D'un clic, pour gagner du fric, avec honneur et fierté, tout en souriant. Le patron de Sourire d'Haïti, Jean Pierre Emmanuel (JPE), s'est taillé une place dans les milieux de la presse et des activités publiques en Haïti, au cours des deux dernières décennies au moins.
Dans quelle condition vivent ces professionnels haïtiens pendant ces temps de crise ? Quelle assistance possible pour les photographes haïtiens face à la mort lente de la vie culturelle dans plusieurs villes ou régions du pays ? Pourquoi, même à distance, il est important de porter un regard empathique et solidaire de ces nombreux acteurs ou maillons importants de la chaîne de communication et du patrimoine dans le pays ?
Demandons-nous un instant, à combien s'élèverait la fortune de ce photographe si la majorité des personnes qu'il met en image, acceptait de lui payer au minimum une douzaine de photos, comme cela se faisait dans le passé durant les belles annees des studios Photos ? Pourquoi est-il important d'écrire l'histoire de la photographie en Haïti, en relatant le parcours des photographes de salons et les photographes reporters, amateurs ou ambulants ?
Dans ce pays en pleine décomposition urbaine et recomposition sociale, les photographes les plus actifs et les plus dynamiques, ces hommes et femmes qui produisent des milliers d'images durant toute l'année, ont un rôle important à jouer dans l'archivage et la transmission de la mémoire collective, dans les différents secteurs d'activités publiques, populaires, politiques, diplomatiques, vivantes ou savantes.
Dans un secteur à la fois de plus en plus compétitif, et pratiquement désacralisé comme l'industrie de la photographie, partagée entre un nombre incalculable d'amateurs disposant d'un téléphone intelligent, et un nombre croissant de photographes professionnels formés, autodidactes, improvisés ou autoproclamés, il en faut plus pour rester présent et actif dans ce milieu.
Derrière sa caméra professionnelle, toujours bien vêtu, avec sa veste et des tons parfois contrastants, Jean Pierre Emmanuel profite largement de sa taille imposante pour trouver les meilleurs angles afin d'immortaliser des moments uniques et inoubliables. Agressif pour certains de ses pairs, professionnel accompli pour les bénéficiaires de ces reportages photos, le sourire et la sagesse représentent deux des atouts de ce photographe pour se démarquer ou pour surmonter certaines critiques ou déceptions incontournables dans ce métier.
De ces atouts, il en profite pour mobiliser tout un réseau d'influence, d'informateur ou d'invitation. Impossible de ne pas lui ouvrir les portes lors d'une cérémonie parfois même réservée à un nombre limité de journalistes et de photographes dans la capitale. Par son verbe et sa caméra, il va jusqu'à photographier son interlocuteur pour prouver la qualité de son travail, le temps d'une conversation.
Diplomatie de la caméra, pourquoi pas ? Sans franchir les codes d'éthique institutionnelle et du protocole événementiel, le photographe Jean Pierre Emmanuel figure parmi les créateurs d'image qui ne priorise pas l'argent avant tout. Mais de préférence les relations humaines.
De son vivant, je prends plaisir à saluer la présence et les productions visuelles de cet infatigable travailleur de l'image. J'invite autant ses proches amis et les parents de Jean Pierre Emmanuel à lui rendre en dehors de la date du 5 avril, un digne hommage pour son engagement, ses longs déplacements à pieds, à moto, et parfois dans les autobus qui assurent le transport en commun, jusqu'à traverser des zones rouges pour servir la communauté, pour produire des souvenirs dans nos mémoires, et enfin construire des passerelles entre l'imaginaire et la mémoire collective.
Des médias, évoluant dans presse écrite et numérique, autant que les plus hautes autorités ainsi que les simples fonctionnaires des principales institutions publiques du pays, ont dans un sens ou dans un autre utilisé au moins une fois, une des photos prises par Jean Pierre Emmanuel. Le photographe des quatre saisons, qui bosse jour et nuit, en temps normal comme en temps de crise ou sous la pluie. Celui qui veut faire sourire Haïti, à travers les émotions capturées auprès des dizaines, des centaines et des milliers d'hommes, de femmes, des jeunes et des enfants issues de toutes les couches sociales du pays.
Dans la archives de Jean Pierre Emmanuel, comme parmi plusieurs autres photographes de cette génération, il est possible de reconstituer un nombre important d'événements qui ont marqué l'histoire contemporaine et continuent d'influencer l'avenir de toute la nation. Autant les encourager et les accompagner dans la gestion de ces productions d'images, ces créations de la mémoire, ces archives de l'histoire.
De loin, en observant le travail assidu et la trajectoire continue de Jean Pierre Emmanuel, en dehors de ses qualités et de ses défauts que seuls ses proches peuvent en discuter, plus d'un peuvent confirmer qu'il figure parmi les nombreux gardiens de la mémoire collective, à la fois inconnus, invisibles et pas toujours appréciée à leur juste valeur, en pratiquant l'un des plus beaux métiers du monde. La photographie sociale, institutionnelle et culturelle !
Dominique Domerçant
