Le célèbre peintre-journaliste Dominique Domerçant a offert, le vendredi 5 décembre 2025, une formation sur la diplomatie culturelle aux journalistes juniors de la Télévision Nationale d’Haïti. Cette séance s’inscrit dans le cadre du programme de formation « Les vendredis de la transmission », instauré depuis quelques mois par la Direction culturelle et éducative de la TNH à l’intention de son personnel.
Au cours d’un exposé de plus de deux heures, l’ancien directeur des Affaires politiques du ministère des Affaires étrangères a dévoilé aux jeunes journalistes un aspect essentiel de leur responsabilité indirecte dans la diplomatie culturelle d’Haïti. D’emblée, il se positionne sur la convention de Vienne de 1961 comme base référentielle. Il définit le terme ambassadeur comme toute personne qualifiée et compétente appelée à représenter son pays et à servir les intérêts de celui-ci. À la suite de cela, il fait une présentation brève, mais éloquente du champ d’activité que constituent les relations internationales, en prenant soin de s’arrêter sur les quatre fonctions principales de l’ambassadeur : représentation — défense des intérêts étatiques — négociation — partage et information.
Loin de faire un étalage complet de ses acquis en matière de relations internationales, Dominique Domerçant établit un lien direct entre le travail du journaliste et celui de l’ambassadeur. Si les premiers ne sont pas, de prime abord, inscrits dans un cadre juridico-légal de représentation, avec une mission spécifique telle qu’elle incombe aux seconds, ils peuvent néanmoins l’être de fait. Dans la pratique, ils peuvent jouer un rôle considérable dans la tournure des relations diplomatiques qu’Haïti entreprend avec les autres États. Qui de mieux que les journalistes fonctionnaires de l’État pour assumer ce rôle ? Il leur a notamment rappelé qu’en tant que journalistes et fonctionnaires de l’État haïtien, ils ont l’obligation de mettre en valeur Haïti sous ses meilleurs aspects. À ce titre, ils sont des ambassadeurs capables d’influencer positivement la communauté haïtienne, tant au pays qu’à l’étranger, et de contribuer à améliorer la perception internationale de la première République noire. Malgré un narratif dominé par la désolation, la misère, la fuite de l’intelligentsia, les violences armées et les tensions sociales, Haïti, en 2025, possède encore de nombreux atouts. Ce récit peut être réorienté. Pour cela, les journalistes doivent être conscients de leurs responsabilités et s’engager activement dans cette réorientation. Dominique Domerçant soutient que, lorsque l’actualité met en lumière des faits positifs — une émission de qualité, une performance remarquable, une découverte — il est peu probable que les criminels captent l’attention médiatique. Il a encouragé les participants à reléguer au second plan les « hommes sans foi ni loi », en mesurant l’impact de leurs écrits, de leurs interventions et de leurs publications sur les réseaux sociaux. Il les a également exhortés à faire preuve d’« agressivité intellectuelle » afin de prendre le dessus sur l’actualité grâce à des contenus éclectiques, éclairés, diversifiés et inclusifs.
D’un autre côté, il soutient que les journalistes peuvent aider l’État haïtien à mieux harmoniser ses relations extérieures grâce à l’apport de contenus ouverts sur d’autres cultures, en lien avec la nation haïtienne, susceptibles de favoriser la diversité. D’où l’intérêt de la diplomatie culturelle, qui se définit comme la stratégie par laquelle un État mobilise ses expressions culturelles — arts, langue, patrimoine, savoirs, création contemporaine — pour renforcer son influence, favoriser la compréhension mutuelle et améliorer son image internationale (réf. travaux de Cummings, Nye, Gienow-Hecht, Donfried et Cull).
Une intervention percutante
Au-delà de leur mission d’informer, le diplomate a insisté sur la nécessité pour les journalistes de contribuer à la formation de la population haïtienne. Plutôt que de se laisser dicter leur travail par l’actualité, ils peuvent orienter leurs contenus vers l’éducation : nouvelles technologies, relations internationales, enjeux frontaliers, entre autres. Ils doivent être en mesure d’anticiper les réalités afin d’apporter à leur public des éléments nouveaux, pertinents et instructifs. Par ailleurs, il les a encouragés à mettre régulièrement à jour leurs connaissances, à perfectionner leurs compétences et à repousser leurs limites, afin d’être mieux armés pour partager leurs savoirs. Cet effort est indispensable, car ils seront appelés dans un proche avenir à occuper des positions de premier plan dans la société.
Bien qu’il soit conscient des limites de production et de diffusion auxquelles fait face la Télévision Nationale d’Haïti, Dominique Domerçant affirme que la volonté de créer demeure plus forte que les obstacles. Il a invité les jeunes à faire preuve de passion dans l’exercice de leurs fonctions et à privilégier le service de l’État plutôt que l’attente de privilèges. Ses propos ont fortement résonné dans un petit bureau bondé, où s’étaient réunies une quinzaine de personnes. Une salve d’applaudissements a suivi, accompagnée de remerciements adressés au formateur. La journaliste-présentatrice Sahidna Antoine a déclaré que, pour elle comme pour de nombreux collègues, cette intervention arrivait à point nommé. Plusieurs étaient proches du découragement et se sont sentis remotivés à la suite de cet échange. Son témoignage a été appuyé par Sheilla Pierre, présentatrice du journal culturel « Fenèt kiltirèl ».
Cette intervention, pleine d’enthousiasme, intervient pourtant dans un paysage institutionnel fragilisé, qu’il est essentiel de rappeler pour saisir la portée réelle de ces efforts internes.
La Télévision Nationale d’Haïti, grande oubliée et toujours en attente de restructuration et de recadrage
Le Conseil présidentiel de transition a adopté, le 12 février, en Conseil des ministres, un décret instituant une commission chargée de la restructuration des médias d’État, baptisée Commission de restructuration de la Radio et de la Télévision Nationale d’Haïti et mandatée pour six mois. Installée le 24 du même mois, à la Villa d’Accueil, la Commission traduisait la volonté manifeste du Conseil présidentiel de transition de redynamiser les médias publics et de les amener à jouer pleinement leur rôle, tant auprès de l’État haïtien qu’auprès de la population. Sa mission consistait à effectuer un diagnostic complet du fonctionnement de la RNH et de la TNH, à produire un rapport circonstancié et à formuler des recommandations opérationnelles en vue de leur restructuration et de leur recadrage institutionnel.
Durant sa période d’exécution, la Commission a conjugué les efforts pour amorcer une stabilisation du climat de travail et un regain de motivation interne, malgré des contraintes budgétaires et logistiques persistantes. Elle a également réussi à limiter les dégâts hérités de l’ancienne administration en matière de gestion du personnel, qui était à son arrivée dans un désordre manifeste : un flot important de stagiaires en attente de régularisation depuis plusieurs mois, parfois même des années, ainsi que des promotions internes non traitées, ont pu être finalement régularisés.
Au terme de son mandat, la Commission a remis à ses mandataires un document final intitulé Rapport final – Plan stratégique de restructuration. Le rapport présente une évaluation organisationnelle et institutionnelle, un diagnostic complet, ainsi qu’une série de mesures correctives à court terme. Il propose aussi un plan stratégique de restructuration 2026-2028 articulé autour de cinq objectifs spécifiques regroupés sous un objectif stratégique général.
Quatre mois après l’expiration de son mandat, la Commission de restructuration de la RTNH se retrouve au cœur d’un vide administratif, éloignée des priorités du Conseil présidentiel de transition. Faute de décisions claires et d’appuis gouvernementaux effectifs, elle demeure dans l’incapacité d’engager la phase opérationnelle de la restructuration. Le processus étant suspendu, la TNH comme la RNH poursuivent leur course vertigineuse vers le déclin, s’éloignant davantage de leur mission tripartite : l’éducation, la promotion de la culture nationale et l’information au service de la population.
Cette situation déconcertante mine la motivation d’un personnel pourtant déterminé à maintenir le flambeau, malgré les soubresauts politiques qui les prennent en étau. Reste une question, essentielle : la Télévision Nationale d’Haïti parviendra-t-elle à renaître de ses cendres ?
Odca Valcourt
