Soixante-dix-sept ans après l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme, le monde a de nouveau marqué, en décembre 2025, la Journée mondiale consacrée à la dignité humaine. En Haïti, le Mouvement Citoyen pour l’Observation Nationale et Internationale des Droits Humains (MOCONOH) s’est inscrit dans cette dynamique mémorielle et militante en organisant, à Pétion-Ville, un après-midi de conférence-débat autour du thème : « Droits humains en Haïti : bilan et perspectives ».
Un cadre d’échanges pluriel et engagé
L’activité s’est tenue dans les locaux de la bibliothèque Michèle Tardieu et a réuni un public diversifié composé d’universitaires, de professionnels issus de différents secteurs, de représentantes d’organisations de personnes à mobilité réduite, de membres du MOCONOH ainsi que de militants d’organisations sœurs œuvrant dans le champ des droits humains.
Cette rencontre a offert un espace privilégié de dialogue autour de la problématique du respect des droits humains en Haïti, tout en permettant d’en dresser un bilan critique à l’occasion du 77e anniversaire de la Déclaration universelle.
Aux origines des droits humains : une mise en perspective historique
Intervenant principal de la conférence, Wagner André, militant des droits humains et diplomate de formation, a ouvert les débats par un rappel de l’évolution historique de la notion de droits humains.
Il a souligné que ces droits sont le fruit d’un long processus historique, jalonné notamment par le Cylindre de Cyrus, la Charte de Mandé en Afrique de l’Ouest — qui prohibait déjà l’esclavage —, la Magna Carta, le Bill of Rights et l’Habeas Corpus, avant de culminer avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en France, puis la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948.
La Révolution haïtienne, contribution majeure au récit universel des droits humains
Wagner André a tenu à mettre en exergue, avec force, l’apport décisif de la Révolution haïtienne de 1803 dans la construction du discours universel des droits humains. Selon lui, cette révolution a posé la question du respect intégral de la dignité humaine à une époque où les puissances européennes demeurent engluées dans l’esclavagisme et le colonialisme.
Les générations et les caractéristiques des droits humains
Dans une démarche résolument pédagogique, l’intervenant a présenté les différentes générations des droits humains, allant de la première génération, relative aux droits civils et politiques, jusqu’à la quatrième génération, liée aux enjeux des nouvelles technologies de l’information et de la communication.
Il a également insisté sur leurs caractéristiques fondamentales — universalité, indivisibilité et interdépendance — qu’il considère comme le socle même de tout système de protection des droits humains. Tout en rappelant que ces droits demeurent des idéaux à atteindre, il s’est montré confiant quant à la capacité d’Haïti à progresser dans ce domaine, à condition que des personnes compétentes occupent les postes de responsabilité.
Un bilan alarmant : la violence directe au cœur du quotidien
Abordant le bilan de la situation des droits humains en Haïti, Wagner André n’a pas mâché ses mots. Il a qualifié la situation de catastrophique et alarmante, évoquant d’abord la violence directe, celle qui porte atteinte au droit fondamental à la vie. Il a cité, entre autres, les populations civiles pourchassées par des groupes armés et contraintes à l’exil interne.
Selon les données disponibles, près de 90 % du territoire du département de l’Ouest serait sous le contrôle de criminels armés, provoquant le déplacement forcé de milliers de familles et aggravant la vulnérabilité des enfants, des femmes et des personnes à mobilité réduite.
La violence structurelle et l’insécurité alimentaire
À cette violence directe s’ajoute, selon l’intervenant, une violence structurelle profonde, dont l’insécurité constitue l’une des principales manifestations. Cette forme de violence porte atteinte aux besoins essentiels de l’être humain, notamment le droit à l’alimentation et à un logement décent.
À ce titre, il a rappelé les données du Programme alimentaire mondial (PAM), qui indiquent que près de 50 % de la population haïtienne vit aujourd’hui en situation d’insécurité alimentaire, une réalité qui affecte particulièrement les groupes les plus vulnérables.
La faillite institutionnelle, obstacle majeur aux droits humains
Wagner André a également déploré la faiblesse chronique des institutions haïtiennes, estimant qu’aucun cadre de jouissance effective des droits humains ne peut exister sans un appareil institutionnel solide. Or, en ce 77e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, Haïti fait face à une faillite institutionnelle criante, marquée par l’effondrement de l’État.
Les rares institutions encore fonctionnelles peinent à assumer pleinement leurs responsabilités, comme en témoignent les rapports de certaines instances de lutte contre la corruption, souvent restés sans suite au niveau judiciaire.
Perspectives : pour un État de droit et une sécurité durable
Après ce constat sombre, l’intervenant s’est tourné vers l’avenir en esquissant des perspectives. Il a plaidé pour l’instauration urgente d’un véritable État de droit, seul capable de créer un environnement propice au respect de la loi et des droits fondamentaux. Il a également insisté sur la nécessité d’une lutte acharnée contre l’insécurité, appelant à une mobilisation renforcée de la Police nationale d’Haïti et des Forces armées d’Haïti, qu’il juge incontournables dans la restauration de la sécurité.
Un débat nourri et une touche artistique engagée
La conférence s’est conclue par une séance d’échanges de grande qualité avec le public. Questions, commentaires et observations ont enrichi le débat et permis d’approfondir plusieurs points.
Dans une atmosphère à la fois réflexive et conviviale, l’activité a été ponctuée par la prestation d’un jeune slameur talentueux, dont les vers engagés et inspirants ont su captiver l’assistance et faire écho à la thématique des droits humains.
Entre lucidité et espoir : l’engagement renouvelé pour les droits humains
Wagner André a insisté sur l’urgence d’instaurer un État de droit capable de garantir le respect effectif des droits humains en Haïti. Si le bilan des 77 dernières années demeure maigre, il se dit néanmoins confiant. Les actions du MOCONOH et de nombreuses organisations de la société civile lui apparaissent comme des semences d’espoir plantées dans un contexte difficile.
Il a salué le travail du MOCONOH pour sa contribution aux débats publics et a invité les acteurs étatiques à faire preuve de hauteur et de responsabilité au service de la dignité humaine, réaffirmant pour sa part son engagement indéfectible dans la lutte pour le respect des droits humains en Haïti.
Gilberto P. Joachim
Étudiant en droit/FDSE, mémorant en sociologie/FASCH.
