Dépénalisation de l’avortement: pour le respect du droit de la femme

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Il n'y a rien de pire qu'un enfant non désiré par celle qui le met au monde! L’avortement est un sujet très controversé dans la société haïtienne, par définition l’avortement est l’expulsion ou l'extraction du produit de conception pesant moins de 500 grammes et âgé de moins de 22 semaines d'aménorrhée. Il y a plusieurs types d’avortement et quand c’est provoqué, il devient volontaire, alors, on parle de préférence d’IVG ou encore interruption volontaire de grossesse. Dans bon nombre de pays, cette pratique est légale, par contre,  chez nous en Haïti, il fait l’objet d’une interdiction pénale selon l'article 262 du Code pénal haïtien qui stipule, “Quiconque, par aliments, breuvages, médicaments, violence, ou par tout autre moyen, aura procuré l'avortement d'une femme enceinte, soit qu'elle y ait consenti ou non, sera puni de la réclusion. La même peine sera prononcée contre la femme qui se sera procuré l'avortement à elle-même, ou qui aura consenti à faire usage des moyens à elle indiqués ou administrés à cet effet, si l'avortement en est suivi. Les médecins, chirurgiens et les autres officiers de santé, ainsi que les pharmaciens qui auront indiqué ou administré ces moyens, seront condamnés à la peine des travaux forcés à temps, dans le cas où l'avortement aurait eu lieu”.

 

En effet cette loi est renforcée par la Déclaration universelle des droits de l'homme qui établit le droit à la vie en son article 3 : « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne. » Son article 5 dispose également que « Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».

 

Pourtant, ceci n'empêche pas que l’avortement se pratique clandestinement et est considéré comme la 3e cause de décès en maternité d'après une enquête publiée par EMMUS VI en 2016-2017. En fait, il y a pas de statistiques officielles concernant les cas d’avortement, toutefois selon les estimations du ministère de la Santé publique et de la Population, 20 à 30% des cas de mortalité maternelle sont dus à des avortements non sécurisés médicalement, et il peut y avoir beaucoup de femmes mortes suite à une pratique clandestine de l’avortement, et sont enregistrées sous d’autres rubriques pour s'échapper l'article 262 du Code pénal. 

 

Ce qui revient à dire que la pénalisation de l’avortement n’a jamais fait cesser ou reculer cette pratique et le problème se porte sur ce point puisque les femmes et les adolescentes qui veulent avorter ne dévoilent pas toujours leur intention. De ce fait, elles ne sont pas conseillées et le pire arrive lorsque la femme ou l’adolescente prend elle-même des initiatives en recourant à des outils dangereux pouvant perforer l’utérus, en prenant des médicaments qui vont aider son corps à expulser l’embryon, mais qui peuvent conduire à une hémorragie vaginale. Outre les risques de décès,  des maladies et la stérilité qui pourraient advenir suite à un avortement clandestin, il y a aussi des conséquences psychologiques à considérer.

 

Dans une société comme la nôtre où misère, chômage, précarité économique, non-scolarisation, malnutrition, enfants des rues, explosion démographique ne cessent d’amplifier un peu plus chaque jour, la dépénalisation  de l’avortement est plus qu’une urgence, c’est comme une plaie souillée de sécrétions séro-sanguinolente, nauséabonde et qui mérite une prise en charge urgente avant qu’elle n'entraîne un choc septique. Toutefois pour prévenir ce choc, la dépénalisation de l’avortement devient une obligation et devrait s’accentuer sur les faits suivants:

 

On sait qu'Haïti est le pays le plus pauvre de l'Amérique et avec une surpopulation, donc la dépénalisation de l’avortement pourrait être une solution à la surpopulation. L’IVG peut aussi sauver des adolescentes tombées enceintes durant leurs études. Celles-ci devront faire face à un énorme bouleversement de leurs habitudes de vie, se consacrer à leur nouveau-né au détriment de leurs études, tenant compte de la situation économique de notre pays, les gens bien formés ont du mal à trouver un emploi, n'en parlons pas pour les gens peu formés.

 

 

 

D’autant plus que l’IVG devrait faire partie du droit de la femme, une femme devrait avoir le contrôle de son corps, et non pas le gouvernement. Si la loi interdit l'avortement alors cela voudrait dire que c`est le gouvernement qui a le contrôle du corps des femmes et non pas elles-mêmes. Les femmes ont le droit de disposer de leur corps librement et de décider de se faire avorter ou non, et peu importe la raison qui les pousse à le faire. Chacune d'elle, croyante ou non, prend cette responsabilité en son âme et conscience. Elle ne doit être jugée par personne, ni par son conjoint, ni par sa famille, ni par son Église. Elle ne doit, en aucun cas, mettre au monde un enfant si elle n'est pas sûre d'être capable de le porter, de l'élever, de s'en occuper avec amour et dignité.

Pour comprendre l’importance de la dépénalisation,il faut en fait chercher une réponse à ces interrogations suivantes?

 

  • Pourquoi mettre au monde un enfant si l’on n’a pas suffisamment  de ressources financières  pour l’élever? Il faut arrêter de dire “ depi l fèt lap viv”.
  • Pourquoi mettre au monde un enfant qui sera handicapé, triste, battu, déformé, malade?
  • Pourquoi une femme est-elle obligée de porter un embryon si sa vie est en danger?
  • Pourquoi une femme enceinte est-elle obligée de garder sa grossesse, s’il s'agit d’un cas de viol ou d'inceste?

En analysant ces interrogations ci-dessus, on pourrait considérer la pénalisation de l’avortement comme une violation du droit de la femme?

 

 

Aujourd'hui, la société est à bout de souffle: trop d’enfants nés dans des conditions inhumaines, trop d’enfants sans pères, trop d’adolescentes mères qui pourraient servir la société, mais qui ont dû laisser leurs études pour prendre soin d’un bébé non désiré, trop d’enfants nés avec des malformations ou des maladies incurables, trop d’enfants de rues.  Il y a assez et même trop de femmes mortes pour avoir osé refuser l'enfant qu'elles portaient, assez et trop de médecins emprisonnés pour avoir osé venir en aide à celles qui voulaient se faire avorter. Il est temps d’agir. Il est temps de considérer la femme comme un être humain  et non comme un objet, une personne qui peut dire oui et dire non et peut décider ce qu’elle veut de son corps sans contrainte. 

 

Une très bonne nouvelle pour ceux qui pensent que l’embryon est un être vivant, le problème est résolu dans le droit moderne,  il indique que le nouveau-né n'acquiert sa personnalité juridique qu'à la naissance. Avant sa naissance, il n'est donc pas une personne, mais un « objet juridique » éventuellement porteur de droits privés ou publics. C'est pour cette raison qu’on peut rejeter la qualification d'homicide le cas d’un avortement. D’autant plus que le Code civil ne subordonne l’établissement d’un acte de naissance d’enfant sans vie ni au poids du fœtus ni à la durée de la grossesse, donc un embryon n’est pas un être vivant.

 

Le débat sur dépénalisation de l'avortement doit continuer à agiter dans tous les secteurs de la vie nationale pour enfin trouver une issue. En Haïti, on n’a pas de chiffres exacts pour quantifier avec certitude le nombre de morts causé par la pratique clandestine de l’avortement, toutefois au niveau mondiale de 2010 à 2014, on a enregistré dans le monde une moyenne annuelle de 56 millions d'avortements (sécurisés ou non), selon l’OMS. Les avortements à risque sont l’une des principales causes de mortalité pour les jeunes filles de 15 à 19 ans, dans les pays à revenu faible ou intermédiaire.

 

En effet, si la majorité du pays de l'Amérique comprend la nécessité de l’IVG et l’a dépénalise, pourquoi nous en Haïti nous sommes encore tenaces à garder cette peine qui nous enfonce un peu plus chaque jour? 

Abdias Dol

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