L’initiative d’Ottawa à propos d’Haïti

Le 21 janvier dernier s’est tenue une réunion des ministres des Affaires étrangères au sujet d’Haïti, présidée par la ministre du Canada, l’honorable Mélanie Joly. Des commentateurs ont rappelé à cette occasion la rencontre du Lac Meech à propos d’Haïti durant la dernière fin de semaine de janvier 2003. Le journaliste Michel Vastel l’avait rendue publique dans un article de la revue l’Actualité du 15 mars 2003. Le titre : Haïti mise en tutelle par l’ONU ? Le sous-titre : Il faut renverser Aristide. Et ce n’est pas l’opposition haïtienne qui le réclame, mais une coalition de pays rassemblée à l’initiative du Canada ! On peut se demander si cette rencontre du Lac Meech n’a pas en fait servi à neutraliser toute velléité de politique indépendante du Canada en ce qui concerne Haïti.

Le Canada a une relation privilégiée avec les Américains avec qui il a sa seule frontière terrestre, dont il est très dépendant économiquement, même si cela ne l’empêche pas de se développer et d’avoir un très bon niveau de vie. Le Canada a cependant souvent suivi une politique extérieure autonome.  Quatre exemples de la deuxième moitié du siècle dernier. Le Canada n’a jamais rompu les relations avec Cuba, malgré l’embargo américain et l’exclusion de l’OEA.  Le Canada a été le premier pays occidental à mener la charge contre le régime d’apartheid en Afrique du sud. Le Canada a été le premier pays à dénoncer le coup d’État militaire en Haïti en septembre 1991, le premier à inviter le Président Aristide (en décembre 1991), pour une visite officielle. Le Canada a refusé de participer à la guerre contre l’Irak, vu l’absence de mandat international.

Aristide est revenu au pouvoir en Haïti en 2001 et les tensions avec les Américains devenaient de plus en plus vives. Le potentiel minier d’Haïti était de plus en plus reconnu depuis les années 70. Des conventions minières furent signées en 1997 avec des compagnies canadiennes et/ou américaines. Dans ce domaine, le Canada est une puissance mondiale. La bourse de Toronto est une des premières au monde, tant pour le nombre de compagnies minières cotées qu’en termes de fonds levés pour cette industrie. Du côté de la France, Aristide avait soulevé la question de la restitution de la lourde dette de l’indépendance imposée par la France en 1825 et qu’Haïti dut payer pendant plus d’un siècle. Cela représentait une demande de plus de 20 milliards de dollars américains. La réparation pour l’esclavage avait aussi été soulevée aux États-Unis par les afro-descendants et cette question avait été abordée, notamment lors de la Conférence mondiale contre le racisme en 2001, à Durban (Afrique du Sud). Outre le départ d’Aristide, les premières suites de la rencontre du Lac Meech furent des ententes de coopération entre le Canada et les États-Unis d’un côté, entre le Canada et la France de l’autre côté. Il pouvait donc être tentant pour les États-Unis et la France de profiter de la bonne réputation du Canada en Haïti, d’autant plus qu’il n’y a aucun contentieux historique entre ces deux pays.

La rencontre du Lac Meech pouvait aussi se prévaloir d’un nouveau principe des Nations-Unies, la responsabilité de protéger. Ce principe a été établi en décembre 2001 par la Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des États, créée par le Canada en septembre 2000, à la suite d’un appel du secrétaire général des Nations unies.  La responsabilité de protéger est ainsi définie: « Quand une population souffre gravement des conséquences d’une guerre civile, d’une insurrection, de la répression exercée par l’État ou de l’échec de ses politiques, et que l’État en question n’est pas disposé ou apte à mettre un terme à ces souffrances ou à les éviter, la responsabilité internationale de protéger prend le pas sur le principe de non-intervention. ». Ce nouveau principe est né au lendemain de l’échec de la communauté internationale à prévenir les génocides dans les Balkans et au Rwanda dans les années 90. Rappelons que c’est le général canadien Roméo Dallaire qui a dirigé la Mission des Nations-Unies d’assistance au Rwanda. On pourrait également évoquer la longue liste d’interventions du Canada en matière de défense des droits humains et d’aide humanitaire : contribution à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme, création des Casques bleus, droits pour l’environnement, traité contre les mines antipersonnel, etc. Les États membres des Nations Unies adoptèrent à l’unanimité la responsabilité de protéger lors du sommet mondial de 2005.

Avec l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement conservateur de 2006 à 2015, le Canada évitera de parler de cette « responsabilité internationale de protéger ». Les événements en Libye en 2011, vont marquer un tournant important.  Pour de nombreux observateurs, cette intervention sonne le glas de la responsabilité de protéger, en étant au fond un abus de ce principe à des fins politiques, une excuse pour obtenir un changement de régime. Depuis, certains estiment que le Canada est devenu un acteur humanitaire réticent.  Il est vrai que l’actuel Premier ministre, le très honorable Justin Trudeau, durant la campagne électorale de 2015, avait promis « un retour en force du Canada », que son gouvernement allait « reconstruire la crédibilité internationale du Canada en redevenant une voie constructive dans le monde ». Il y a eu beaucoup de critiques à l’effet que la marchandise n’a pas été livrée.

Haïti fut l’un des premiers pays avec lequel le Canada établira des relations diplomatiques en son nom, en 1937. Il y eut auparavant, à partir de 1927, une véritable complicité entre les délégués d’Haïti et ceux du Canada à la Société des Nations, d’abord Alfred Nemours et Raoul Dandurand, puis Dantès Bellegarde et Ernest Lapointe. Les diplomates haïtiens souhaitaient notamment l’entrée du Canada à l’OEA pour essayer de contrebalancer l’influence américaine.  Ils ne seraient pas très heureux de la situation actuelle.

 

 

Jean-Claude Icart

Montréal, le 31 janvier 2022

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