Autour du « Flamboyant » dans la peinture de Rose-Marie Desruisseau !

Durant l'année 2023, la figure imposante de la peinture haïtienne, Rose Marie Desruisseau devrait célébrer son 90e anniversaire de naissance, si la mort n’avait pas croisé son en 1988. C’est en 1948 qu’elle s'est lancée dans cette aventure. 40 ans de vie artistique, de création, d’enrichissement dans l’art,  l’histoire, la culture et le Vodou. Ce sont les quatre dimensions ou les quatre points cardinaux qui définissent la trajectoire de RMD. Celle qui a bénéficié des funérailles suivant les rituels du Vodou en 1988. Retour sur son parcours ?  

Déterminée à s’inscrire dans l’histoire de l’art de sa terre natale, foncièrement pénétrée par les traditions ancestrales qu'elle  porte dans ses sens et sa conscience d'enfant du Vodou, l’adolescente Rose-Marie Desruisseau, née en 1933, allait intégrer le Centre d’Art de Port-au-Prince, à l'âge de quinze ans, malgré l’opposition de ses parents, rapportent certains témoins de son temps.

Depuis son initiation au dessin, sous la direction et en compagnie des éminents artistes peintres, dessinateurs, professeurs et collaborateurs qui fréquentaient ce temple artistique et culturel fondé par Dewitt's Peters, sa passion allait prendre son envol. Une décennie plus tard, en 1958, elle allait intégrer les rangs de l'Académie des Beaux-Arts de Port-au-Prince (actuelle École nationale des Arts/ENARTS).

De la formation, à la collaboration, en passant par la création pour aboutir à la consécration de l’histoire de sa terre natale, Rose-Marie Desruisseau, fidèle à ses ambitions d’excellence, allait consacrer environ quinze ans de sa vie pour réaliser trente-quatre tableaux mettant en valeur l’histoire d’Haïti. Une belle célébration, traduite dans une collection qui mériterait d'être rapatriée, reconstituée et revisitée dans une prochaine grande exposition itinérante.  

Dans la liste des collaborateurs de cette grande artiste engagée dans la promotion de l’histoire, et initiée dans la culture ancestrale durant ces quatre décennies de création, de représentation et de célébration de la vie et de sa vision du monde, on retiendra le nom de Petion Savain, parmi d’autres figures culturelles importantes de sa génération. Son passage pendant un temps dans l'atelier de Savain a été retenu par plusieurs historiens de l'art. 

Durant mon passage à l’ENARTS, j’ai eu la chance de suivre les cours de l’un des proches et collaborateurs de cette femme artiste, l’artiste peintre Dieudonné Cédor. Ce dernier, tout en célébrant la femme dans sa peinture, ne manquait jamais l’occasion pour se référer tant aux oeuvres qu’au parcours de son ancienne amie, Rose-Marie Desruisseau, avec qui, il célèbre ensemble depuis septembre 2010, leur amour pour la peintre et la patrie, en toute intimité et créativité.

Dans l’histoire de la peinture haïtienne conjuguée au féminin pluriel, le nom de Rose-Marie Desruisseau figure dans la liste des femmes peintres célèbres et engagées mystiquement dans la valorisation des traditions ancestrales.  Arrêtons-nous un peu sur l’une des pièces de la collection de l'éducateur Manoel Anglade. Cette œuvre titrée : « Le Flamboyant, dispose d’un certificat d’authenticité venant de l’une des plus célèbres galeristes de la capitale haïtienne, une historienne de l'art.

Dans la fiche technique de cette pièce qui représente la flore, on retient les informations suivantes. Le tableau a été réalisé à l’huile (médium), sur un support en bois. Cette œuvre réalisée en 1965 dispose de toute sa fraîcheur, comme pour rattraper le principe du vin qui se bonifie avec le temps.

Dans la vie paysanne et à la campagne, comme dans certains quartiers de la capitale haïtienne, le Flamboyant représente à la fois un arbre très remarquable dans le paysage, mais surtout très symbolique comme beaucoup d’autres arbres sacrés. C’est pratiquement l’une des raisons qui a porté cette célèbre artiste femme peintre à s’investir dans la confection de cette oeuvre, porteuse de toutes les dimensions visibles et invisibles que cet arbre peut charrier. Une véritable pièce de collection !

Dans la plupart des rares ouvrages consacrés à l’art haïtien entre les années 60, 90 et jusqu’au début des années 2000, parmi les auteurs on peut citer: le  professeur Michel Philippe Lerebours, Gérald Aléxis, Claudine Michel, entre autres,   le personnage artistique, culturel et mystique de Rose-Marie Desruisseau figure dans plusieurs des registres. Parmi les plus influentes de sa génération, aux côtés de Marie Josée Nadal et Luce Turnier, entre autres, elle dispose d'une certaine valeur ajoutée ou longueur d'avance,  en tant que femme peintre et initiée dans le Vodou (mystique).

Difficile de parler de la représentation des multiples dimensions et des nombreuses formes d'interprétations et des représentations des esprits et des manifestations dans la culture authentique du peuple haïtien, sans faire un tour dans les œuvres picturales de Rose-Marie Desruisseau. Plus encore, la période amérindienne, jusqu’avant l'arrivée de Christophe Colomb en 1492, dispose également des œuvres représentatives signées par RMD, dans sa passion manifeste de revisiter l’histoire de sa terre natale.    

Disciple ou  bénéficiaire des savoirs du célèbre journaliste, écrivain et diplomate Jean Fouchard, Rose-Marie Desruisseau allait fréquenter ce dernier, une fois qu'elle commence par s'intéresser au Vodou dans les années 1960. À la suite de ses recherches et de son initiation, elle s'investit dans l'organisation d'une exposition de ses œuvres en 1973, qui portait le titre : Autour du Poteau Mitan ».

Des tableaux de cette dernière impriment  les couleurs et les formes , les personnages et les paysages, les points d’or et les symboles Vêvê, qui participent visiblement  dans la célébration des engagements mystiques pris par les ancêtres pour instaurer ce nouvel ordre mondial, entre 1791 et 1804. 

Dommage qu'il n'existe pas, ou du moins aucun site ou une salle dédiée à cette dame ne figure dans l'agenda culturel national actuel. Comment faire pour ne pas laisser tomber dans l'oubli total ce personnage artistique et culturel féminin imposant ? Comment faire pour ne pas  laisser passer dans le silence complice,  cette année qui marque les 90 ans de cette femme ?  À défaut de lui consacrer une journée d'étude pour célébrer son passage dans l’art et la culture, dans l’histoire et la mémoire collective, cet article vous invite tous et toutes, en particulier les éducateurs artistiques et culturels à ressusciter  son nom dans les cours et les débats sur la présence des femmes dans l'art haïtien ?

Dans une perspective d'encourager et de contribuer à l'organisation de  la prochaine grande exposition (rétrospective) qui servira à rendre un digne  hommage à Rose-Marie Desruisseau, les principales institutions concernées (fondations, galeries, musées, banques, ambassades, entreprises, centres culturels, entre autres), les proches ou héritiers de l'artiste, et les plus importants collectionneurs qui disposent des oeuvres authentiques de cette femme artiste peintre et mystique, devraient commencer par s’identifier et s’organiser pour inventorier les biens culturels, les objets témoins et tous les autres souvenirs qui peuvent  célébrer de manière valorisante et intelligente, la vie et les oeuvres de cette femme « Potomitan », dans l'art haïtien.  

 

Dominique Domerçant  

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