Haïti avait connu des jours heureux sous la présidence de Dumarsais Estimé (16 août 1946-10 mai 1950), qui allait faire du tourisme le secteur clé du développement d’Haïti, à côté de l’agriculture. À ce moment, une exposition internationale et plusieurs hôtels de luxe ont été construits à Port-au-Prince afin d’attirer plus de touristes. Cependant, Haïti était le premier pays en matière de destination touristique dans la Caraïbe. En dehors du beau soleil d’Haïti et de ses belles plages, la culture tant matérielle qu’immatérielle était mobilisée par l’État afin d’attirer la clientèle touristique, comme en témoigne le document de thèse de Jean-Rony GUSTAVE.
À l'heure actuelle, quand on parle d'Haïti, la première impression que l'on se fait de ce pays, pourtant surnommé dans le temps la Perle des Antilles, se réfère surtout à un pays du tiers-monde, un pays où seuls les gangs font la loi, l'instabilité politique, la violence, l'insécurité, la misère ainsi que l'extrême pauvreté font rage. Sans pouvoir nier ces réalités, elle détient pourtant de nombreuses potentialités pour construire une image digne de la première république noire libre du monde. Sur la page officielle de la Banque mondiale, mise à jour 2025 (données économiques 2024), Haïti demeure le pays le plus pauvre de l’Amérique latine et des Caraïbes, et l’un des plus pauvres au monde. Que faire en ce moment ? Et comment s'y prendre ?
Simon ANHOLT, le fondateur du concept de l'image de marque nationale ou Nation Branding en 1996, a prouvé à la suite de nombreuses études scientifiques que les nations ont toujours été perçues comme des marques. De plus, il valorise la marque nationale en la présentant comme la ressource la plus importante d'un État dans la mesure où elle contribue à l’obtention d’un avantage concurrentiel et d’une position consolidée sur le marché international.
Dans un article publié le 26 février 2024 par Bloom Consulting Journal intitulé : Deux pays qui prouvent que le Nation Branding fonctionne, le Bloom Consulting Journal affirme que l'Estonie et le Costa Rica sont deux exemples emblématiques de nations prouvant à quel point cette discipline peut générer des résultats spectaculaires sur la durée. En appliquant la théorie du Nation and Place Branding, qui prouve que les nations ont la possibilité de changer et de construire la perception de leur marque de manière proactive. Les deux pays s'assoient autour d'une base de quatre éléments essentiels d'une stratégie de marque nationale réussie en passant d'abord par la stratégie de marque basée sur une idée centrale, ensuite par la bonne structure organisationnelle, des indicateurs de performance clés des processus de mesure clairs ainsi que par la gestion de l’identité numérique.
Aujourd'hui, comme nous pouvons le constater, le Nation Branding ou image de marque des nations se présente comme un levier stratégique majeur pour renforcer l’attractivité d’un pays sur le plan économique, culturel, touristique et diplomatique. Dans le contexte où les États se rivalisent pour capter l’attention du monde, la qualification de la République d’Haïti pour la Coupe du monde 2026 constitue un événement sans précédent, lui offrant une visibilité planétaire exceptionnelle.
Au-delà d’une simple performance sportive, c’est un moment décisif pour restaurer l'image d’Haïti à l’échelle internationale, notamment en corrigeant les récits négatifs centrés sur les crises politiques, les catastrophes naturelles ou les séries des gangs armés médiatisées sur les réseaux sociaux. La question que l’on se pose maintenant, c’est : comment transformer cette qualification historique en un projet de Nation Branding durable et structurant ?
Un concept stratégique au cœur de la compétition entre nations
Il y a lieu de savoir que le Nation Branding consiste à gérer de manière proactive la réputation d’un pays par la construction d’un narratif national cohérent, inspirant et positif. Il touche plusieurs dimensions : l’attractivité touristique, les exportations culturelles, la diplomatie publique, la mobilisation de la diaspora, l'innovation, l'image politique, etc.
Dans un monde saturé d’informations, l’image d’un pays devient un actif stratégique influençant ainsi les investissements directs étrangers, les flux touristiques, la consommation de produits locaux et l’unité nationale. Pour les pays en développement, ce concept permet d’exister différemment, de briser les stéréotypes et de prendre la parole pour définir eux-mêmes leur identité. La qualification historique d’Haïti pour la Coupe du Monde 2026 représente un tournant tactique. C'est un événement de portée mondiale avec plus d’un milliard de spectateurs qui suivront la compétition, et chaque match devient une vitrine promotionnelle. C’est une occasion rare d’être perçu non pas à travers la tragédie, mais par le prisme du talent, de la détermination et de la créativité haïtienne.
Les atouts spécifiques de cette opportunité consistent dans la visibilité planétaire simultanée où chaque match mobilisera les médias, les réseaux sociaux, les commentateurs sportifs, les sponsors. D'autre part, nous aurons la puissance émotionnelle du football, un vecteur universel d’identité, de fierté et d’unité. Ensuite la mobilisation de la diaspora haïtienne, l’effet d’entraînement sur la jeunesse qui servira d'inspiration, de cohésion et les retombées sociales. Le défi ici est de transformer cette visibilité en un message narratif, puis ce message en capital durable.
Les axes d’un Nation Branding efficace pour Haïti en 2026
Voici une stratégie articulée autour de trois points importants : narration historique nationale, actions visibles, partenariats structurants.
● La construction d'une narration historique nationale forte et cohérente
Le Branding réussit lorsqu’il repose sur des valeurs authentiques et distinctives. Dans le cas d’Haïti, plusieurs storytelling peuvent être mis en avant.
● Haïti, Nation résiliente et victorieuse
Mettre en avant la capacité du pays à surmonter les épreuves tout en valorisant l’endurance, la passion, la créativité et la solidarité du peuple haïtien.
● Haïti, Première République noire libre
Positionner Haïti comme un symbole mondial de liberté, de dignité et d’émancipation en renforçant l’image d’héritage historique fort et inspirant.
Actions concrètes à déployer avant et pendant la Coupe du Monde 2026
D'abord il faudrait penser à une campagne internationale par la création de spots vidéo mettant en scène les joueurs, des paysages haïtiens, des artistes et des symboles historiques. La diffusion sur toutes les plateformes YouTube, TikTok, Instagram, médias partenaires, des capsules sur les joueurs haïtiens après chaque match devrait être précédée de mini-reportages avec les parcours des joueurs, lien avec leur communauté. La mise en avant des territoires d’origine de ses joueurs. La création d’un pavillon culturel haïtien dans les villes-hôtes avec des expositions d’artistes haïtiens, des démonstrations culinaires, des ateliers de danse et de tambours, une miniboutique d’artisanat.
Activation de la diaspora en créant des clubs de supporters officiels dans tout le continent nord-américain, la création de Haiti Fans Zones à Montréal, Miami, New York, Boston, Paris. Des produits dérivés Haïti 2026 : maillots co-brandés artistes / sélection haïtienne, collaboration avec des designers haïtiens de renom, promotion auprès de grandes marques sportives ou lifestyle. Des ambassadeurs culturels constituant les figures haïtiennes célèbres (art, littérature, cinéma, diaspora influente) peuvent devenir un porte-voix, les artistes (musiciens, peintres, danseurs), les chefs cuisiniers haïtiens, les entrepreneurs technologiques, etc.
Comment d’autres pays ont utilisé le sport pour redorer leur image ?
Le cas du Rwanda via sa campagne « Visit Rwanda » a conclu des partenariats tactiques ou stratégiques avec certains grands clubs de football européens, dont les récents champions d'Europe le Paris Saint-Germain (PSG), l’Arsenal avec leur contrat qui prendra fin en 2026, mais aussi le Bayern Munich et l’Atlético Madrid, dans le but de promouvoir le tourisme et la visibilité internationale. En un mot, le soft power du Rwanda a fait floquer les maillots des clubs d’Arsenal (Angleterre), du Bayern Munich (Allemagne), de l’Atlético Madrid (Espagne), du PSG (France) avec son slogan « Visit Rwanda ».
Selon un article publié le 16 avril 2025 par le journal Foot, le PSG et son sponsor « Visit Rwanda » ont étendu leur collaboration jusqu'en 2028 malgré les critiques. Vous rappelant qu'il est le sponsor du club parisien depuis 2019 et que ce partenariat a permis au Club de rapporter environ 15 millions d'euros par an au PSG. Dans le cadre du prolongement de cette aventure, le partenariat renforcera la présence mondiale du Rwanda en tant que destination touristique et culturelle de premier plan, grâce à une visibilité accrue », a déclaré le PSG dans son communiqué, en ajoutant que le sponsor sera présent sur « la manche du maillot de l'équipe première masculine du Paris Saint-Germain lors de la Coupe du Monde des Clubs de la FIFA 2025 qui s'est tenue aux États-Unis cet été ».
Par conséquent, la mise en avant de la marque « Visit Rwanda » est présente via l'affichage au Parc des Princes, sa présence au dos des tenues d'entraînement et d'avant-match de l'équipe masculine de foot du PSG, ainsi que sur la manche des maillots de sa formation féminine.
Le logo « Visit Rwanda » sur les maillots d’Arsenal a repositionné l’image du pays comme destination tournée vers le tourisme et l’innovation. Comme c’était l'un des emblèmes les plus visibles de la stratégie d'influence rwandaise. Depuis 2018, le logo « Visit Rwanda » s'affichait sur la manche gauche des maillots des Gunners, exposant le « Pays des Mille Collines » aux regards de millions de téléspectateurs chaque week-end. Les chiffres avancés par le Rwanda Development Board (RDB) sont éloquents : les recettes touristiques ont bondi de 47 % depuis le début du partenariat, atteignant 650 millions de dollars en 2024, pour 1,3 million de visiteurs accueillis.
Ces partenariats affichent le logo « Visit Rwanda » sur les maillots ou les panneaux publicitaires, générant des millions de dollars de revenus touristiques et d'investissements pour le pays. La leçon que doit retenir Haïti, c’est d'utiliser le football comme une stratégie de positionnement sur l'échiquier mondial, pas seulement le football, mais aussi la culture, le tourisme comme vitrine d’une chronique positive.
République Démocratique du Congo (RDC)
Le cas de la République démocratique du Congo (RDC), qui a récemment établi des partenariats stratégiques avec de grands clubs européens comme le FC Barcelone, l'AS Monaco et l'AC Milan pour promouvoir le sport, la culture et le tourisme congolais, en affichant le slogan "RDC cœur de l'Afrique" sur les maillots d'entraînement, l’organisation des formations pour ses jeunes talents et l'utilisation du "soft power" pour améliorer son image internationale et attirer des investissements.
Ces accords impliquent des investissements significatifs de la part de la RDC, totalisant plus de 90 millions d'euros, et visent à dynamiser le secteur sportif national et à se projeter vers l'accueil de la CAN 2029. Dans un article publié en juillet 2025 par TV5 Monde intitulé "La RD Congo signe un gros contrat avec le FC Barcelone", le ministre des Sports congolais a signé un nouveau partenariat avec un club de football européen : le FC Barcelone. Un contrat à hauteur de 43 millions d’euros qui offre de nombreux avantages et une grande visibilité au pays d’Afrique centrale.
De gros contrats se multiplient avec des clubs de foot européens durant ces derniers mois avec la bonne volonté de redorer l’image de la RDC à l’international. L’AC Milan et l’AS Monaco ont déjà conclu des partenariats avec le pays d’Afrique centrale, vers la fin du mois de juin. Les deux contrats ont une durée de trois ans. L’AC Milan en retirera 14 millions d’euros par saison et L'AS Monaco, 1,6 million d'euros par saison.
Les trois clubs arboreront le slogan « Explorez la RDC, cœur de l’Afrique » sur leurs maillots. Ce dont la RD Congo bénéficiera aussi, c'est de plusieurs espaces d’affichage, à hauteur de deux minutes par match et par support, au sein du Spotify Camp Nou, dans le stade barcelonais fraîchement rénové. Dans le nouveau stade, qui a ouvert ses portes depuis le 10 août dernier, comme le mentionne l'article, comprendra une enceinte VIP dans laquelle la RD Congo pourra inviter des partenaires et organiser des événements. Le pays détiendra aussi un lieu d’exposition de plus de 80 m² aux abords du stade, pour la promotion de sa destination. D’autres avantages alléchants que contient ce contrat : l'utilisation de l’image des joueurs du FCB par Kinshasa, l’obtention de maillots, de billets et de places en loges VIP. Le club espagnol organisera également quatre stages par an pour entraîner une cinquantaine de joueurs congolais dans ses infrastructures.
Nous pensons que ces deux pays du continent africain qui ont choisi de sortir de leur zone de confort pour se positionner et projeter une autre image de leur pays, c'est pas aussi simple, ni naïf, puisqu'en termes stratégiques les deux vont gagner positivement. Par contre, Haïti devrait déjà être en train de penser à se positionner, surtout après cette qualification pour le Mondial 2026. La Fédération Haïtienne de Football (FHF) devrait déjà réfléchir à avoir un plan d'action qui peut aller sur une durée soit de 5 ans, 10 ans et même 15 ans, ne pas penser seulement pour la Coupe du monde vu qu'après le Mondial on doit continuer à travailler et faire de la place pour d'autres jeunes talentueux qui sont en Haïti.
Penser plus grand, mettre en place des stratégies concrètes en pensant au positionnement d'Haïti sur le marché international, en renforçant des clubs locaux ainsi qu'à la création des infrastructures modernes. Le gouvernement doit investir massivement dans ses infrastructures footballistiques en vue d'accueillir des compétitions internationales tout en attirant des investisseurs étrangers. Nous pensons que c'est possible s'il y a une prise de conscience de la part de nos dirigeants et s'ils veulent vraiment que le pays aille de l'avant comme le Brésil qui a misé sur le secteur sportif pour permettre à beaucoup de jeunes de prendre leur envol.
Propositions clés pour faire d’Haïti un cas de nation branding réussi en 2026
1- Lancer un Haiti Branding 2026 qui inclura : Le Ministère du Tourisme d’Haïti, le Ministère de la Culture et de la Communication, la Fédération Haïtienne de Football, les artistes, la diaspora, le secteur privé, les influenceurs.
2- Élaborer une charte visuelle nationale unifiée qui inclura les couleurs, les typographies, les symboles culturels utilisables par toutes les institutions.
3- Créer un storytelling visuel premium qui inclura les photos, les films courts, les documentaires ainsi que les affiches internationales.
4- Investir dans la diplomatie culturelle en déléguant : Des attachés culturels temporaires dans les villes-hôtes (Los Angeles, Toronto, New York, Atlanta, Miami…).
5- Développer une stratégie numérique massive comprenant TikTok en le mixant avec des Reels quotidiennes, les hashtags internationaux.
6- Préparer un Plan 2026 pour que la Coupe du Monde laisse un impact durable en
développement des académies de football, en revitalisation des infrastructures culturelles, un projet muséal itinérant Ayiti, "Terre de Liberté".
Enfin de compte, la qualification d’Haïti pour la Coupe du Monde 2026 est un moment d’histoire. C’est l’occasion de changer notre narratif, d’un pays identifié par ses vulnérabilités à une nation célébrée pour son courage, sa créativité, son héritage et la puissance de sa jeunesse. En combinant sport, culture, marketing territorial, technologie, mobilisation diasporique et diplomatie publique, Haïti peut devenir un modèle de Nation Branding en contexte post-crise.
De toute façon, l’enjeu est simple : transformer un exploit sportif en capital symbolique durable. L’occasion est unique, Haïti peut redevenir une nation admirée, inspirante et visible sur la scène mondiale grâce à un investissement ciblé dans le domaine sportif.
Eunice CINCIR | Spécialiste en Gestion du Patrimoine culturel | Haïti
Mioraniaina Magalie RAZAFIMAHERY | Consultante en Territorial Economic Intelligence | Madagascar
Crédit Photos : M. Jean-Pierre ÉTIENNE
