèse en terme de capacité académique. S’il faut terminer le cycle d’études avec mémoire, la deuxième hypothèse est vraie. Voudrait-il dire que l’UEH doit inculquer les bonnes techniques de rédaction, d’analyse, de recherche aux étudiants et de traitement des informations ? Faudrait-il croire que leurs mémoires seraient réalisés au moment même de boucler leur cycle d’études, exactement dans 4 ou 5 ans ? L’UEH emboîterait-elle le pas des universités modernes qui reportent le mémoire au niveau post-gradué ?

 

Suivant la conception que se fait l’UEH du mémoire, la première ou la deuxième hypothèse serait adoptée. Si le mémoire est considéré comme une initiation à la recherche, il est absurde de l’imposer à tous, car beaucoup d’étudiants veulent investir le marché du travail tout de suite après le premier cycle d’études universitaire. Il est alors temps de l’approprier au cas de ceux qui en majorité ne sont pas intéressés à la recherche…à ce titre, la deuxième démarche siérait mieux s’il s’agissait d’inculquer à tout le monde des techniques de communication écrites capables d’améliorer leur capacité d’analyses et de traitement des informations.

 

Par contre, si le mémoire est considéré comme le seul travail de recherche d’envergure que peut produire l’UEH, faire du mémoire une exigence est compréhensible. Toutefois, ce serait injuste de le réclamer d’un étudiant du premier cycle, car c’est le travail d’un professeur/chercheur. N’ayant pas encore la maturité académique, et même avec une forte capacité d’analyse, l’étudiant de ce niveau ne peut en aucune façon produire un travail de recherche de calibre au point d’en vouloir faire une publication scientifique. Ce qui ferait défaut à un tel travail est le manque de maîtrise des connaissances déjà accumulées dans le domaine imputable à la gestion de l’académique. Il faut toutefois admettre qu’un travail original et conséquent de la part d’un étudiant est possible ; mais que peut-on en faire si ce n’est de cibler un tel étudiant pour l’accompagner et parfaire son intellect ? »

 

III : La sortie du labyrinthe académique

 

Encore, la réplique faite au professeur Dollin puise d’un autre texte critique de l’enseignement supérieur en Ayiti avec l’UEH comme objet d’analyse.[viii] Ayant démontré que l’exigence de mémoire perd tout son sens au premier cycle universitaire, il importe de démontrer que la vraie raison faisant qu’un «…grand nombre d’étudiants finissants coincés dans le système, à cause d’un mémoire qu’ils n’arrivent pas à rédiger, pour former un goulot d’étranglement qui ralentit la vitesse de sortie des promotions… » réside dans le fait qu’ils ont du mal à rédiger avec entrain. Concrètement, sortis du cycle secondaire, ils n’ont jamais comblé leurs lacunes liées à la capacité de rédaction. Cela dit, le système d’enseignement universitaire n’a jamais pu mettre en place un mécanisme pratique devant leur permettre de surmonter lesdites faiblesses.

 

N’ayant jamais eu

«… pendant tout le cycle aucune technique d’acquisition, de traitement des connaissances, de communication, et d’autonomie académique, ils sont perdus dans le labyrinthe académique…» En conséquence, «...il leur devient impossible de produire un travail reflétant un apport personnel avec toutes les rigueurs académiques que cela exige. S’ils ne trouvent pas un directeur de mémoire à qui ils doivent payer pour la rédaction du mémoire, ils vont rester dans le système sans pouvoir le laisser un jour. Considérant les conditions pauvres de nombreuses familles et de la faiblesse académique et administrative de l’UEH, beaucoup croupissent dans le premier cycle pendant des années sans décrocher leurs diplômes. »

 

Sans banaliser, les propositions du professeur, mais contrairement à ce qu’il croit, l’approche simple, pour y remédier et élever le taux de diplomation dans le système d’enseignement  du premier cycle, est impérativement l’élimination du mémoire de sortie. Ce faisant, le mémoire sera remplacé par de multiples rédactions courtes de 5, 10, 15 ou 20 pages dépendant du cours, incorporant bien sûr toutes les exigences qu’un travail académique requiert. Cela implique, bien sûr, un travail préalable d’apprentissage des techniques de rédaction dès les premières sessions de l’année universitaire. Avec des exigences de produire un petit travail de rédaction pour chaque cours, l’étudiant veillerait à respecter toutes les normes de rédaction académiques qui lui sont déjà inculquées. Un système d’accompagnement y serait associé pour aider tout étudiant à bien y appliquer les techniques de rédaction apprises. Le respect de ces principes serait pris en compte lors de la correction desdits travaux.

 

«…donc, autant de rapports que de cours, pour donner lieu à la pratique moderne de rédaction des travaux académiques. Les résultats espérés seraient :

  1. la maîtrise des techniques de rédaction des travaux académiques que seule la pratique peut apporter ;
  2. le cycle d’études complété dans le délai imparti ;
  3. l’élévation du taux de diplomation par la sortie annuelle régulière des promotions ;
  4. une meilleure préparation des étudiants pour des études post-graduées dans le pays ou ailleurs avec un esprit compétitif. »

 

Conclusion

 

Il est évident que le faible taux de diplomation attribué à la dernière exigence académique faite aux étudiants pour compléter le premier cycle universitaire en Ayiti n’est pas strictement lié à la procrastination, au manque d’accompagnateurs, à l’absence d’infrastructure documentaire adéquate, ni à l’incapacité financière des étudiants, mais plutôt au manque de pratique de rédaction éprouvé par les étudiants dès leurs premières sessions à l’université. Ayant reconnu cette faille, le Bureau du Vice-recteur aux Affaires Académiques a renouvelé la réforme académique proposée par l’ancien Vice-recteur aux Affaires Académiques, le professeur Wilson Laleau en 2006-2008 visant l’uniformisation des régimes académiques à l’UEH.

 

Retravaillée sous le label RAC, ladite réforme reposée aujourd’hui sur un système de crédits exige cette pratique de rédaction dans le cursus universitaire pour tous les cours indifféremment de leur nature. Le résultat escompté est que l’étudiant devenu professionnel aura nécessairement à présenter le résultat de son travail à son supérieur, et pourra le faire sous une forme ou une autre sans difficultés. Concrètement, il doit pouvoir bien organiser ses idées et les communiquer de manière cohérente et claire. L’objectif étant de pourvoir au pays des cadres qualifiés dans un délai durant le cycle d’études de 4 ou 5 ans, il n’y a aucune raison de retarder la sortie du moule d’apprentissage du premier cycle avec une exigence académique surannée qui ne répond pas aux besoins de cadres techniques bien rodés de la société.

 

 

Jean Poincy

Vice-recteur aux affaires académiques

Université d’État d’Haïti

jean.poincy@ueh.edu.ht

caineve@yahoo.fr

 

[i] Dollin, Carly (2023, 12 déc.) : Le mémoire de fin d’études de premier cycle, un sujet de poids abordé avec légèreté à l’université en Haïti. http://www.lenational.org/post_article.php?tri=1457.

[ii] «…le manque d’incitation ou l’incapacité des étudiants à présenter - après leur cycle d’études de quatre ou cinq ans - leurs projets de sortie pour obtenir le diplôme… »

[iii]Darius, Danio (2008, 18 fév.) : Mémoire ou Calvaire ? https://lenouvelliste.com/article/53897/memoire-ou-calvaire

[iv] Darius, 2008

[v] Archives Rectorat (UEH), 2018

[vi] Poincy, Jean (2010, mai) : La problématique de l’enseignement supérieur Ayitien : les maux académiques de l’Université d’Etat d’Haïti.  http://poincy.blogspot.com/2010/05/la-problematique-de-lenseignement.html.

[vii] Poincy, Jean (2010, mars) : La perversité du contrat économique entre l’Etat et l’Université d’Etat d’Haïti. http://poincy.blogspot.com/2010/03/la-perversite-du-contrat-economique.html.

 

[viii] Poincy, (2010, mai) 

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

6 COMMENTAIRES