Le projet de changement de la constitution haïtienne : entre pressions extérieures et luttes internes

0
134

L’histoire d’Haïti fait du peuple haïtien une particularité parmi tous les autres peuples du monde entier. C’est pourquoi il est important de s’en rendre compte avant toute analyse sur la vie politique de ce pays. Un peuple qui a enduré l’esclavage, qui a connu toutes les profondeurs de l’inhumanité et qui, après une lutte acharnée contre le colonisateur, a osé bouleverser l’ordre mondial établi, n’est pas un peuple ordinaire. Il est la représentation d’un défi constant pour les puissances hégémoniques. La preuve est que de 1804 (date de son indépendance) à nos jours, de nombreuses puissances impérialistes ont tout mis en œuvre pour l’affaiblir, entraver son développement et limiter son influence.

C’est précisément cette conscience de notre trajectoire historique, marquée par une résilience exceptionnelle face aux pressions extérieures, qui nourrit ma réflexion sur la question du changement de la Constitution, un sujet qui domine actuellement le débat public. Ce constat, d’ailleurs largement partagé, constitue le point de départ de ma démarche.

Pour mieux en comprendre  les enjeux, examinons quelques éléments clés :

1.  L’arrivée de Michel Joseph Martelly au pouvoir est le résultat d’une manœuvre orchestrée par des acteurs internationaux dans le seul but de leur préparer le terrain politique haïtien. Si bien que les déclarations de Joseph Lambert, ancien sénateur et proche de l’ancien Président Préval, sont particulièrement révélatrices à ce sujet. Lambert a publiquement admis que, sous l’influence de la communauté internationale, les résultats des élections présidentielles de l’époque avaient été falsifiés. Il a notamment souligné que Martelly ne figurait même pas parmi les trois candidats favoris pour le second tour, et que le Conseil Électoral provisoire (CEP) avait dû revoir la publication originale pour permettre son inclusion. Le président du CEP a aussi avoué cet agissement malveillant, malhonnête et hideux, ce qui soulève des questions sur les motivations profondes derrière cette intervention.

2. Durant son mandat, Michel Martelly a été discrédité en raison de sa double nationalité, notamment américaine, ce qui est une irrégularité constitutionnelle pour un Président haïtien. Cette situation a engendré une panique considérable au sein de son gouvernement. La question fondamentale demeure : comment a-t-il pu ne pas être disqualifié dès son inscription comme candidat ? Plusieurs hypothèses ont été avancées : pour certains, Martelly a été la carte de l’international à la magistrature suprême,  d’autres soulignent l’incompétence présumée du CEP de l’époque, ou encore une possible manipulation par le candidat. Les explications officielles du CEP sur cette affaire sont d’ailleurs restées floues et peu convaincantes.

3. Dès son accession au pouvoir, l’une des priorités de Martelly a été d’amender la Constitution en vigueur. Parallèlement, son mandat a été marqué par une indécision expresse  quant au renouvellement du personnel de l’État et, plus grave encore, par l’absence d’organisation d’élections durant tout  son quinquennat. Ces faits multiplient des doutes sur les véritables intentions derrière ce choix politique.

4. Il est également essentiel de revenir sur les déclarations provocatrices et très immorales de ce Michel Martelly, telles que : 'Nou pran peyi a pou 50 an' (Nous avons pris le pays pour 50 ans), 'Nou gaspiye kòb Leta nan gwo Otèl "best western, El Rancho, Marriott etc."' (Nous avons dilapidé  l’argent de l’État dans de grands hôtels...), ou 'Lè w prezidan w'a konprann...' (Quand tu seras président, tu comprendras...). Pas besoin d’être expert pour comprendre que ces propos constituent  une manière voilée de signifier une consolidation du pouvoir au sein d’un groupuscule et la mise en œuvre d’un plan préétabli. En outre,  sous son mandat, le pays se plonge dans une forme d’anarchie sans pareil, avec une perception croissante d’une "voyoucratie" qui prend le dessus sur le fonctionnement des institutions étatiques.

5. Même après son départ, il convient de souligner que c’est le Parlement qui a intervenu pour statuer sur la transition politique. En effet, le Président et son gouvernement se sont montrés incapables d’organiser des élections pour assurer l’alternance démocratique.

6. L’élection de Jovenel Moïse a été suivie d’une période de dérives notables. Le régime a été accusé de chercher à affaiblir, voire éradiquer, certaines institutions, conduisant à un dysfonctionnement quasi-total de l’État. Cette période a été également marquée par une recrudescence alarmante de la violence et des assassinats. Tragiquement, Jovenel Moïse a lui-même péri dans des circonstances violentes, un sort qu’il n’aurait sans doute pas imaginé pour lui-même.

7. Soulignons que, à l’instar de son prédécesseur, Jovenel Moïse a tenté, sans succès, d’imposer un projet de changement de Constitution, un projet qui semblait central à son agenda politique.

Quelle est la procédure pour changer la Constitution en Haïti (selon la Constitution de 1987, amendée en 2011) ?

La Constitution haïtienne de 1987 (amendée en 2011) est réputée pour sa rigidité.  Les articles pertinents pour sa révision se trouvent principalement dans le Chapitre XIII intitulé : De l’amendement de la Constitution.

Analysons ensemble les grandes lignes de la procédure :

  1. La première étape de cette procédure est l’initiative (Article 282) : suivant l’article 282, avec motif à l’appui,  la révision peut être proposée par l’une ou l’autre des deux Chambres  du parlement (le Sénat ou la Chambre des Députés) ou par le Pouvoir exécutif (le Président de la République sur proposition du Premier ministre et après délibération en Conseil des ministres).
  2. La  deuxième étape est la déclaration d’opportunité de l’amendement   (Article 282-1) :
    • Pour qu’une révision soit envisagée, les deux Chambres doivent déclarer qu’il y a lieu de réviser la Constitution. Cette déclaration doit être faite par un vote des deux tiers (2/3) des membres de chaque Chambre.
    • Elle ne peut se faire que dans la dernière année législative de la législature en cours. C’est une clause importante qui vise à éviter les révisions hâtives ou opportunistes en fin de mandat.
  3. La troisième étape est l’Assemblée nationale constituante (Article 283) :
    • Une fois la déclaration d’opportunité votée, la révision ne peut être effective qu’après l’installation du nouveau Corps législatif (c’est-à-dire après les prochaines élections législatives).
    • Le nouveau Corps législatif se réunit alors en Assemblée nationale constituante pour statuer sur la proposition de révision.
    • Les membres de cette Assemblée constituante sont les Députés et Sénateurs nouvellement élus.
  4. La quatrième étape est le vote par l’Assemblée nationale constituante (Article 284) :
    • Les délibérations de l’Assemblée nationale constituante sont soumises à la majorité des deux tiers (2/3) des membres présents.
    • Aucun amendement ne peut être proposé sur la révision, sauf s’il est approuvé par les deux tiers des membres de l’Assemblée. Cela signifie que l’Assemblée statue sur la proposition de révision telle qu’elle a été initialement déclarée opportune, avec une possibilité limitée d’amendements.

Il est évident de souligner que l’article 284-3 stipule que «  toute consultation populaire tendant à modifier la constitution par voie référendaire est formellement interdite »

pérenniser l’informel ou bâtir l’utopie ?

Si l’histoire de notre pays est notre force, elle est aussi notre responsabilité. Nous avons le devoir sacré de sauvegarder les préceptes de souveraineté que nos ancêtres nous ont légués.

Le problème de gouvernance, derrière lequel se cache, à chaque époque, une minorité cherchant à modifier ou changer la Constitution, n’est qu’un prétexte fallacieux. Une telle pratique constitue une trahison flagrante envers les fondateurs de la patrie et ouvre la porte aux puissances impérialistes, leur permettant de s’immiscer légalement dans les affaires internes d’Haïti.

Il est crucial de rappeler qu’Haïti fait partie des pays qui ont connu le plus grand nombre de constitutions à travers le monde. Cette instabilité constitutionnelle est le fruit de plusieurs facteurs : on observe d’abord une instabilité politique souvent provoquée et orchestrée par des forces obscures, alimentant sans cesse un désir de changement de régime. Ensuite, la lutte historique pour le pouvoir se manifestant par une discorde persistante entre le pouvoir exécutif et les autres branches de l’Etat. Enfin, la personnalisation du pouvoir qui est une cause majeure, marquée par cette soif insatiable de prolonger indéfiniment les mandats. On peut voir  qu’à chaque époque l’exécutif cherche constamment à adapter la Constitution à son propre règne.

Quelle est la plus grande nécessité du peuple haïtien à l’heure actuelle ? Est-il juste de concevoir le bien-être d’une minorité sur le mal-être de la majorité ? À qui profite ce changement de constitution ?

Peuple d’aujourd’hui, répondons présents à l’appel de l’histoire. Méditons sur notre salut !

 

Altès D. MICHEL, étudiant en Droit à l’UEH, activiste politique.

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

0 COMMENTAIRES