Billet d’humeur

L’intelligentsia haïtienne pourra-t-elle sauver le pays ?

Dans une interview accordée le 19 février dernier à la radio CPAM, située au Canada, sur la question du politique en Haïti, le professeur Michel Soukar dresse un tableau assez triste de la situation sociopolitique et géopolitique, que chacun connaît dans la classe politique et intellectuelle mais dont personne ne semble avoir cure. Lui, il prend sa « responsabilité patriotique » d’en dévoiler les non-dits au péril de sa vie. Par exemple, le refus des Américains d’arrêter le trafic d’armes qui affluent en Haïti. Il explique que le capitalisme n’agit ni par haine ni par amour envers qui que ce soit et que si les États-Unis n’arrêtent pas le marché des armes qui nourrit le commerce de la mort en Haïti comme dans d’autres pays de l’Amérique latine, c’est parce que cela correspond aux intérêts de l’État américain. Point barre !

Cependant ce qui fait le buzz sur les réseaux, ce n’est pas son analyse assez lucide de la situation chaotique du pays mais le fait que, répondant à une question qui lui a été posée, il ait dit être prêt à se lancer dans la politique active de son pays. Mais que ce soit lui ou un autre, reconnaît-il d’ailleurs lui-même, il faut trois conditions : 1) le peuple doit être prêt (il serait, selon lui, sur le chemin de l’être); 2) le leader de l’heure est tenu de saisir le moment opportun pour agir ; 3) enfin il a l’obligation de mobiliser des moyens pour agir et changer les choses dans le bon sens. Sinon, peine perdue !

En tout cas, c’est une excellente idée que Soukar n’exclut pas de s’engager dans un combat pour le pouvoir. Car, jusqu’ici, l’intelligentsia haïtienne, non corrompue tout au moins, n’a pas vraiment été active dans les luttes pour un changement de statu quo, au-delà de ses publications académiques. Certes, elle critique, donne son avis, propose parfois, se trompe quelques fois, se désespère souvent ou finit, pour certains, par quitter le pays par dégoût ou désespérance. Mais elle n’a jamais exprimé son désir de s’impliquer activement dans le relèvement du pays depuis le retour de l’exil de nombreux d’entre eux au milieu des années 1980.

Il était grand temps que des membres de cette élite intellectuelle cessent d’assister, apeurés, résignés et désespérés, à la dérive de leur nation et prennent enfin part à la gestion de la cité avec, bien entendu, la volonté de mieux faire. C’est-à-dire de mettre en œuvre une politique qui ne soit pas uniquement au profit de la classe moyenne et de la bourgeoisie, souvent mêlées dans des affaires de corruption, comme le souligne avec justesse Michel Soukar. La grande majorité de la population, souvent négligée dans la répartition des richesses matérielles et éducatives du pays, doit être au contraire la priorité de tout gouvernement responsable, sérieux et progressiste.

 

Sur de nouvelles bases

On doit se rendre à l’évidence que jusqu’ici nos politiques ont bel et bien échoué, même si, pour être honnête, certains d’entre eux – ils sont malheureusement peu nombreux – peuvent prétendre à des circonstances atténuantes. Mais peu importe : le résultat est le même. Depuis des décennies, le pays devient de plus en plus violent et de plus en plus appauvri à cause de l’impuissance de l’État dans l’exercice désastreux de ses fonctions régaliennes. Il a reculé à tous points de vue, sauf malheureusement dans la violence verbale et physique. Au point qu’aujourd’hui, beaucoup d’Haïtiens sont nostalgiques de cette période sombre de notre histoire où le tyran, s’il était critiqué, pouvait anéantir tous les membres d’une même famille.

Cependant, gérer un pays avec autant de retards – économique, éducationnel, civique où la corruption devient un fait social total dans les milieux politiques et économiques, etc. - n’est pas une mince affaire, même pour un leader animé de bonnes intentions et une équipe compétente, patriote et engagée. Il va falloir que Michel Soukar, ou tous autres leaders progressistes de même acabit ayant le même projet - s’entoure d’une bonne équipe de personnalités compétentes et intègres pour définir une vision globale de société pour la génération future dans laquelle tous les citoyens haïtiens se retrouveraient.

Pour y parvenir, comme l’exprime bien Michel Soukar : « Il faudrait une autre catégorie d’hommes politiques à la direction du pays ; l’émergence de nouvelles têtes, de nouveaux leaderships non populistes qui tiendront un langage pragmatique et ayant un comportement réaliste s’organisant à créer les conditions pour prendre le pouvoir. Car aujourd’hui, c’est un gangstérisme d’État qui est à la tête du pouvoir et qui terrorise la population. Cela est l’expression dernière de la décadence et de la faillite de l’État haïtien. »

 

Le peuple doit être l’alpha et l’oméga

Pour ce qui est des programmes de gouvernement, nous en avons certes élaboré pléthore depuis 220 ans mais cela n’a jamais conduit au bonheur des enfants de ce pays, ni sur le plan économique ni sur celui de la sécurité et encore moins en ce qui concerne le respect des plus démunis. Ces derniers sont trop souvent considérés comme des sous-hommes par les dirigeants et les élites de tous bords qui pensent plus aux intérêts de leur famille et amis qu’à ceux de la collectivité nationale. Les révoltes, révolutions, mutineries et émeutes récurrentes des masses populaires en sont la preuve par neuf.

C’est seulement après avoir élaboré un projet de société par une équipe formée de l’intelligentsia – ce que nous voulons pour le pays et la manière de le mettre en œuvre – que l’équipe devra présenter un programme de gouvernement à la fois fiable et viable avec les voies et moyens pour changer le système inégalitaire de fond en comble. Car, si on ignore ces paramètres indispensables, on va repartir à la case départ et l’échec est déjà assuré. Cette étape doit se faire vite et avec efficacité car on n’a plus de temps à perdre, on a assez joué avec notre avenir en tant que peuple.

Pour ce qui est des élections, Soukar est convaincu qu’elles ne vont rien arranger. De toutes les manières, elles sont incertaines vu le niveau alarmant d’insécurité et les résultats des forces étrangères ne sont pas non plus assurés. N’est-il quand même pas le moment pour les forces vives de la nation haïtienne de rebattre les cartes afin de proposer une alternative unitaire sérieuse et fiable ? Nous espérons ardemment que Michel Soukar – ou tous autres leaders émergents - parvienne à secouer le bocal et porter les récalcitrants, les désabusés et les peureux de l’intelligentsia à s’investir pour le relèvement de notre patrie en danger de mort !

Huguette Grenz et Sergo Alexis

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