Le décret que vient de publier le Conseil présidentiel de transition (CPT) sur l’organisation et le fonctionnement de la Haute Cour de justice n’a rien résolu en termes de renforcement de la gouvernance publique, ni fait avancer le droit haïtien en ce qui concerne la lutte contre la corruption dans le pays. Au contraire. Ce texte est celui de corrompus insolents, dénués de toute intelligence politique et juridique.
Qui a fabriqué ce décret ? Qui sont les avocats et juristes qui ont participé à cette action insolente ? Quels sont ces imposteurs qui tentent de manipuler la conscience publique ? Ce ne sont certainement pas des juristes dignes de ce nom. Car l’âme du juriste réside dans un mélange de rigueur intellectuelle, d’éthique et d’un sens profond de la justice et de l’équité. C’est un conseiller avisé. Tout en recherchant des solutions innovantes, il se laisse guider par des principes tels que l’intégrité, la transparence et le respect de l’État de droit. Il allie le droit à une vision morale pour protéger l’intérêt général.
La perversion du droit, c’est la corruption : donc un crime ! La déformation des principes juridiques à des fins mesquines, soit par le juge, soit par l’avocat, est un acte d’injustice. Dire le droit tel qu’il est, sans détournement, est la mission sociale de l’avocat. Et c’est en disant le droit tel qu’il est, sans complaisance, que l’on rend service au corps social.
Sur le plan éthique, intellectuel et civique, cette décision ne saurait être l’œuvre de quelqu’un qui a grandi dans l’honneur et la dignité. Ce décret, en ses articles 4 et 11, vient tout simplement consacrer la défaite morale de l’élite politique haïtienne, qui s’offre une impunité totale, alors même que des soupçons de corruption pèsent sur plusieurs de ces hauts responsables de l’État. Ce sont ceux-là dont le bilan, marqué par toutes sortes d’actes de malversation, a mis à mal les fonds publics, réduit à néant les institutions de contrôle et, enfin, accéléré la décomposition générale du pays.
Tout devient clair ! Alors, cessons donc d’accuser le Blanc ou l’étranger des vols, des actes de corruption et du pillage des fonds publics dont nous nous rendons coupables dans le cadre de la gestion de l’État. Il apparaît de plus en plus évident que la corruption est le consensus autour duquel les élites dirigeantes se rallient pour mettre en échec le progrès d’Haïti.
La Haute Cour de Justice applicable aux présidents légitimes
En prenant ce décret, quel problème juridique cherche-t-on à résoudre ? Aucun! N’ayant pas été élus, ces dirigeants de facto ne peuvent, en aucun cas, se prévaloir des mécanismes constitutionnels, comme la Haute Cour de justice, cour d’exception prévue par la Constitution pour juger les gouvernants ayant commis des délits et des crimes dans l’exercice de leurs fonctions. Ils ne sont, en aucun cas, justiciables devant la Haute Cour de justice au regard de la Constitution de 1987. Ils sont astreints au principe de la double obligation constitutionnelle et n’ont pas non plus le statut de président.
La procédure devant cette Cour est politique et non judiciaire. Elle se prononce sur le manquement des gouvernants à leurs devoirs, incompatible avec l’exercice de leurs fonctions ou de leur mandat. Dans le cas du président de la République, cette procédure, qui vise sa destitution, doit donner naissance à une nouvelle élection présidentielle ou à la mise en place d’un président provisoire, selon l’article 149 de la Constitution. Cette disposition a été créée en prévision de toute coupure dans l’ordre démocratique et constitutionnel du pays. Elle n’est pas une invitation à fabriquer des régimes provisoires et éphémères. Elle exprime l’idée de la continuité constitutionnelle.
Ce que les concepteurs de ce décret oublient, lorsqu’ils font référence à la Constitution de 1987, c’est que la Haute Cour de justice ne juge que des questions de responsabilité politique de très haut niveau. Le concept de responsabilité évoqué ici a tout son sens. En matière constitutionnelle, la responsabilité du président de la République est engagée lors de sa prestation de serment devant l’Assemblée nationale, laquelle valide son statut et son mandat présidentiels, et celle des membres du gouvernement à l’occasion de la déclaration de politique générale du Premier ministre devant les autorités politiques du Parlement.
Les membres du CPT n’ont pas prêté le serment constitutionnel qui les oblige à se soumettre au principe de la double obligation consistant à observer et à faire observer la Constitution. Aucune Chambre n’a ratifié la déclaration de politique générale du Premier ministre de facto, Alix Didier Fils-Aimé. L’actuel gouvernement ne s’est engagé devant aucune Chambre. Qui leur accordera décharge pour leur gestion, alors qu’il s’agit d’une formalité constitutionnelle à accomplir à la fin de chaque exercice fiscal ? La décharge est une procédure de déresponsabilisation qui s’effectue annuellement. Le cumul de décharges constitue une violation de la Constitution, caractérisée par une absence de contrôle par les chambres législatives. La décharge ne peut être accordée que par les Chambres devant lesquelles le gouvernement s’était engagé. C’est une procédure à finalité politique.
Toutes les institutions prévues par la Constitution sont démocratiques et républicaines — présidence, parlement, gouvernement, justice, etc. — et organisent l’État selon les principes de souveraineté (art. 58 et 59 de la Constitution). Notre régime politique est celui où le peuple élit, directement ou indirectement, ses représentants pour gouverner dans l’intérêt général. La Haute Cour de justice n’est réservée qu’aux dirigeants mandatés par le peuple ou désignés selon la procédure constitutionnelle prévue à cette fin. Gouvernement transitoire et gouvernement démocratique ne s’assoient pas à la même place : l’un chasse l’autre. La Haute Cour de justice est une institution ad hoc qui s’inscrit dans la mission de contrôle dont est investi le pouvoir législatif.
Le CPT justiciable devant les tribunaux de droit commun
Cette double obligation à laquelle je fais référence ici, le président de la République la contracte devant le peuple parce qu’il est élu, soit au suffrage universel, soit par l’Assemblée nationale. En cas de manquement, il peut être destitué. Il encourt alors une double sanction, à la fois politique et judiciaire. S’il n’y a pas de responsabilité politique, il ne peut pas y avoir de sanction politique. Donc, les membres du CPT, ainsi que les membres du gouvernement d’Alix Fils-Aimé, sont justiciables, à la fin de leurs fonctions, devant les tribunaux de droit commun.
Le gouvernement d’Alix Didier Fils-Aimé est dépourvu d’éthique gouvernementale. La Banque mondiale, dans ses considérations sur la bonne gouvernance et l’État de droit, a écrit qu’un gouvernement qui n’est astreint à aucun type de contrôle n’a pas d’éthique, puisqu’il n’est pas redevable de ses actions. Ce qui fait disparaître la notion de responsabilité gouvernementale.
À la question de savoir si les conseillers présidentiels ont le statut de président, la réponse est non, de manière catégorique. Car, c’est la Constitution qui définit les conditions d’accession à la présidence de la République. Ce n’est pas une loi, un décret, encore moins une décision de justice, qui peut conférer le statut de président à un citoyen. Le statut du Président comprend le mandat présidentiel, sa durée, son rôle et ses pouvoirs. Dans notre Constitution, il bénéficie d’un statut juridictionnel. Il ne gère pas les fonds publics. Il est irresponsable en matière de gestion des biens et des fonds de l’État.
Techniquement, la Haute Cour de justice ne peut être mise en branle pour juger des responsables qui ne sont plus en situation de responsabilité politique. Leur cause devrait être entendue devant les tribunaux ordinaires. La Cour de cassation, dans un arrêt daté de 1904, a déjà tranché sur cette question lors du procès de la Consolidation.
Sous la présidence de Nord Alexis, on a intenté un procès contre de hauts fonctionnaires haïtiens pour détournement de fonds publics. Malgré l’opposition à laquelle il était confronté, ce procès fut un moment historique. Il eut lieu grâce au courage et au civisme du président Nord Alexis. Un civisme poussé jusqu’à l’exagération, pour reprendre l’expression de Frédéric Marcelin.
Dénonçons cette fraude contre la nation !
La publication de ce décret est une fraude contre la nation. Une loi ou un décret, quel qu’il soit, ne peut pas créer des contradictions juridiques et constitutionnelles, des ambiguïtés ou des confusions pour favoriser l’impunité. L’objectif du droit est de sanctionner les infractions et de garantir la justice.
Ces petites souris au pouvoir en Haïti sont sourdes et aveugles. En effet, nous sommes fatigués de ces incompétents qui nous gouvernent depuis des lustres. La nation n’a pas besoin d’une élite composée de petits sauvages, incapables de comprendre, d’évoluer et de s’adapter, mais de véritables politiciens, entrepreneurs et scientifiques dévoués au bien commun.
Comme l’a écrit Charles Darwin, les animaux qui survivent ne sont pas ceux qui se révèlent les plus intelligents ou les plus forts, mais ceux qui peuvent s’adapter à leur environnement. Comment expliquer que des dirigeants aient décidé de prendre un décret pour se protéger contre d’éventuelles poursuites pour des actes de corruption commis dans le cadre de la gestion de la chose publique ? Quel est donc le message lancé dans un environnement international marqué par la lutte contre la corruption, avec des efforts mondiaux coordonnés par l’ONU, l’OCDE, l’OEA et Transparency International, qui s’appuient sur des conventions visant la répression du crime de corruption, auxquelles Haïti est partie ? Comment des politiciens ignares pourraient-ils survivre sans comprendre l’environnement international, façonné par un ensemble de systèmes complexes et interconnectés ?
La corruption fait partie des défis globaux qui mobilisent la coopération internationale et le droit international. Les gouvernants doivent savoir que la lutte contre la corruption et le crime organisé implique un réseau de forces politiques et juridiques qui dépasse les frontières nationales. Les manœuvres de quelques juges corrompus pour disculper certains responsables impliqués dans des actes de corruption sont des tentatives désespérées, car la lutte contre la corruption se mène à toutes les échelles — nationale, régionale et globale. Il n’y a pas de refuge pour les corrompus. L’impunité est répréhensible.
On veut changer la Constitution de 1987 parce qu’on ne la connaît pas. Mais comment changer une réalité que l’on ne comprend pas ?, a souligné, à juste titre, le philosophe Baruch Spinoza, auteur de L’Éthique.
Que doit faire le peuple, dépositaire exclusif de la souveraineté nationale, à la fois auteur et gardien de la Constitution de 1987, lorsque les gouvernants et leurs complices — juristes, intellectuels, professionnels, entrepreneurs, universitaires, hommes d’Église — font couler le sang du peuple, ne témoignent d’aucun respect envers la nation et renversent totalement ses fondements ? Il doit se lever, s’unir et reprendre pacifiquement mais fermement son destin en main, en exigeant justice, reddition de comptes et rétablissement de l’ordre constitutionnel au nom de l’intérêt général.
Sonet Saint-Louis av
Professeur de droit constitutionnel et de méthodologie avancée de la recherche juridique à la faculté de droit et des sciences économiques de l'Université d'État d'Haïti.
Professeur de philosophie
Université du Québec à Montréal
Montréal, 23 décembre 2025
Tél. : 263 5580083/509 44073580
