Nous avons pleinement droit au soleil

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Je suis l'enfant du rêve, le rêve à la peau noire. Frantz Benjamin

Haïti a toujours été une terre inscrite dans une logique de lutte permanente, pour la préservation de son droit d'exister. L'impressionnant exercice de fortification du pays, entamé au lendemain de son indépendance, par Jean-Jacques Dessalines, (père de la nation haïtienne) le démontre avec précision.

Au fil du temps, les interventions successives de puissances extérieures hostiles, assoiffées de terrains fertiles à piller, où imposer leurs manies d'injustice,  d'un côté, et de l'autre l'attitude complice, et destructrice incarnée par nos horribles guerres  fratricides haïtiennes, ont fini par rendre la défense d'Haïti semblable à un corps fragile, prêt à sombrer à n'importe quel moment,  et coincé dans le besoin absolu. C'est d'ailleurs dans la suite de ses évènements que s'inscrit l'état actuel du pays. 

Ici maintenant, la nuit est devenue un épisode permanent, chassant les lieux propices à l'épanouissement de tous les rêves. Ici, l'enfance n'a plus son droit à l'habitation paisible. Enfance en fuite, dans la tourmente, et subissant de honte chasse, le cri des balles. Le pays est devenu un corps debout par la voie de la honte. Terre qui déploie des efforts de survie,  sous une imminente menace d'écroulement, est devenu mon chaud pays. En regardant le pays droit dans les yeux, c'est le complot qui a abouti à l'assassinat de Dessalines qu'on observe, dans sa réjouissance et les limites de son apogée.

Celà explique t'elle pour autant la fin du perpétuel combat, entamé par le peuple marginalisé d'Haïti, depuis son accession à l'idée d'une indépendance le 1er janvier 1804? La réponse est non, bien évidemment. Mais c'est un combat qu'il effectue avec entre ses mains, des outils défectueux, construits de pailles pour l'essentiel. Un combat qu'il effectue avec de moins en moins de moyens, et dans lequel la possibilité d'obtenir une victoire, paraît illusoire, impossible par moment , car sabotée d'avance. Dans un atmosphère  aussi défaitiste, un pays rougit d'autant de cris amères, de soif en tout genre, et dont le visage est une évidente réplique faite de traits criminogènes, que peut-on faire, quand on est armée d'une plume et d'une face juvénile?  Quand on a qu'un peu du frais de son  sang  à revendre à son pays, pour bétonner l'éclat de son coulé de rêve. Que peut-on faire pour un entier pays, avec tant de poussières chiffonnant la face de ses veines ? La force juvénile dans un pays pourrit par la tête, qu'est ce que ça vaut?

 

Jeunesse pour le meilleur ou pour le pire

C'est bien vivre à rebours que de compter ses morts au bout des doigts. James Noël

L'histoire unique et fascinante d'Haïti, lui confère un statut spécial au sein de la caraïbes. Culturellement le pays reste et demeure une puissance qui dort. Mais  Haïti est connu aussi pour son relief unique, constitué à plus de 80% de montagnes, et sa position géographique qui lui met face à face, à de virulent phénomènes météorologiques, source de très graves catastrophes naturelles, qui complique constamment  son accroissement.

Le pays souffre en grande partie de celà. Son doux climat  certes attirant, coïncide le plus souvent  avec la dure réalité d'un pays peu structuré, vulnérable et très peu  résilient face à ce type de catastrophe.

Ma terre se retrouve, pour son plus grand malheur, sur la route des cyclones.

Ces phénomènes, amplifiés par le dérèglement dû au changement climatique, constituent aussi une fenêtre d'ouverture sur le chaos pour  toute la région caribéenne dans son ensemble, mais Haiti, circonstance aggravante oblige, se retrouve en cas encore plus vulnérable , et farouchement exposé à ces graves catastrophes naturelles, au sein de ce grand ensemble.

 

Chaud pays, Pays Fleur

Haïti, terre fermement assise au milieu d'une souffrance qui ne cesse de se végéter. Haïti, pays victime de son passé glorieux, et incompris par une partie de la communauté internationale qui aurait vraiment pû l'aider. Pays constitué de rein montagneux, cadré pour faire la face rebelle au moindre vent. C'est de ce pays là qu'on discute,  quand on pointe du doigt ce petit bout de terre (aux multiples raisons d'exister), ses habitants, et son monde non observable.

Cet espace aux goûts amers, dressé de sa face nue blottie contre le soleil, est une mère peignée aux allures d'un constants pièges. Cet espace mien,  est tout aussi,  un très long corps construit de rêve libre, et dont les yeux ( certes plongés au creux d'une sensation de réelle perte par moment ) ont  l'intelligence de vous dire facilement ses graves besoins au premier coup d'œil. Pays maigre à vue d'œil, et dont la face vous reflète, celle d'une âme  condamnée à souffrir dans le temps long. Mais aussi, pays dont la majorité de la population est force, car si jeunes.

Un pays comme ce pays mien, est une terre qui est dans l'énorme besoin de puissants bras pour son relèvement, et faire face à ses innombrables ennemis, qui d'ailleurs ne jurent que par l'idée de le voir mort abattu, afin de pouvoir ajouter un terme à son existence historique.  Un tel pays doit pouvoir compter librement  sur la grande majorité de sa force juvénile.

 

Mépris de la force

Un jour j'arracherai l'ancre qui tient mon navire loin de la mer. Henri Michaux

Ici, la jeunesse est une force à laquelle on refuse tout droit à l'encadrement. Comme toute force, elle se manifeste, mais au sein d'une logique désordonnée. Malgré tout, l'espoir par ici, est incarné par la voix d'une infirme partie en mouvement pour le bien-être, au centre de la masse juvénile du pays. Cette petite frange qui s'inscrit dans le rouge d'une poursuite, au combat des ancêtres de 1804; cette petite foule allumée de  coriaces veines, est un grand symbole d'habileté et de force naturelle.

Cette noble partie de la jeunesse haïtienne, qui mépriser, cours le risque de  devenir "corps dans le repli sur soi", pour le malheur d'une jeunesse dans son entièreté. Car en méprisant sa force juvénile mobile et mobilisatrice, Haiti condamne la face chaude de toute une jeunesse. Ne pas en tenir compte de la présence d'une telle force, en son sein, c'est la délaisser, l'exposer à toutes sortes de maux. Haïti, à l'image du continent africain, ne peut pas s'offrir le luxe de perdre aucun bout bénéfique de sa jeunesse. En sous-estimant ( car ne pas encadrer, valoriser c'est sous-estimer) systématiquement cette branche utile de sa jeunesse, c'est vers la détérioration de toutes ses branches qu'on s'oriente, pour son malheur. Car Haïti, pays aussi vide, et avide de changement considérable. Un espace aussi peu construit sera bien appelé un jour ou l'autre, à faire face à son obligation de construction massive. Et la force consciente d'une jeunesse responsable aura un indispensable rôle à jouer, lorsque ce grand jour aura lieu.

 

Récupération de la partie infectée

Je suis tous les noms qui saignent, tous les noms assoiffés de fenêtres. Makenzy Orcel

Il est clair qu'aujourd'hui, une partie, laissée pour compte, de la jeunesse haïtienne, s'est transformée en monstre et contribue, à coup de grands moyens, à la tentative d'anéantissement de ce pays-grand-héritage laissé par nos aïeux. Nous ne pouvons ni nier l'évidence de leurs horreurs, ni  la réalité qui les a amenées à côtoyer si étroitement le royaume du mal. Une jeunesse sous-éduquée, actuellement  occupée dans  l'entreprise maléfique de la construction d'un empire infernal,  à l'encontre de tout un peuple. Ça ne peut  voir le jour,  en un seul coup. C'est plutot le résultat observé dès suite d'un très long processus. C'est surtout le sort réservé à une société qui avait dans sa folle vision de l'avenir, sû comment mépriser à l'extrême tout un pan de son appareillage juvenile, situé à l'extrème bas d'un état pitoyable, calamiteux.  Haïti, mon espace résumé par sa soif d'exister, qu'on récolte aujourd'hui, est  bel et bien une construction faite quelque part dans le passé. C'est un fait naturel d'ailleurs : la nature repousse le vide par la démarche de ses propres ailes. Une jeunesse éduquée sera construite pour la préservation  du bien-être de la société où elle évolue. Une autre délaissée, aura le terrible droit, de se métamorphoser en amère goût dans la bouche de celle qui ne s'est pas donnée les moyens d'honorer ses responsabilités envers elle.

 

Jeunesse dans la soif d'unité

Il y a aussi, d'autres phénomènes sociaux importants qui diminuent de manière considérable la performance et les rapports de paisibilité qui caractérisait la rencontre des jeunes haïtiens dans le temps. Celà  favorise l' augmentation  des tensions entre les différentes strates  constituant la face juvenile d'Haïti. Et celà est dû le plus souvent à  un manque de communication exagérée,  qui acerbe les maux  recensés au pays  de manière naturelle.

 

Faute de lieux permettant de se rencontrer dans un environnement sain, lieux pouvant favoriser des échanges sains et paisibles, nos moindres petites rencontres entre jeunes, se font dans le cru de l'improvisation, et sont, pour l'essentielles, constituées de bruit, d'erreurs de rythme et de toutes autres formes de mauvais fonds sonnores, qui facilitent l'incompréhension mutuelle de la manière la plus idiote. C'est à partir de là que prennent corps la plupart de nos échanges haineux, qui, des lieux plus tard se traduiront par des conflits mis en exergue de la peur, et dont la barbarie constituera l'essentiel visage.

 

L'absence de livres

J'habite la capitale d'un pays qui ne possède qu'une petite bibliothèque, fonctionnant cinq jours sur sept et offrant cinq heures de service par jour à ma jeunesse, comme lieu de rêve. Même réduite, la petite bibliothèque du centre culturel Pyepoudré de bourdon est un lieu rare, qui console à un certain niveau, car seule fonctionnant encore à Port-au-Prince en ces temps difficiles.

Les livres jouent un grand rôle dans le fait de pouvoir percer l'espace étouffant d'un bidonville aussi vaste et si densément peuplé de drame, que celui de Port-au-Prince. Ce sont des créateurs de fenêtres d'évasion contre toutes formes d'asphyxie. Les livres m'ont toujours aidé à fissurer le douloureux symbole qui forme la face de cette ville de grand malheur, me permettant de chevaucher toutes les profondes nuits, et de supporter les grandes brûlures, réunies au fond de chacune de ses rues marquées par le sang versé à mal. Les livres m'ont donné une épée contre la triste configuration de ce pays. Et c'est encore à travers les livres que j'ai appris à affronter ce plein soleil. Et a appris à prendre ce plein soleil, luisant de face au fond de mes mots, pour une réelle arme.

En interdisant l'accès aux livres à la jeunesse, qu'est-ce qu'on soulève ? Que réclame-t-on d'elle ?

 

Des efforts à effectuer dans l'immédiat

Des sociétés ont disparu au cours du temps, l'histoire raconte qu'on ne peut pas badiner éternellement dans la poussière, et prétendre vouloir rester vivant, et faire  debout par devant l'existence. La société haïtienne doit se donner les moyens de sa sortie,  du sein de cette vallée de perdition. L'inspiration fournie par, Toussaint Louverture, Dessalines, Firmin Anténor, Alexie Jacques Stéphen et Jean Price Mars oblige.

C'est un devoir pour notre société  de faciliter des échanges harmonieux entre ses concitoyens, surtout entre ses jeunes (Sa force). C'est devenue pour elle, une nécessité qui lui est imposée par des amères circonstances qu'elle subit de jour en jour. Ceci doit être  fait le plus rapidement que possible, en passant notamment par le renforcement des institutions clés, dont la mission est de reunir les gens, jeunes surtout, autour de nobles causes et de saints objectifs.  Côté jeune, celà  réduirait considérablement les risques de conflit par l'instauration de la pratique de jeux, favorisant le "fair play" , qui au final rendra possible le remplacement du mot "ennemi" (mortelle conception de l'existence de l'autre en face) par celui "d'adversaire", s'inscrivant ainsi dans le challenge temporaire.

Un ministère comme celui  de la jeunesse des sports et des actions civiques devrait être dans l'urgence, pour se mettre en diapason,  à la hauteur de l'enjeux de l'union  et de la cohérence au sein des esprits juvéniles  haïtiens. Et ainsi faciliter l'apport gracieux d'une jeunesse unifiée, constituant un front unique pour le développement de notre presqu'île.

 

Une possible dénouement heureuse

L'amère constat d'une société déchirée, ancrée dans l'ombre, et dont la jeunesse est constituée de profondes bléssures en de divers points, ayant été fait. Au point où nous en sommes,  que devons nous faire d'autres ,  pour nous sortir de là? Surtout, face à l'urgence de cette masse juvénile bien armée qui s'oppose au bien-être du reste de la société haïtienne?  La détruire ? Si oui, comment ? Si destruction il y'en a finalement, ne serait-il pas mieux de contribuer par le biais de nos efforts pour fermer la vanne à sa base? Éliminer le forfait à sa source afin de pourvoir contrécarrer au mieux son renouvellement systématique? Car Haïti, même s'il le pouvait, ne pourra pas se passer d'une masse juvénile aussi dense/importante  que celle  recensée au sein des groupes armés qui le terrorise. À mon humble avis, je crois que le pays ferait mieux de se doter des moyens nécessaires pour une récupération effective, à la fois minutieuse et intelligente, d'une partie de ses enfants perdus de route. Et ainsi éviter que des milliers d'autres ailles gonfler les veines du mal-monstre de la "gangstérisation" généralisée, et finir par sombrer éperdument dans les méandres d'un enchaînement chaotique et continuel.

 

Auteur, Moïse François

Email:moisefrancois7@gmail.com

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