Mileva Roumer, native de Jérémie, artiste multidisciplinaire, s'est confiée dans les colonnes du journal Le National. De son enfance dans la Grande-Anse jusqu'aujourd'hui, elle a permis une plongée dans son univers. Entretien.
Le National (LN): Mileva, vous êtes une artiste qui évolue dans une multitude de disciplines. Pourriez-vous nous détailler votre parcours artistique depuis vos premières explorations jusqu’à aujourd’hui ?
Mileva Roumer (MR): Mon parcours artistique est profondément enraciné dans mon enfance à Jérémie, où j’ai grandi au milieu de la nature luxuriante d’Haïti, entourée d’arbres majestueux, d’animaux et de la sérénité d’un environnement encore préservé. Ces premières années ont façonné ma sensibilité artistique et ma quête d'expression. Tout en courant librement dans ces paysages, je découvrais déjà une forme de langage silencieux entre moi et le monde. C’est là, dans cette immersion totale avec la nature, que l’art a commencé à naître en moi comme un refuge et une nécessité.
Peinture, illustration, sculpture, cinéma, poésie, écriture, création de bijoux avec Zantray Jewelry : chacune de ces disciplines me permet d’explorer de nouvelles facettes de la création . L’art, pour moi, est un langage universel, vivant et en perpétuelle évolution. Mon besoin de créer dépasse les médiums ; chaque projet devient une extension de mon être, une façon de traduire mes émotions, mes réflexions et mes aspirations.
À travers mes œuvres, je cherche à favoriser une reconnexion avec soi-même et avec le monde. Que ce soit en abordant des thèmes comme la philosophie, la justice ou la préservation de l’environnement, mon objectif est d’utiliser l’art comme un pont entre les gens et les éléments essentiels de la vie. Mon lien avec mon pays est une source inépuisable d’inspiration : elle alimente ma créativité.
Chaque création est un portail ouvert vers l’âme, une invitation à explorer les ombres et la lumière, à accueillir l’authenticité et à rêver d’un avenir collectif. Mon travail avec Zantray Jewelry, par exemple, explore les liens entre durabilité, héritage culturel et gratitude envers la vie.
Mon art ne cesse de se transformer, s’adaptant aux défis de notre époque tout en restant fidèle à mon désir de tisser des liens profonds entre passé, présent et futur. À travers mes créations, je rends hommage à la résilience et à la force des âmes qui m’entourent, tout en appelant à une transformation collective qui honore notre humanité et notre connexion avec la Terre.
LN: Quelles ont été les étapes déterminantes dans votre cheminement vers l’art et la poésie ?
Les étapes marquantes de mon cheminement vers l’art et la poésie sont nées de ma relation intime avec le monde qui m’entoure et de mon besoin profond d’explorer l’âme humaine. Mon enfance à Jérémie, au cœur de la nature , a été le point de départ, celui qui a forgé mon immersion dans un univers de beauté brute et sauvage a éveillé en moi une sensibilité particulière, une curiosité insatiable pour les liens entre l’être humain et son environnement. Entre les injustices et les blessures profondes de notre histoire et qui continue de faire son chemin dans notre société.
Plus tard, en m’exposant à d’autres horizons et en partageant mes créations, j’ai vécu une transformation profonde. Initialement, mon art était un espace privé, un sanctuaire où je pouvais déposer mes réflexions, mes douleurs et mes espoirs. Mais le moment où j’ai commencé à partager mon travail avec le public a tout changé. Cette transition m’a permis de percevoir l’impact que mes œuvres pouvaient avoir sur les autres. À travers le regard des spectateurs, j’ai vu comment mes explorations personnelles devenaient des portails pour que d’autres transcendent leurs propres expériences.
C’est cette ouverture, ce passage de l’intime au collectif, qui a redéfini ma pratique artistique. L’art est devenu un moyen de dialogue, un espace où la résonance entre ma vision et celle des autres crée un écho universel. Cette évolution m’a fait comprendre que la création n’est pas seulement un acte d’expression, mais aussi un acte de service. Servir en offrant des clés pour se reconnecter, pour guérir, et pour rêver d’un avenir qui dépasse les frontières du soi.
LN: Port-au-Prince et Jérémie sont deux villes aux ambiances très distinctes, tant sur le plan culturel qu'environnemental. Comment votre enfance à Jérémie a-t-elle façonné votre sensibilité artistique et influencé les choix créatifs que vous faites aujourd’hui ?
MR: Grandir à Jérémie, dans le département de la Grand'Anse, a été une expérience unique, marquée par une nature sans pareil. C'est un environnement où les montagnes imposantes, les plages sauvages, les forêts tropicales et les rivières cristallines se côtoient dans une harmonie parfaite. En tant qu'enfant hyperactive, cette nature vivante est devenue mon terrain de jeu, mon laboratoire d'inspiration. J'ai passé des heures à observer les plantes, les animaux et les paysages, me nourrissant de leur beauté .
Port-au-Prince, en contraste, m’a exposée à un univers urbain, bouillonnant, où la modernité et l’agitation prennent le dessus. Y être née et y avoir vécu m’a permis de comprendre la richesse et les défis de la ville, tout en mettant en lumière, par contraste, la simplicité et la pureté qui caractérisent Jérémie. Ce décalage entre ces deux univers a enrichi ma compréhension du monde et intensifié ma gratitude pour tout ce qui rend la Grand'Anse unique et précieuse.
Aujourd’hui, mon art est le reflet de cette dualité : l’effervescence culturelle et l’énergie de Port-au-Prince se mêlent à la sérénité et à l’essence intemporelle de Jérémie, créant un équilibre entre introspection et expression extériorisée. Mon enfance dans la Grand'Anse continue d’être une source d’inspiration inépuisable, imprégnant chaque œuvre d’un souffle vivant et organique.
LN : Quelles traces de cette ville retrouvons-nous dans votre travail ?
MR: La dualité de mon expérience à Jérémie, à la fois positive et négative, a été un outil essentiel pour élever mes questionnements et nourrir ma créativité. D'un côté, il y avait la beauté et la richesse de la nature, la résilience des habitants et un sens profond de partage et de solidarité. Mais de l'autre, il y avait aussi les défis, les difficultés liées aux conditions de vie, à la fragilité de l'environnement et aux tensions sociales. Ces contrastes ont éveillé en moi une multitude de questions sur la vie, l'humanité et notre relation avec la nature. Ce mélange de forces et de faiblesses a agi comme un catalyseur, m'incitant à explorer ces paradoxes dans mon art, à réfléchir sur les oppositions entre lumière et obscurité, entre épanouissement et souffrance. Aujourd'hui, ces questionnements restent au cœur de ma pratique artistique, m'inspirant à créer des œuvres qui résonnent avec la complexité de la condition humaine.
LN : En tant que descendante d’Émile Roumer, figure emblématique de la poésie haïtienne, vous semblez porter un héritage intellectuel et culturel considérable. Comment cet héritage familial influence-t-il votre pratique artistique ?
MR: L'héritage d'Émile Roumer et de tous ceux qui ont donné de leur essence dans les moments les plus difficiles de notre histoire m'inspire profondément. Ces figures se sont unies pour créer des œuvres qui, par leur force et leur vérité, ont su transcender le temps. Leur travail, qui s'est opposé à la glorification de la servitude et à la destruction de l'esprit de notre nation pour des intérêts internationaux, restera à jamais un témoignage que toute œuvre réalisée avec le cœur, dans la vérité et au service de quelque chose de plus grand que soi, ne peut être effacée. Pour cela, je suis infiniment reconnaissante à tous ceux qui ont porté cette lutte, enduré tant de souffrances, et ont été les boucliers protégeant notre mémoire collective.
Je suis sur mon propre chemin artistique, qui vise à aborder des préoccupations contemporaines tout en restant fidèle aux enseignements du passé. Mon travail n'est pas seulement une quête pour l'émancipation des femmes, mais aussi un appel à honorer la nature, les animaux et à créer des espaces où la guérison devient un moyen essentiel d’engendrer la révolution collective dont nous avons besoin.
La guérison, dans tous ses aspects, est un catalyseur puissant pour un changement durable. En créant des espaces sûrs, nous permettons à chacun de se reconnecter à sa véritable essence. Ces espaces deviennent des lieux de transformation où l’on se soutient mutuellement, où l’on guérit ensemble, pour rétablir l’autonomie, la souveraineté et la liberté, tout en rétablissant une relation sacrée avec la Terre et toutes les formes de vie qu’elle abrite.
À travers mon art, je m'efforce de contribuer à cette évolution. Mon engagement est de faire résonner la voix de ceux qui ont lutté pour que nous puissions être libres, dignes et connectés à nos racines. En honorant ces sacrifices et en créant des espaces nourrissants et respectueux, je souhaite participer à la construction d’un avenir commun, celui d’une nation souveraine, respectueuse de la Terre, de la nature et des êtres vivants, qui se dresse avec force face aux défis du monde actuel.
LN: Y a-t-il des échos de la poésie d'Émile Roumer dans votre démarche contemporaine ?
Oui, il y a des échos de la poésie d'Émile Roumer dans ma démarche contemporaine, bien que mon approche artistique soit marquée par ma propre expérience et vision. La quête d'identité, la résistance à l'oppression et l'émancipation qui traversent l'œuvre de Roumer résonnent profondément dans mon travail, notamment sa lutte pour la créolité et la décolonisation de la pensée.
Sa poésie, qui a cherché à libérer la voix haïtienne et à affirmer notre héritage culturel, m'inspire à revendiquer ma propre voix et à explorer des thèmes liés à l’identité, à la souveraineté et à la liberté dans un contexte moderne. Comme lui, je ressens l’importance de transcender les frontières imposées par l’histoire coloniale et de revendiquer une expression authentique, non seulement en tant qu’artiste, mais aussi en tant que femme, en rétablissant une relation sacrée avec la nature et les êtres vivants.
Cependant, ma démarche se distingue par un accent particulier sur la guérison et l’élévation du féminin, qui est une voie essentielle pour la transformation collective. Là où Roumer a utilisé la poésie pour questionner et dénoncer, je cherche, à travers mon art, à créer des espaces qui permettent de guérir, de se réconcilier et de construire ensemble un avenir où la liberté, l’autonomie et le respect de la nature et de la mémoire collective sont au cœur du changement.
En ce sens, bien que ma pratique contemporaine prenne une forme différente, elle s’inspire de la même volonté de résister, de créer et de transcender, tout en y apportant une vision personnelle et un engagement envers des valeurs actuelles de justice, de respect et de réconciliation.
LN : Votre œuvre semble proposer une réflexion multidimensionnelle sur des thématiques aussi vastes que l’humanité, la nature et l’identité. Pouvez-vous nous expliquer comment ces thèmes se traduisent concrètement dans vos créations ?
Oui, mes créations sont le fruit d'une réflexion profonde sur des thématiques qui sont à la fois personnelles et collectives, et qui touchent à l'humanité, la nature et l'identité. Ces thèmes se traduisent concrètement dans mes œuvres à travers une exploration visuelle et symbolique de ces concepts, mais aussi par la manière dont je cherche à reconnecter ces éléments dans un dialogue vivant et dynamique.
L'humanité : Dans mon travail, l’humanité se reflète à travers des représentations de la condition humaine, de ses luttes, de ses espoirs, de ses contradictions. Je cherche à capturer la complexité des émotions et des expériences humaines, qu'elles soient liées à la douleur, à la résilience ou à la quête de sens. Chaque œuvre devient une fenêtre sur une expérience humaine partagée, qu'elle soit individuelle ou collective, où le spectateur est invité à se voir, à se reconnaître dans l'autre. L'art devient alors un moyen de connecter les gens, de les amener à une introspection, mais aussi à une réconciliation avec leur propre histoire.
La nature : La nature est pour moi une source inépuisable d'inspiration et un lieu d'équilibre. Mes créations traduisent souvent la beauté, mais aussi la fragilité de la nature, en mettant en lumière les relations interconnectées entre l'homme, les animaux et l'environnement. J'utilise la nature pour explorer notre place dans le monde, soulignant la nécessité de la préserver tout en reconnaissant notre dépendance à elle. Dans mes œuvres, la nature devient un miroir dans lequel je reflète les déséquilibres écologiques et les injustices sociales, mais aussi un symbole d'espoir et de guérison, un rappel que la Terre et ses habitants ont la capacité de se régénérer.
L'identité : L’identité est un thème central dans mon travail, notamment en tant que femme haïtienne et en tant qu’artiste issue d’une culture riche et complexe. Je cherche à interroger et à redéfinir les multiples dimensions de l'identité, en particulier dans le contexte de la décolonisation et de la réappropriation de notre héritage culturel. À travers des métaphores, des symboles et des représentations visuelles, je donne forme à cette quête d'authenticité et de réconciliation avec mes racines, tout en mettant en lumière la diversité des identités qui composent notre société. Je travaille aussi sur la notion de liberté individuelle et collective, sur la manière dont l’identité se construit au croisement des influences externes et internes, et comment elle peut être un acte de résistance et de réaffirmation de soi.
Concrètement, ces thématiques se traduisent dans mes créations par l'utilisation de différents médiums : peinture, poésie, photographie, installation, où chaque œuvre devient un espace de dialogue. Les couleurs, les formes, les matériaux que je choisis sont chargés de sens et cherchent à exprimer cette multiplicité. Chaque œuvre est une invitation à la réflexion, à l'éveil, à la guérison, et à l'engagement. Je cherche à créer des espaces visuels qui ne sont pas seulement des objets d'art, mais des points de rencontre où le spectateur peut s'interroger, se reconnecter et se réconcilier avec lui-même, avec l'autre et avec la Terre.
Dans l'ensemble, mon travail est une quête pour réconcilier les contradictions de notre époque et retrouver un équilibre, tant au niveau individuel que collectif, en redonnant de la voix à ceux qui ont été marginalisés et en honorant la sagesse ancestrale qui nous relie à notre humanité et à notre environnement.
LN : Comment cette recherche sur l’humanité et la nature s’articule-t-elle au sein de votre univers artistique ?Ma recherche sur l’humanité et la nature s’articule profondément au sein de mon univers artistique, car pour moi, l’art ne se limite pas à l’esthétique, il est un chemin de réflexion sur notre identité collective et notre relation avec le monde naturel. À travers mes différentes pratiques, comme la poésie, la photographie, la sculpture, l'illustration et la peinture, j'explore ces thèmes sous différentes formes, toujours avec l’envie d’aller au-delà des apparences et d’ouvrir des espaces de réflexion. Mon art devient ainsi un moyen d’explorer les grandes questions humaines, de questionner nos souffrances passées et présentes, tout en recherchant une voie de guérison et de réconciliation.
La nature dans mes œuvres n’est pas juste un cadre, mais un miroir de notre état intérieur, un reflet de nos luttes et de nos rêves. Elle incarne un lieu de réconciliation, de transformation et de renouveau. Chaque élément naturel — un arbre, le vent, un rayon de soleil — porte en lui des messages profonds sur l’interconnexion entre tous les êtres vivants. À travers cette exploration, j'essaie de faire comprendre que nous sommes tous liés, et que notre relation avec la terre et l’autre est essentielle pour notre épanouissement.
L’art devient pour moi un outil pour éveiller les consciences, pour inviter les gens à reconsidérer leurs rapports à la nature et aux autres. C'est une invitation à trouver des solutions durables, à la fois spirituelles et humaines, face aux crises que nous traversons. En cherchant à dévoiler la beauté dans les imperfections et en encourageant l’introspection, je cherche à amener chacun à se reconnecter avec lui-même et avec le monde qui l’entoure.
Ainsi, à travers mon art, je vois chaque œuvre comme une exploration des mécanismes de l'âme et une voie vers une guérison individuelle et collective. Mon travail est avant tout un appel à la transformation, un pont entre le monde matériel et la dimension spirituelle, où chacun peut, à son rythme, trouver sa propre voie vers l'unité et l’harmonie.
LN : La nature occupe une place centrale dans vos travaux, que ce soit dans vos peintures ou dans vos écrits?
Le portail de l'eau est une œuvre qui, tout comme La racine de l'eau, se situe au cœur de l'élémentaire, là où l'eau incarne à la fois la source de la vie et un espace mystique de passage et de transformation. À travers cette œuvre, je cherche à évoquer la profondeur de cet élément qui nous relie à nos origines, tout en nous offrant une ouverture vers l’infini. L'eau, dans sa fluidité, sa capacité à nourrir, à purifier et à emporter, devient un symbole puissant du flux de la vie, des émotions et des transformations humaines.
Elle représente ce portail, ce seuil qui nous permet de traverser des états intérieurs et extérieurs, de nous connecter à la fois à nos racines et à nos aspirations les plus profondes. Tout comme l'eau qui sculpte la terre, cette œuvre est un acte de création, une exploration des forces naturelles qui façonnent notre existence et notre âme. Le portail, dans ce contexte, est l’entrée vers une nouvelle compréhension de nous-mêmes, un voyage à travers les couches invisibles de notre être et de notre environnement.
Dans le cadre de mon pays, l'eau devient aussi un symbole de résilience, de régénération et de lumière. À l'image de l’œuvre Soleil de mon pays, où la lumière et la chaleur du soleil représentent l'espoir, l'énergie vitale et l’âme même de la nation, Le portail de l'eau capture cette essence de régénération et de force silencieuse. L'eau, tout comme le soleil, est essentielle à notre survie, mais elle a aussi cette capacité subtile de transformer, d'inspirer et de nourrir.
À travers ces œuvres, je tisse donc un dialogue entre la terre, l'eau et le ciel, entre la lumière et l’ombre, en cherchant à rappeler à chacun de nous cette relation essentielle avec les éléments naturels, qui sont à la fois nos racines et nos ailes. Le portail de l'eau et La racine de l'eau sont des invitations à explorer ce qui est fondamental, à plonger dans l’essence de ce qui nous anime et à embrasser les forces naturelles qui façonnent notre histoire et notre avenir.
LN Quel rôle particulier la nature joue-t-elle dans votre démarche artistique ?
Dans mes écrits, la nature de l’existence, avec ses mystères et ses interrogations, se transforme en poèmes et en projets créatifs. Ce questionnement profond, qui pulse au centre de ma réflexion, se tisse comme une ouverture, une passerelle entre mon esprit et ma créativité. À travers chaque mot, chaque vers, je cherche à explorer ce que cela signifie véritablement être humain, à sonder notre place fragile dans ce vaste univers, tout en découvrant les vérités que la nature murmure à travers ses éléments. La poésie devient un terrain fertile où chaque question semée germe en une œuvre vivante, une vibration qui nourrit mon esprit et, par extension, ma créativité. Chaque projet, chaque œuvre, trouve sa source dans ce dialogue intime entre l'âme humaine et les forces naturelles, un flux perpétuel d'inspiration qui transcende le simple questionnement pour devenir un voyage de transformation et de découverte.
LN : Pensez-vous qu’il existe un lien spirituel ou métaphysique entre votre art et l’environnement naturel ?
Absolument, il existe un lien profond, presque indescriptible, entre mon art et l’environnement naturel. La nature, pour moi, est bien plus qu’un simple décor : elle est une présence vivante, une source d’énergie et d’inspiration, un guide silencieux mais puissant. Chaque arbre, chaque pierre, chaque souffle de vent contient une sagesse ancienne, une histoire qui résonne en nous, si nous prenons le temps d’écouter.
Mon enfance à Jérémie, entourée par une nature vibrante et sauvage, m’a appris à voir le monde comme un organisme interconnecté, où chaque élément a un rôle essentiel. Ce lien s’est tissé dans mon art, qui devient un moyen d’honorer cette relation sacrée. Lorsque je peins, écris ou crée, c’est comme si je traduisais une énergie invisible en formes, en couleurs, en mots.
Il y a également une dimension métaphysique dans cette interaction : l’environnement naturel n’est pas seulement une inspiration, il est aussi un miroir de nos âmes. À travers mes créations, je cherche à capter cet écho, cette vibration commune entre l’humain et la Terre. C’est une quête pour retrouver l’harmonie perdue, pour rappeler que nous faisons partie d’un tout, et que notre propre guérison est intrinsèquement liée à celle de la planète.
En fin de compte, mon art est une offrande, un dialogue entre le visible et l’invisible, une prière adressée à la Terre et à la vie qu’elle porte.
LN: En tant qu'artiste ayant grandi dans un contexte marqué par l’instabilité politique et sociale en Haïti, pouvez-vous partager avec nous comment ces réalités ont influencé votre démarche artistique ?
MR: Grandir en Haïti, dans un contexte marqué par l’instabilité politique et sociale, a profondément façonné ma démarche artistique. Ces réalités, à la fois brutales et complexes, ont éveillé en moi un besoin pressant de comprendre, d’exprimer et de transformer ce que je ressentais face au chaos environnant.
L'art est devenu un refuge, un espace où je pouvais interroger les injustices, les douleurs et les contradictions du monde qui m’entourait. À travers la peinture, l’écriture et d’autres formes d’expression, je trouvais une façon de transcender les tensions et de donner un sens à l’absurde. L’instabilité m’a poussée à creuser plus profondément en moi, à explorer les questions fondamentales de l’existence et à chercher la lumière dans les ombres.
En même temps, ces défis ont nourri un désir de connexion et de transformation collective. Les paysages chaotiques de l’enfance se mêlaient à des moments de beauté et de résilience, des instants qui me rappelaient la force du peuple haïtien, sa créativité inépuisable et sa capacité à rêver malgré l’adversité. Ces éléments imprègnent mon art, qui devient une réflexion sur la dualité de la souffrance et de la beauté, du désespoir et de l’espoir.
Mon parcours artistique est donc intimement lié à cette quête de justice, de guérison et de réinvention. Je vois mon travail comme une passerelle, une invitation à réfléchir, à ressentir et, peut-être, à imaginer un monde où les blessures peuvent être soignées et les âmes libérées.
LN : L’art a-t-il été pour vous une forme de résistance ou de dialogue face aux défis que vous avez rencontrés dans votre pays ?
Oui, l’art a toujours été pour moi une forme puissante de résistance et de dialogue face aux défis auxquels j’ai été confrontée en Haïti. Dans un contexte marqué par l’instabilité, la création m’a offert un espace où je pouvais non seulement exprimer mes émotions, mais aussi engager une réflexion critique sur les réalités sociales et politiques.
Chaque peinture, chaque texte ou sculpture devient une réponse aux injustices, un acte de réappropriation face à un monde parfois hostile. Par l’art, je cherche à dire l’indicible, à donner une voix aux silences imposés et à transformer la douleur en force créative. C’est une manière de résister à l’effacement, de préserver la mémoire et d’affirmer notre humanité face aux épreuves.
Mais l’art est aussi un espace de dialogue. Il me permet de poser des questions, d’entamer des conversations et d’impliquer d’autres dans une quête de sens et de changement. En partageant mes œuvres, j’espère inspirer une réflexion collective, inciter à voir au-delà des apparences et cultiver l’espoir même dans les moments les plus sombres. Pour moi, l’art n’est pas seulement une réaction aux défis, mais une manière d’imaginer des futurs possibles et de bâtir des ponts entre les âmes.
LN : Vous avez su allier la peinture et la poésie dans votre expression artistique. Comment ces deux formes d’art se nourrissent-elles mutuellement dans votre travail ?
La peinture et la poésie, bien qu’elles empruntent des médiums différents, se rejoignent dans mon travail comme deux expressions d’une même quête : celle de donner une voix à l’invisible et d’explorer les profondeurs de l’âme humaine. Elles se nourrissent mutuellement, chacune apportant à l’autre une dimension unique qui enrichit mon processus créatif.
La poésie est pour moi un langage intime, une manière de traduire les émotions et les réflexions en mots, souvent à travers des images et des métaphores. C’est un espace où je peux explorer l’abstrait et l’intangible, un moyen de mettre en lumière ce qui reste parfois caché dans les ombres.
La peinture, quant à elle, me permet d’explorer ces mêmes émotions de manière visuelle et intuitive.
Là où les mots trouvent parfois leurs limites, les couleurs, les formes et les textures prennent le relais. Les gestes du pinceau deviennent une danse, une conversation silencieuse avec l’âme et le monde.
Lorsque je peins, il m’arrive de trouver des phrases ou des poèmes qui émergent naturellement, comme si les deux disciplines dialoguaient entre elles. De même, lorsque j’écris, des visions picturales se dessinent dans mon esprit, influençant la manière dont je compose mes tableaux. Ensemble, peinture et poésie tissent une trame qui permet une exploration plus complète de mes idées, offrant au spectateur ou au lecteur une expérience multisensorielle.
Ce dialogue constant entre les deux formes d’art reflète ma volonté d’embrasser la complexité de l’existence et d’inviter chacun à plonger dans ses propres profondeurs, à travers la force des mots et la puissance des images.
LN : Existe-t-il un langage particulier qui unit vos visuels et vos mots, et qui pourrait être perçu comme un reflet de votre approche créative ?
MR: Il y a une véritable multidisciplinarité dans mes œuvres, une communication constante entre les formes d’expression. La poésie se transpose naturellement à la peinture, tandis que le court métrage poétique donne vie à une performance où les mots se métamorphosent en visuels et en récits. Le dessin dialogue avec la sculpture, élevant les idées et les histoires portées par l’écriture. Tout est intrinsèquement connecté pour moi.
C’est là, à mon sens, la véritable magie de la création : elle est en nous et tout autour de nous. Elle ne demande qu’à être accueillie. Lorsqu’on s’ouvre pleinement à notre réalité de créateur ou créatrice, on découvre que chaque médium enrichit l’autre, créant un langage unique où les frontières entre les disciplines disparaissent, laissant place à une harmonie totale.
LN : Votre installation au Canada a sans doute marqué une étape importante dans votre carrière?
MR: Aller et venir entre Haïti et ailleurs m’a permis d’explorer cette dualité entre le fort désir de connexion à ma terre natale et l’espace nécessaire pour découvrir et affirmer qui je suis.
En Haïti, l’art se respire ; il est si omniprésent dans notre quotidien qu’il devient une seconde nature. Dans chaque geste, chaque parole, chaque échange, il y a une créativité qui nous traverse presque instinctivement. C’est ce souffle artistique qui m’a formée, souvent sans que je m’en rende compte. Cet ancrage, mélangé à de nouvelles rencontres et influences, a enrichi ma pratique artistique et ma vision du monde.
Les amitiés que j’ai nouées avec d’autres artistes, tant haïtiens qu’internationaux, ont joué un rôle clé.
Leur résilience et leur capacité à créer même face aux défis m’ont inspirée à repenser l’impact de l’art. Ces échanges m’ont aidée à comprendre que mes œuvres, nourries par mes origines et par ce que j’ai appris ailleurs, peuvent transcender les frontières, trouver leur place dans le monde, et offrir aux autres une porte vers la réflexion et la transformation.
LN : Pourquoi avoir choisi ce pays comme terre d’accueil pour votre art, et en quoi cette nouvelle réalité a-t-elle enrichi ou modifié votre approche créative ?
MR: Mon art, pour moi, n’est pas limité à une terre d’accueil. Il s’inscrit dans un monde où l’accès à une connexion profonde est toujours possible. J’ai l’impression qu’il existe partout à la fois, franchissant ses propres frontières et trouvant un écho universel, peu importe le lieu où je me trouve.
Prendre le temps de me guérir et de me recentrer a été essentiel face aux instabilités et au poids du stress que nous portons tous. Cette pause, combinée à l’autonomie que j’ai pu développer, a nourri ma quête intérieure et m’a permis d’explorer mes motivations profondes : pourquoi je crée, d’où vient ce besoin et quelle en est la finalité.
Couplée à mes expériences enrichissantes dans mon pays, cette réflexion s’est imprégnée de la sagesse de la terre et des paradoxes du monde dans lequel nous vivons, j’ai pu tirer des conclusions uniques. D’un côté, l’anonymat que m’offrait une réalité me permettait de me perdre pour mieux me retrouver, tandis que de l’autre, le lien communautaire m’enracinait profondément. Cet équilibre entre introspection et appartenance a façonné ma pratique artistique et lui a donné une richesse particulière.
LN : Quelles interactions culturelles ont influencé votre travail depuis que vous y résidez ?xfx Les performances artistiques et les expositions auxquelles j'ai participé ici ont été des moments privilégiés de rencontre et de dialogue. J'ai pu échanger avec des personnes de cultures et de nationalités variées, créant ainsi un véritable espace d'échange interculturel autour de mes créations. Ces interactions ont été une source d'inspiration profonde. J'ai été touchée par la manière dont mes œuvres résonnaient avec des expériences humaines universelles, transcendant les frontières culturelles. Découvrir les interprétations et les émotions suscitées par mon travail chez des spectateurs aux parcours si différents a enrichi ma propre compréhension de mon art et m'a ouvert de nouvelles perspectives.
Ce qui a véritablement enrichi mon parcours artistique cette année, c'est ma participation au FestiThéâtre Créole, organisé par la Compagnie Théâtre Créole. L'événement portait un thème particulièrement significatif pour moi : « Kreyòl se idantite m », « Le créole, c'est mon identité ». En tant que poète, ce festival, qui met à l'honneur notre langue, a été une opportunité inestimable. J'ai eu l'occasion d'écrire et de performer exclusivement en créole ici, au Canada, aux côtés d'artistes extrêmement talentueux. Pour moi, évoluer dans un tel espace, où non seulement notre langue est acceptée, mais où elle est aussi valorisée, célébrée et mise au premier plan dans le cadre d'un thème aussi puissant, a profondément consolidé mon cheminement artistique. Cette expérience a renforcé mon identité d'artiste créolophone et a confirmé l'importance cruciale de l'expression en créole dans mon travail.
LN : De nombreux artistes haïtiens établis à l’étranger contribuent à la diffusion de l’art haïtien sur la scène internationale. Comment percevez-vous l’évolution de l’art haïtien à l’échelle mondiale ?
MR: L’art haïtien connaît une évolution remarquable sur la scène internationale, porté par la richesse de son héritage culturel, la résilience de ses artistes et leur créativité inépuisable. Il est de plus en plus reconnu pour sa capacité à raconter des histoires profondément enracinées dans l’histoire, la spiritualité et la force collective haïtiennes, tout en résonnant avec des thématiques universelles. Les artistes établis à l’étranger jouent un rôle essentiel en diffusant cette richesse, en l’adaptant à de nouveaux contextes et en l’inscrivant dans une modernité globale.
Cependant, cette dynamique internationale vient aussi soutenir et amplifier le travail extraordinaire des artistes basés en Haïti, de véritables battants dotés d’une force remarquable. Leur obsession à ne jamais lâcher, malgré les défis, les pressions et les obstacles innombrables, est une source d’inspiration incommensurable. Ces artistes incarnent une résilience profonde et une détermination inébranlable, faisant de leur création un acte de résistance, d’espoir et de persévérance.
Plus qu’une réussite individuelle ou étrangère, c’est une union et une réussite partagées, enracinées dans notre histoire commune, nourries par nos mémoires collectives et renforcées par la collaboration avec ceux qui, en Haïti, tiennent le flambeau avec tant de courage. L’art haïtien, qu’il s’exprime localement ou à l’étranger, témoigne de cette connexion essentielle, d’une volonté collective de s’élever, de partager nos récits, et d’honorer notre destinée en créant des ponts entre les générations et les frontières.
LN : Pensez-vous que le contexte international influence positivement ou négativement les créateurs haïtiens ?
Le contexte international exerce une influence à la fois positive et complexe sur les créateurs haïtiens. D’un côté, il offre une visibilité accrue, des opportunités de diffusion, et un accès à des ressources qui peuvent enrichir leur travail et leur permettre de toucher un public plus large. La scène internationale valorise souvent l’authenticité et la profondeur culturelle de l’art haïtien, ce qui peut inspirer les artistes à explorer davantage leurs racines tout en innovant dans leurs pratiques.
Cependant, ce contexte peut aussi présenter des défis. Les créateurs haïtiens se retrouvent parfois confrontés à des attentes externes qui peuvent limiter leur liberté d’expression ou leur imposer des narratifs stéréotypés sur l’identité haïtienne. Il existe également un risque de déconnexion avec les réalités locales, lorsque l’internationalisation détourne l’attention des luttes quotidiennes et de la richesse collaborative qui existe sur le terrain en Haïti.
En fin de compte, tout dépend de la manière dont les créateurs naviguent dans ce contexte. Lorsqu’ils parviennent à rester enracinés dans leur essence tout en utilisant les opportunités internationales comme un levier pour amplifier leurs voix et renforcer les liens avec leur communauté, l’influence peut être profondément positive. Cela exige toutefois un équilibre délicat entre adaptation et fidélité à leurs valeurs et à leur vision.
LN : Quelles sont les collaborations ou projets à venir qui vous enthousiasment particulièrement ?
Parmi mes projets à venir, ma collaboration musicale avec l’artiste, et tambourineur Youry Vixamar occupe une place de choix. Célébrant la profondeur de nos racines culturelles, ce projet s’annonce comme une exploration musicale unique, riche en émotions et en vibrations. C'est une expérience prometteuse. Son talent unique et sa maîtrise du tambour apportent une profondeur rare, et je suis impatiente de voir comment nos univers se rencontreront pour créer une œuvre qui saura captiver et partager nos visions.
En parallèle, je prépare également la sortie du recueil de poésie intitulé Sous les Cendres de la Résistance avec l’animateur et auteur Romy Jean François.
Je suis tout aussi enthousiaste à l’idée de la diffusion de notre court-métrage poétique, réalisé en collaboration avec l’artiste Mimi. Le New york Book art fair sous la direction de Dave vernet est un événement artistique et littéraire qui célèbre et honore l’art haitien, ce sera une deuxième occasion pour moi de faire la vente signature de mon recueil de poésie Les filaments de l'être’’.
LN :Y a-t-il des initiatives que vous aimeriez développer ou des partenariats auxquels vous aspirez pour enrichir votre travail et le partager davantage avec le public ?
Je travaille actuellement sur plusieurs projets passionnants qui me tiennent à cœur et qui visent à enrichir et à partager mon travail tout en créant des impacts réels et durables. Parmi eux, Photogrand II, un projet lancé pour la première fois en 2022, met en lumière la photographie dans le département de la Grand’Anse. Ce projet, qui sera bientôt élargi à tout le pays, encourage les jeunes et les photographes de la région à exprimer leur créativité et à partager leur vision unique. La photographie, qui me passionne profondément, est une langue universelle, un moyen puissant de mettre des mots sur nos ressentis et de capturer l’essence de nos réalités.
Un autre projet cher à mon cœur est Entreflammes, qui débute et met l’accent sur la femme, sa contribution et son impact. Il célèbre les femmes haïtiennes et celles d’ailleurs qui, par la lumière qu’elles partagent, nous inspirent à nous retrouver et à nous réinventer. Ce projet est un espace dédié à valoriser leur force, leur résilience et leur influence au sein de nos communautés.
En ce qui concerne les collaborations et les partenariats, je privilégie les projets authentiques, centrés sur l’humain et sur la collectivité, des initiatives qui mettent en avant des valeurs de partage et d’entraide. J’aspire à travailler sur des réalisations qui autonomisent les individus tout en mettant en lumière nos forces et notre capacité collective à nous élever.
Beaucoup de choses se structurent actuellement, et chaque jour est une occasion d’apprendre et d’affiner ces projets. Ces initiatives sont pour moi autant d’opportunités de créer, de partager et de contribuer à un monde plus connecté et solidaire.
LN : Enfin, à travers votre parcours, quel message souhaiteriez-vous transmettre aux jeunes artistes haïtiens qui, comme vous, peuvent être confrontés à des défis culturels et politiques dans leur développement artistique ?
À travers mon parcours, le message que je souhaite transmettre aux jeunes artistes haïtiens est celui de la résilience, de l’authenticité et de la foi en leur propre voix. Les défis culturels et politiques peuvent parfois sembler écrasants, mais ils sont aussi une source de force et d’inspiration. Chaque obstacle peut devenir une opportunité de se réinventer, de raconter nos histoires avec plus de profondeur et de sensibilité, et de transformer les réalités qui nous entourent.
Je les encourage à rester enracinés dans leur identité, à puiser dans la richesse de notre culture, de nos mémoires collectives et de nos traditions pour créer des œuvres qui résonnent avec leur vérité intérieure. L’art est une arme puissante, un langage universel qui permet de guérir, de connecter, et de porter nos messages bien au-delà de nos frontières.
Je leur dirais aussi de ne pas sous-estimer le pouvoir de la collaboration et de la communauté. Travailler ensemble, partager nos visions, et s’élever collectivement est essentiel pour faire face aux pressions extérieures et pour renforcer notre impact. Enfin, je veux leur rappeler que chaque création, aussi modeste soit-elle, est un acte de courage et de transformation. Continuez à créer, à croire en votre talent, et à avancer avec la conviction que votre travail a le pouvoir de changer des vies et de laisser une empreinte durable.
À travers mon parcours, le message que je souhaite transmettre aux jeunes artistes haïtiens va bien au-delà de leur propre engagement. Je m’adresse aussi à leur entourage, à ceux qui les soutiennent, les côtoient, et partagent leur quotidien. Votre soutien, votre écoute et vos encouragements sont essentiels pour nourrir leur essence créative et les accompagner dans ce chemin parfois sinueux qu’est la création.
On ne devient pas artiste en un jour. C’est une aventure, un apprentissage constant où l’on évolue au rythme de la vie. Un chemin authentique n’est pas une course, mais une marche ponctuée de détours, de pauses, de moments d’admiration, de pertes, et parfois de découragements. Ces expériences, bien que difficiles, font partie intégrante du paradoxe de la création. Elles sont essentielles pour nous, en tant qu’êtres humains complexes, car elles nous permettent de nous comprendre, de nous exprimer pleinement et, par là même, de devenir simples et authentiques dans notre vérité.
Je veux aussi rappeler que l’art n’a pas besoin de reconnaissance internationale ou de grands noms pour avoir de la valeur. Chaque geste créatif qui donne un sens à une vie individuelle, qui rassemble, ou qui devient une forme d’expression positive est une richesse inestimable. C’est une flamme à protéger, à célébrer, et à soutenir, car elle illumine bien au-delà de l’artiste lui-même, touchant des cœurs et transformant des vies.
Aux jeunes artistes, je dirais : avancez avec foi en votre talent, en votre vision. À ceux qui les entourent, soyez leur lumière dans les moments d’ombre, car votre présence peut faire toute la différence dans leur parcours. Ensemble, nous pouvons préserver et nourrir cette richesse qu’est la création artistique.
LN : Quels conseils leur donneriez-vous pour naviguer dans le monde de l’art tout en restant fidèle à leur héritage et à leurs convictions ?
Le monde de l’art est indissociable de notre essence humaine et de nos luttes collectives. Être artiste, c’est faire partie de la vie, avec toutes ses complexités, ses défis et ses réalités. Mon conseil aux jeunes artistes haïtiens et haïtiennes , c’est de créer en étant pleinement conscients que l’art n’est pas un chemin à part, mais une manière d’exprimer nos réalités, nos convictions et nos héritages. Il est crucial de rester fidèle à son héritage tout en étant ouvert à l’évolution. Mais aussi de naviguer dans ce monde avec une grande responsabilité, car chaque œuvre que l’on crée porte des conséquences, qu’elles soient visibles ou invisibles, positives ou négatives.
Chaque artiste doit savoir pourquoi il crée, ce qu’il veut exprimer, et dans quel but. La création doit aussi être ancrée dans la curiosité, le jeu, l’apprentissage sans pression excessive. C’est un chemin personnel et unique qui doit être tracé avec sincérité et sans comparaison. Il n’y a pas de manuel pour être artiste, mais il y a un parcours à suivre, à dessiner soi-même, en restant fidèle à soi et aux valeurs qui nous animent.
Nos vies sont interconnectées, et chaque choix que nous faisons a une conséquence. Il est donc essentiel de questionner ce que l’on choisit de créer, de partager et de diffuser, car ce que nous mettons dans le monde renforce des courants qui peuvent avoir une portée importante. Nous avons le pouvoir de faire des choix conscients, de nous connaître et de nous apprendre pour enrichir le monde, même par de petites actions. Chaque œuvre, chaque geste créatif, aussi modeste soit-il, peut avoir un impact et contribuer à l’évolution collective.
Le plus grand conseil que je donnerais est d'être authentique, de ne jamais se perdre dans la quête de reconnaissance externe, mais de rester connecté à ses racines, à son histoire, et de créer avec amour et conscience. Le chemin de l’art est avant tout un chemin de transformation personnelle, et cette transformation peut enrichir le monde d'une manière qui dépasse toutes les attentes.
Je leur dirais aussi qu'il est essentiel de guérir les blessures du passé pour éviter qu'elles ne deviennent des fardeaux transmis inconsciemment. Les émotions négatives, telles que la colère et l'injustice, sont des expériences humaines valides, mais il est important de les exprimer de manière consciente. Ce qui compte, c'est de ne pas laisser ces émotions définir notre art de manière destructrice. En faisant des choix créatifs réfléchis, on peut transformer ces sentiments en quelque chose de puissant et de libérateur, tout en préservant notre intégrité et en contribuant positivement à notre environnement. L'art devient alors un moyen de guérison et de transformation, sans se laisser submerger par des ressentiments.
Je comprends aussi que, bien que l'art soit une passion universelle, l'accès au matériel de création reste difficile, et le soutien n'est pas toujours facile à obtenir. Cela pèse lourdement sur beaucoup d'artistes, qui, malgré leur talent, se retrouvent souvent limités par des ressources insuffisantes. Cette réalité peut rendre le chemin encore plus difficile, mais elle nous pousse aussi à être créatifs dans nos démarches et à chercher des solutions alternatives pour continuer à exprimer notre vision. Le soutien, qu’il soit moral, matériel ou institutionnel, est essentiel pour permettre à l’art de se développer pleinement, et c’est un défi que nous devons relever ensemble, en solidarité.
Propos recueillis par Godson MOULITE