Des actions pour la bonne gouvernance publique en Haïti

Proposition de dix (10) mesures pour une gouvernance responsable de la Transition politique et l’inscription d'Haïti dans une démarche de bonne gouvernance publique

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Contexte et Problématique

L’heure de commencer à penser la nouvelle Haïti sonne encore et résonne fort sous les crépitements incessants d’armes à feu et de flammes de feux géants détruisant tout sur leur passage. Port-au-Prince, siège de la Capitale d’Haïti, est mis à feu et à sang. En fait, ces crépitements, joints aux actes réels de barbarie et d’atrocité indescriptibles infligés au Peuple haïtien, tendent à anéantir la République d’Haïti. Ils s’amplifient au rythme de l’écoulement des heures du jour et de la nuit au gré tant de leurs perpétrateurs que de leurs auteurs intellectuels. En attendant, l’État s’absente ! Les infrastructures et superstructures sur lesquelles doivent reposer les bases de connaissances et de services indispensables au progrès socioculturel, économique, scientifique, technique et technologique au pays se trouvent sous le coup de destruction criminelle. Des infrastructures scolaires et universitaires en sont, parmi tant d’autres, des exemples évidents.       

Dommage que l’État perde le contrôle de ses missions régaliennes aux yeux du monde entier ! C’est ainsi que la République est frappée dans ses dimensions tant physiques que symboliques ou mythiques. Certaines autorités publiques n’assument guère ni ne semblent bien comprendre leurs responsabilités de résoudre les problèmes ou de satisfaire les besoins de la population. D’ailleurs, en lieu et place des stratégies pour adresser ces derniers, des autorités s’en lamentent ouvertement. A fortiori, elles n’opèrent pas à l’intérieur de dispositifs politico-administratifs, légaux et managériaux adéquats pour les contraindre aux résultats. De manière délibérée, le système politico-administratif en place prive la société d’outils de contrôle de résultats. Personne ne sait effectivement ce qui se passe au sein de l’administration. Donc, les acteurs publics en profitent sans crainte. Il est alors évident que des actions sont entreprises sans qu’aucun besoin n’ait préalablement été constaté. Aussi est-il inévitable que l’État soit autant appauvri au point de devoir attendre des aides liées en vue de satisfaire, dans la honte, des besoins primaires d’une Nation.

Il faut, par ailleurs, indiquer que, depuis des décennies, d’importantes ressources publiques sont engagées en Haïti dans des interventions n’ayant vraiment aucun lien – ni intuitif ni logique – avec les besoins et/ou problèmes cruciaux du Peuple. Qui pis est, de telles interventions sont exécutées en dehors de tout dispositif technique adéquat qui puisse en faciliter un contrôle efficace et garantir une responsabilisation des acteurs politico-administratifs. C’est le cas de pléthore de consultants sans expertise ou d’experts sans résultats sinon sans livrables qui occupent l’administration publique haïtienne. Voilà un petit échantillon d’enjeux majeurs à l’efficacité du système en place qu’il est indispensable d’adresser. De plus, en l’état actuel de cette administration, aucun contrôle rigoureux encore moins efficace n’est possible. D’autant qu’aucun organe de contrôle national ne peut prétendre assumer de telles responsabilités. Le cadre de gestion ne s’y prête pas. Un état de fait constituant une fenêtre pour la gestion opaque des ressources publiques et donc l’appauvrissement de l’État. Du fait de cette réalité, aucun intellectuel ni professionnel compétent ne peut se prévaloir de pouvoir produire de bons résultats dans un cadre politico-administratif et managérial inadapté à la logique même de résultats, ce qui postule la nécessité de la réinitialisation de l’État haïtien et de sa refondation en un État serviteur au profit de la collectivité. 

L’état de la gouvernance actuelle

L’engagement des ressources publiques dans des futilités politiques est corrélé avec le non-résultat criant, sinon les résultats négatifs enregistrés, ces dernières décennies. Ces résultats, presque similaires dans tous les aspects et domaines de l’État, pourraient fonder les raisons de croire que les pratiques de non-respect des règles et principes dans la gouvernance publique nationale constituent entre autres les facteurs générateurs de l’état de fait que le peuple haïtien connait aujourd’hui et que l’État observe dans un état d’impuissance inédite. Haïti est rendue en situation de devoir attendre le soutien, dans tous les domaines, de ses partenaires internationaux. En fait, il est acceptable que ces derniers lui apportent assistance que sa situation ponctuelle exige pour son relèvement socio-politique et économique. Il est toutefois indécent, en tant qu’État souverain, qu’elle repose ses actions sur leur bon vouloir sans pouvoir définir ses priorités et ses modes opératoires en fonction de ses réalités nationales.

Malheureusement, quand elle attend, chaque année, de l’extérieur des appuis budgétaires pour tenter d’assumer maladroitement les besoins primaires de la population, elle a du mal à prétendre devoir agir en toute liberté. C’est notamment pour cette raison que la bonne gestion des ressources publiques nationales doit être l’une de ses grandes priorités. Et tout citoyen responsable doit s’y intéresser et exiger la justification de leur utilisation. Dans ce cas, il se révèle indispensable qu’Haïti prenne le temps nécessaire, comme il est de pratique rationnelle dans les environnements sociopolitiques de ses partenaires, pour étudier et comprendre en profondeur ses problèmes et les adresser, en connaissance de cause, au lieu de se précipiter dans des solutions « prêt-à-porter » exotiques à défaut de consensus minimal entre parties prenantes nationales pour en trouver de meilleures. En pareil cas, les règles du jeu risquent ne pas être définies à l’avance. C’est bien le cas du processus de Transition en cours de négociation.

Certes, quelques procédures peuvent en principe ralentir des avancées, mais elles évitent certaines distorsions manipulatoires néfastes. Parmi tant d’autres, il y a deux enjeux majeurs qui, en Haïti, entravent l’efficacité de l’administration : (a) le refus des acteurs d’appliquer les règles claires et (b) la pratique de définir volontairement des règles ambigües, et ce, dans le but de contourner les obligations de résultats. C’est un type de piège que le citoyen conscient doit surveiller de près et combattre sous toutes ses formes. Car, ne peut-être bien contrôlé que ce qui est formalisé et circonscrit dans un cadre clairement prédéfini et cohérent.     

Urgence pour un changement de paradigme politico-administratif

Les enjeux d’Haïti concernent également les cadres politique et administratif, lesquels sont en principe en interdépendance réciproque. Ils doivent s’alimenter pour produire des résultats. Et quand la politique engloutit et efface la technique, l’administratif s’asphyxie. En effet, la sphère politique doit agir sur la base de ce que la science et/ou la technique lui fournissent. C’est l’une des raisons pour laquelle les chevauchements ou empiètements, dans un cas comme dans l’autre, dans leurs champs d’action respectifs, se soldent toujours par l’inertie politico-administrative – absence de résultats. D’où la nécessité pour l’État haïtien de changer les façons actuelles d’agir.

Les règles de l’art doivent prévaloir. Or, il se constate que, de jour en jour, des actions de l’État haïtien ne cadrent point avec la réalité du terrain. Les problèmes et les besoins de la société ne constituent pas la base de ses priorités d'intervention, du moins, ces dernières ne font l’objet d’aucune justification rationnelle. Par exemple, on peut se plaire à construire des stades de football dans des communautés où il faudrait implanter des moulins à grains ou à céréales. Là on gaspille des ressources dans des actions non pertinentes. C’est ce que nous appelons « absence d’étude des besoins ou la méconnaissance des vrais problèmes à résoudre » dans une communauté. D’où résultent des politiques publiques sectorielles non cohérentes prenant en compte les réels besoins de la population.

Ainsi, il est à noter que, lorsque les règles et procédures raisonnables qui puissent convaincre du bien-fondé des choix d'interventions de l’État sont rarement respectées, le risque pour la non-appropriation de ces dernières est élevé et corrélé avec des résultats non satisfaisants. Cette non-appropriation implique que la société, et souvent même les membres de l’équipe au pouvoir, ne sont pas convaincus de l’opportunité des actions adoptées. Cette façon de faire empêche l’obtention du soutien nécessaire pour leur réussite. La Caravane du changement de l’ex-Président Jovenel Moise, dont l’esprit semblerait être correct, peut en être un exemple parlant pour comprendre l’enjeu au non-respect des règles minimales dans la gestion publique.

Dans l’état actuel des choses, les élites politique, économique et intellectuelle haïtiennes doivent se dire la vérité et agir pour Haïti. Elles devraient, en fait, saisir l’opportunité des bons offices des partenaires d’Haïti pour rassembler autour d’une table (du moins, des tables) les filles et fils du pays pour penser et jeter les bases pour la nouvelle Haïti. Il demeure encore possible. D’ailleurs, si, sur demande de ces derniers, les acteurs politiques haïtiens se précipitent et arrivent, dans un temps record (72h max), à désigner leurs représentants pour la formation d’un Conseil présidentiel inédit, ils le pourraient aussi bien pour définir, selon les normes gouvernant la matière, des stratégies politiques sur fond des vrais problèmes et besoins du pays.

Certes, les acteurs n’ont historiquement pas la pratique de s’entendre sur les vrais problèmes d’Haïti, mais cette réalité criante ne fait pas, pour autant, de cette dernière un pays singulier et atypique, à tel point qu’elle s’éloigne autant des principes, règles, techniques et méthodes ordinaires qui gouvernent efficacement l’action publique dans d’autres États du monde qui ont connu des problèmes quasi-similaires aux siens et qui les ont résolus et les résultats sont indiscutables. Le Rwanda en est jusqu’ici un bon exemple ! De ce fait, Haïti mérite mieux que ce qui s’offre à elle aujourd’hui. Elle doit se détourner de la voie actuelle qu’elle emprunte ou poursuit. Elle doit s'attaquer aux causes profondes de ses problèmes plutôt qu’à leurs simples symptômes ou effets. Ainsi, pour réduire véritablement les risques de dépenser des ressources dans des actions non pertinentes et insusceptibles de produire de bons résultats, il se révèle indispensable d’asseoir les bases managériales, légales, politiques et administratives cohérentes pour pouvoir pratiquer une gouvernance publique responsable.

Des mesures pour une gouvernance publique responsable

Le relèvement d’Haïti doit être fixé comme la priorité des priorités malgré les désaccords politiques possibles, qu'ils soient historiques ou conjoncturels, les différences d’approches techniques ou scientifiques qui pourraient exister entre parties prenantes haïtiennes. Un tel relèvement doit passer, d’une part, par une transcendance politique et, d’autre part, par l’institutionnalisation de la bonne gouvernance publique. Alors, les différents acteurs politiques et administratifs se doivent de s’inscrire dans la démarche d’agir pour servir. À cet effet, nous, les signataires du présent document, et toutes autres personnes qui y adhèreront, par n’importe quel moyen, par la suite, proposons :

  • Que les actions publiques durant la Transition et celles à prendre ultérieurement se réalisent dans les conditions politico-administratives, stratégiques et techniques adéquates ;
  • Qu’Haïti enfin abandonne la gestion publique actuelle axée sur le « tout-fait » ou le « prêt-à-porter » exotique, l’émotion politique, l’informalité, l’incohérence, l’improvisation, l’imprévision, l’indéfini, la non-transparence, le non-contrôle et donc l’irresponsabilité des acteurs politiques et administratifs ;
  • Que des bases politico-administratives structurantes pour une gouvernance publique responsable et orientée vers des résultats évaluables soient adoptées ;
  • Qu’Haïti fasse, enfin, le choix de la rationalité, donc de la science, de la technique et de la technologie pour s’en sortir ;
  • Que des cadres juridiques adaptés aux réalités aussi bien actuelles que futures, notamment aux nécessités d’une gestion publique rationnelle et responsable, soient adoptés au terme d’un processus d’implication réelle des parties prenantes clés sur la base de leurs expériences, connaissances et/ou engagement dans les domaines concernés.

Sur la base de toutes les considérations ci-dessus esquissées, nous formulons ci-après, dans un langage technique, mais simplifié, une proposition en dix (10) mesures pour impulser l’idée aussi bien d’asseoir une culture de justification et de planification des actions que de jeter des fondations pour un État au service du Peuple. Cela aiderait à mener une Transition politique réussie dans l’intérêt supérieur de la Nation. Ces mesures valent, quel que soit le mode de gouvernance politique mis en place, car la bonne gouvernance publique doit prévaloir en toutes circonstances.

Conclusion

Nous formulons cette proposition dans une perspective d’impulser la dynamique de justification et de planification des actions publiques en Haïti. Nous n’avons certainement pas la prétention de les proposer au titre d’une panacée, mais suggérons quelques règles, principes et méthodes susceptibles d’encadrer rationnellement les actions de l’État au bénéfice de la collectivité. Nous convenons qu’une gestion rationnelle sinon optimale des ressources de l’État peut bien convaincre les citoyens du bien-fondé de contribuer à la charge publique. 

En réalité, aucune politique ne rencontre la validation unanime de toutes les parties prenantes dans une société, mais elle doit être conçue pour faciliter son appropriation politique et sociale raisonnable. Ainsi, sans avoir la prétention d’appréhender, sous tous leurs angles, tous les enjeux de la gouvernance publique haïtienne, nous présentons ces mesures à titre de lignes directrices ne pouvant être exhaustives. Elles sont basées aussi bien sur nos connaissances que sur nos expériences au sein de l’appareil étatique haïtien et sur celles transférables acquises ailleurs. Elles représentent notre contribution citoyenne susceptible d’aider à l’instauration d’une gestion publique rationnelle en Haïti. Il faut noter qu’elles peuvent être d’application progressive et différenciée dans les différents environnements politico-administratifs du pays. Nous espérons que leur prise en compte contribuera, dans sa dimension technique, à la réussite d’une Transition­ politique vers l’instauration d’un État au service du Peuple.  

Pour authentification :                                                  

Haïti, Le 30 mars 2024

Jeemy THELUS, Maitrise en administration publique (ENAP), Ex-fonctionnaire              de l’administration publique haïtienne en contrôle / audit.

Samuel JOSEPH, Gestionnaire, Maître en administration Publique, Ex-fonctionnaire       de l'État haïtien

Jean Eddy AMAJUSTE, Économiste, Comptable, Maitrise en Gouvernance et Marchés publics, Ex-fonctionnaire de l’administration publique haïtienne.

Gétho OXÉUS, MSc. Administration et politiques publiques, Ex-fonctionnaire de            l’État         haïtien

Erick PIERRE-VAL, Maitrise en Travail social (UdeM), Spécialiste en réduction de la violence communautaire et en intervention auprès des personnes vulnérables.

Yves LAFORTUNE, Av., Maître en administration publique, doctorant en politique publique

Erick Junior JEAN BAPTISTE, Ms Management de Project, MS Administration              publique (En cours ENAP), Ex-fonctionnaire de l’Etat haïtien

Tayana A. Bellony CELESTIN, Maître en Administration Publique,                                   Fonctionnaire de l'État haïtien

Max Elie René PASCAL, Gestionnaire, MBA, Ex-fonctionnaire de l’Etat haïtien

Lynda ALTIDOR, Gestionnaire, Maître en administration, Fonctionnaire de l’État             haïtien

Mario FORTÉUS, DESS Administration financière, MS Sciences Économiques et            Gestion, Ex-fonctionnaire de l’État haïtien

Watson SAINTUREL, Économiste, MSc. Management ; Ex-fonctionnaire de l’État         haïtien

 

Jean Denis PIERRE-LOUIS, Économiste, Maître en administration Publique, Ex-fonctionnaire de l’État haïtien

Alain ST-CLAIR, Comptable, Maitrise Administration publique (En cous ENAP)

Josué VOLTAIRE, Av., Maître en administration publique AP, Fonctionnaire de                l’État         haïtien

Patrick OXILIEN, Fonctionnaire de l’État haïtien, MS Management de projet

Yves-Mary BEAUBLANC, Bs en administration, Maître en administration publique AP, Fonctionnaire

Joseph Emmanuel CHERUBIN, MS. Entreprise et marchés, Fonctionnaire de l’État haïtien

Amaral LÉANDRE, Comptable, Ms Gestion de projet, Cadre de fonction publique haïtienne, Professeur

Withz AIMABLE MBA, Doctorat Ph. D. en Finance

Claudel MOMBEUIL, Ph.D. Management. Professeur

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