Face à la Radicalisation des Gangs : Échec de la PNH et difficultés pour la Mission kényane

Depuis le jeudi 29 février 2024, une recrudescence d'actes de banditisme est en cours dans la Capitale du pays. Les gangs ont mis la Police nationale d'Haïti (PNH) à genoux. Occupant depuis peu de temps entre 60 et 80 % de la zone métropolitaine de Port-au-Prince, les gangs continuent de gagner du terrain. Certainement, ils entendraient occuper la Capitale et la gouvernance du pays par le renversement du Premier ministre (PM) Ariel Henry si la PNH, comptant environ 15,000 policiers, se montre davantage incapable de remplir sa mission.

Contesté depuis son arrivée à la tête de la Primature en juillet 2021,  le PM  Henry était en voyage d’accord au Kenya à propos de la sécurité publique en Haïti et est très contraint sur la route du retour par le déroulement des événements à Port-au-Prince. Il est interdit de transiter à Santo Domingo, République dominicaine, et s’est en conséquence réfugié à San Juan, Porto-Rico. D’après le journal The Miami Herald (6 mars 2024),  il serait même demandé par le gouvernement américain de démissionner de son poste. Alors ledit gouvernement comprend à l'aide de ces événements la faiblesse de la PNH qui ne peut assurer la sécurité du PM à son retour.

Pendant les derniers assauts des gangs, le bilan des dégâts a vraiment prouvé l'incapacité de la PNH. Ayant bloqué avec leurs soulèvements les activités commerciales et socio-économiques des banques, des cliniques et des écoles depuis le 29 février, les gangs ont menacé de s'accaparer de l'Aéroport international de Port-au-Prince,  pris d'assaut 3 commissariats, le Pénitencier national, la prison civile de la Croix-des-Bouquets, etc. Ils ont  incendié des locaux et fait  des milliers de déplacés, des blessés, des morts, dont 4 policiers. Ces derniers viennent compléter le bilan total de plus de mille morts enregistrés entre janvier et février derniers dans le pays.

Nous avons tous ici compris que la PNH n'était qu'une simple caricature et avec de simples jets de poudre ou  coups de feu de M-1 ou M-14 toutes ses unités sont quasiment effacées. Alors, nous ne sommes protégés de rien. Pour tenter de contrecarrer l'essor des gangs, le PM a.i. Patrick M. Boivert, remplaçant le PM Ariel Henry en voyage à Nairobi (Kenya) afin de signer un accord d'intervention contre les gangs en Haïti, a instauré un État d'urgence considéré comme vide et insensé. C'est comme que le couvre-feu de 6 heures du soir à 5 heures du matin pendant une durée de 72 heures ou du  3 au 6 mars 2024 peut empêcher les gangs de poursuivre leurs objectifs.

L'énergie intellectuelle des bandits parait supérieure à celle des policiers. Une énergie intellectuelle est la capacité d'un acteur de passer de la théorie à la pratique pour atteindre son objectif.

En effet un chef de gang du Village de Dieu dont Izo est le nom avait, dans une vidéo considérée comme virale sur les réseaux sociaux, prévenu au début de la semaine du 26 février dernier qu'il fera face à la PNH en dépit qu'il soit faussement accusé dans des assassinats de paisibles résidents causés par des policiers ! Et entre le 29 février et le 2 mars, soit en moins de 72 heures il a en fait montré ce dont il est capable. Il serait au bout de son objectif qui n'est pas limité au renversement du PM Henry.

Le long des paniques qu'il a créées avec des gangs alliés, dont ceux de Barbecue,  Vitelhomme, Chen Mechan, Tilapli, etc.,  l'une des plus remarquables prouesses qu'il a accomplies il a conquis le Pénitencier national pour libérer ses pairs ou ses soldats emprisonnés et autres ennemis publics. La plupart de plus de 4500 évadés des prisons  sont maintenant logés au Village de Dieu, a-t-on appris.

Donc, le règne des bandits avance à grands pas. Bientôt, comme l'aurait prévenu l'historien Michel Soukar sur "Le Point" de Télé Métropole, pour quitter chez vous, il faudra demander la permission à un chef de gang. Une prédiction qui est souvent reprise par les réseaux sociaux depuis plus de deux ans. En anglais, c'est ce qu'on appelle "grande narration" ou c'est la plus grande prédiction de défaillance qu'on puisse faire sur les droits inaliénables d'un peuple et les obligations des forces de l'ordre du pays.

Malgré la présence des Forces armées d'Haïti (FADH) et la PNH elle-même avec ses 5 autres unités spécialisées, dont BIM, CIMO, BOID, UDMO et SWAT Team, les forces de l'ordre du pays ont baissé le pavillon devant une poignée de gangs armés. Maintenant,  le peuple ne compte sur personne pour la  sécurité publique étant le premier bien public que l'État doit produire d'après Robert Rotberg (2004) dans "When States Fail: Causes and Consequences."

La situation actuelle est la résultante d'un ensemble de faiblesses et d'incapacités dans la gestion du pays. Manque de formation et de sens doctrinal de la part de ses dirigeants qui sont là juste pour remplir leurs poches! Aucune des institutions du pays ne répond aux besoins fondamentaux du peuple. Ce qui traduit un État malade avec ses dirigeants corrompus qui ne savent pas prévenir les moindres dangers ou dramatiser le moindre mal du pays en vue des solutions ponctuelles.

En 2004, les premiers cas de kidnappings causés par des gangs ont d'une façon débridée vu le jour dans la zone métropolitaine incluant Ganthier actuellement compte tenu de l'importance de ladite commune dans les activités socioéconomiques de la région. Rien n'est fait au départ d'une manière adéquate pour les contrôler à la base.  Et depuis, disons la PNH a failli à sa mission. Sans pensée critique ou esprit de discernement, elle est aujourd'hui dépassée par les évènements. Sa devise "protéger et servir" est plus qu'un vain mot.

Pour résoudre le problème de sécurité publique nationale, le gouvernement se plaint comme un déshérité auprès des pays amis et des Nations Unies pour l'envoi des forces multinationales pour sécuriser le pays face à des bandits ou envahisseurs locaux. C'est un acte des plus honteux qui s'inscrivent dans l'histoire d'un peuple souverain qui a dans ses références historiques la Bataille de Vertières contre les grandes armées européennes et plus particulièrement l'armée française de Bonaparte.

En un quart de siècle à peine (1994-2024), le pays va connaître trois interventions étrangères voulues ou presque sur demande de ses dirigeants.  Deux interventions entre 1994 et 2004 dont l'une ne vaut l'autre puisque demeurent les  problèmes fondamentaux. La MINUSTAH en effet dans une mission de 13 ans (2004-2017) n'a pas pu contrôler l'insécurité publique voire assurer les bases d'une démocratie et du développement durable dans le pays.

Maintenant, le pays espère à partir de ce mois de mars la troisième intervention dont nous parlons plus haut et qui sera dirigée par le Kenya. C'est mieux que rien pour l'instant ou peut être nécessaire parce que la PNH comprend des ennemis internes ou des policiers servant les intérêts des gangs, lesquels peuvent induire en échec toutes les interventions anti-gangs composées uniquement d'unités locales. 

En d'autres termes, avec des policiers qui sont des instigateurs des bandits ou des bandits qui se cachent dans la PNH, l'objectif d'une sécurité publique adéquate ne sera jamais atteint.  Les bandits seront toujours informés des stratégies anti-gangs élaborées par la PNH. Cette traîtrise, d'après certains analystes, ne pourrait être neutralisée que par l'éventuelle opération qui sera  menée sur le terrain par une troupe étrangère unilatérale.

En revanche, l'ancien colonel de la FADH Himmler Rébu prévoit un échec dans une pareille opération compte tenu du manque de connaissance sociologique du terrain de la part des éventuels policiers étrangers. Alors, ce serait mieux, prévoit-il, si des agents non-corrompus  de la PNH  travaille de concert avec la troupe étrangère en question, laquelle sera composée de plus de 2500 policiers incluant comme avant-gardes 1000 kényans et 500 béninois.  Il est évident que la troupe kényane ait le support local puisqu’il n’est pas recommandé pour une force étrangère d’opérer sur un territoire étranger sans la participation des forces locales.

Cependant, le pays doit bientôt s'efforcer de rompre avec l'idée de l'assistanat en tout et récurrent ou permanent. Il faut prendre conscience de notre état actuel pour un dialogue national et de résoudre les problèmes locaux. Ce ne sont pas les étrangers qui seulement nous divisent et nous empêchent d'évoluer, mais nous constituons nos propres obstacles à nous-mêmes. Il faut se réunir autour d'un objectif commun pour résoudre notre propre problème de sécurité publique, organiser notre agriculture en vue de l'autosuffisance alimentaire, de restructurer notre système de santé et d'éducation, etc.

 

Rhodner J. Orisma

Port-au-Prince, le 5 mars 2024

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