À la rencontre d’un texte intitulé « Celle de mon plus grand désir » écrit par l’Haïtienne Emmanuella N. DERA

Ayiti, terre de rêves de tous genres, d’hospitalité, d’amour, d’attraction, de konbit[1], de kòve[2], de mwatye[3], de tèt ansanm[4], de frè m – sè m[5], kouzen – kouzin[6]... S’inspirant d’un super texte qu’il est impératif de lire écrit par Emmanuella N. Dera, on a envie de « devenir » brusquement, d’un seul instant, poète mais surtout vivre et revivre dans le réel l’Ayiti dont rêve l’auteure. Mademoiselle Dera est une jeune poétesse en herbe dont la plume et l’inspiration peuvent entraîner plus d’un à une sorte d’insatiabilité en lecture. Emmanuella N. Dera écrit des proses tout comme des poèmes qui constituent une sorte de révolte sauvagement ressentie tant de l’intérieur que de l’extérieur, rien que de voir sa terre natale Ayiti redevenir la Perle d’antan, Perle des Antilles[7]. Ses textes s’inscrivent dans la lignée de toutes celles et tous ceux qui chantaient et chantent encore Ayiti, ou peignent la vraie Ayiti tant affligée. Les phrases « Elle [Haïti] vit à nouveau. Elle luit de nouveau. Comme une plante au printemps qui étale minutieusement ses fleurs, son visage rayonne d’une beauté enivrante » en témoignent largement. Emmanuella N. Dera est étudiante en Sciences du Langage – communément appelées linguistique – à la Faculté de Linguistique Appliquée de l’Université d’État d’Haïti. Elle est en 6e année de médecine à l’Université Notre Dame d’Haïti. Aux côtés de ces deux chapeaux qui l’attendent, elle nous invite à mettre de côté quelques minutes pour réfléchir aux maux qui gangrènent le pays par le biais de « Celle de mon plus grand désir ». C’est un texte qui lance une véritable invitation à l’engagement social, au patriotisme, au civisme, dans un pays dont la majorité des élites intellectuelles laissent le pays pour divers motifs (insécurité, faim, incertitude troublant l’avenir de la jeunesse, chômage, crises et instabilité politiques dont les conséquences font ravage ; une société où l’État semble démissionner face au taux de criminalité due à la ganstérisation barbare du pays entier. En bref, il s’agit d’un beau texte à lire et à relire qui invite en même temps les Haïtiennes et les Haïtiens tant en Haïti que dans la Diaspora[8] à prendre conscience de leur état.

 

Devant moi se dressait une femme, telle une martyre enveloppée d’un manteau d’affliction, de nostalgie, de honte et de déconvenue. Ses entrailles en gestation étaient déjà en lambeaux, mais soutenues par ses mains abimées et complètement recouvertes de sang. Je reconnaissais en elle ce visage familier et bien plus encore, le flux de son effroyable tourment quotidien. Tout au fond de moi, j’avais la certitude que je partageais avec elle ces flots de tortures dans lesquels elle se noie. Le cri implorant de son cœur abattu me transperçait jusqu’au fond de mon âme, car sa souffrance était aussi la mienne et ma douleur était la sienne.

Je m’approchais donc avec précaution, de peur que je la rende encore plus fragile. Une fois penchée vers elle, elle m’a ouvert son cœur. Elle y gardait précieusement l’épopée de son glorieux passé, les souvenirs du moment où elle fut le plus précieux des joyaux, ses souffrances, toute l’envergure des situations horrifiantes qu’elle a connues, les douleurs fulgurantes de son présent et les inquiétudes de son avenir.

Cette révélation telle une épée à double tranchant, me transperçait, dévorait ma chair et déclenchait une vague d’amertume qui a sauvagement ravagé mon cœur. J’ai pleuré. La tête abandonnée sur sa poitrine meurtrie, j’entendais battre son cœur à un rythme mélancolique qui me berçait et me plongeait dans une léthargie.

Et là, je me suis mise à rêver de cette femme …

Loin d’elle cette délaissée qui se perdait dans ce tourbillon d’insécurités de toutes sortes, de misère et d’instabilité la plongeant dans une complète prostration.

Son temps de frustration est révolu. Elle n’est plus dupe de ces bandes de voyous dont la duplicité oscillait entre la nonchalance quand il s’agissait de faire les choses bien et vivacité malsaine quand piller était de mise. Elle est désormais émancipée de l’indignité de ses prédateurs avaricieux et factieux.

Les enfants qu’elle porte dans ses entrailles sont protégés contre la violence et les agressions pour le moins révulsantes qui les brisaient ou les laissaient inertes. La liberté et le renouveau coulent à flots dans leurs veines. Ils se sont enfin réveillés de ce long sommeil bordé de cauchemars. La nuit n’est plus ce brouillard accablant ou cette forêt enveloppée d’énormes embûches continuelles. Dans leur cœur, la peur d’être traqué par des malfrats est transformée en une assurance indéfectible de paix, car l’atmosphère est redevenue accueillante et inoffensive.

Je vois cette femme entrer en une sorte de transe où elle renait de ses cendres. Je vois une femme libre comme un oiseau en plein vol. Je ressens la joie qui jaillit en direct d’un éclosoir où l’on peut voir la métamorphose qu’elle a subie. Elle vit à nouveau. Elle luit de nouveau. Comme une plante au printemps qui étale minutieusement ses fleurs, son visage rayonne d’une beauté enivrante. Son âme est paisible comme un étang endormi. Ses yeux brillent d’une magnificence que je n’ai jamais vue auparavant. Son sourire apaisant et tellement accueillant redonne vie à son hospitalité d’antan.

Et là, en plein milieu de ce rêve flamboyant, mon cœur se mit à battre au rythme de sa renaissance et ma bouche envoutée par ce sentiment d’exaltation se met à crier : « Ma nouvelle Haïti, celle de mes plus grands désirs ! »

Désormais, je porte en moi le germe de l’espoir, la flamme d’un avenir idéalisé et les secrets de son éternité les plus précieusement gardés.        

Emmanuella N. DERA

 

Présentation de l’auteure

 

Née un 23 décembre, Mlle Emmanuella N. Déra est originaire de Pilate, nord d’Haïti. Elle a fait ses études primaires à l'école Immaculée Conception de Pilate, et ses études secondaires au Collège Régina Assumpta du Cap-Haïtien. Actuellement elle est pré-interne, DCEM4, en médecine à l'Université Notre Dame d'Haïti. Étudiante en 3e année à la Faculté de Linguistique Appliquée, FLA, de l’Université d’État d’Haïti. Co-fondatrice du forum[9] Pépinières en recherche 10&1, dirigé par le Professeur Bonel OXINÉ, docteur en sciences du langage, spécialiste en sociodidactique, en didactique du Français Langue Etrangère & Communication, FLE & Com. Ce forum a pour but de promouvoir la recherche et l'interdisciplinarité en vue de favoriser des échanges fructueux entre les différentes disciplines dans les débats. Elle est coordonnatrice du comité exécutif d'InterMed, un journal de la communauté estudiantine de l'UNDH/FMSS. Emmanuella est aussi passionnée de l'écriture, la lecture, la musique et les soins de beauté. Toujours en quête de savoir, elle a suivi une cinquantaine de cours donnés par l'Organisation mondiale de la Santé, pour lesquels  elle a obtenu une attestation, un certificat et un badge d'accomplissement. Passionnée de l’entrepreneuriat, elle est entrepreneure et est également co-propriétaire de MN Global, une entreprise qui offre de multiples services: impression, shipping, vente d'appareils électroniques, etc. Auteure de plusieurs textes, la plupart d’entre eux sont dotés de caractères philosophiques et surtout engagés, de recueils de poèmes et bientôt d'un livre intitulé "Les confessions", dans lequel elle racontera son histoire pour le moins, émouvante. Sur le plan linguistique, Emmanuella Déra parle le créole en tant que langue maternelle, français comme langue seconde, anglais et l'espagnol comme langue étrangères. Emmanuella a en outre acquis des notions de base dans la langue japonaise, dans laquelle elle souhaite approfondir ses connaissances.

 

 

Bonel OXINÉ, LangSÉ / LIRDEF

bonel.oxine@ueh.edu.ht

potomitan.info/ayiti/oxine/

Référence :

 

 

[1] Konbit : (fr. combite). Selon le Dictionnaire créole haïtien, tiré du site Le Lexilogos, ce mot a le sens de travailler ensemble. Notons que les mots konbit et kòve envoient à la même réalité en créole haïtien. Konbit et kòve sont donc deux termes utilisés dans le langage des agriculteurs dans un esprit partitif mais aussi dans l’idée de tirer profit des services rendus par chaque membre d’une communauté que constituent les cultivatrices et les cultivateurs. Les travailleurs reçoivent un salaire en fonction du nombre d’heures de travail fournies, soit mensuellement soit annuellement de la main du propriétaire de champ.

[2] Kòve (fr. corvée). Ce mot en français « est issu (du lat. corrogare, convoquer). Il signifie « travail pénible ou rebutant qui est imposé à qqn. Il signifie également « tâche d’intérêt commun exécutée à tour de rôle par les membres d’une communauté » (Dictionnaire Maxipoche, 2018, p. 316). La deuxième définition est plus appropriée pour décrire la kòve haïtienne pratiquée par les paysans. Néanmoins, il faut dire que cette pratique est peu répandue de jour en jour dans les provinces du fait que le paysan haïtien tend à tourner le dos à la terre pour aller vivre soit dans la ville ou à la capitale soit en République Dominicaine ou ailleurs, à la recherche d’une vie meilleure.   

[3] De mwatye (fr. de moitié). Référée à la plantation, cette expression désigne une mode de fonctionnement adoptée par les cultivatrices et cultivateurs pour cultiver la terre, sous condition de partager à part égale les denrées récoltées, selon les clauses qui ont été adoptés et signés entre les parties, de semence à la moisson.

[4]Tèt ansanm. Forme de solidarité, union, participation de tout le monde en vue d’aboutir aux résultats escomptés, résoudre un problème identifié.

[5] Frè m / sè m (mon frère à moi ou mon frère, ma sœur à moi ou ma sœur). Ces deux expressions montrent comment le vivre ensemble était de mise à la campagne dans le passé. Mais de décennie en décennie, ces expressions employées dans le monde rural qui servait autrefois de ciment qui cimente le peuple ensemble sont en voie de disparition. On assiste aujourd’hui à une division qui détruit sauvagement le pays.

[6] Kouzen / kouzin (cousin / cousine). On utilisait autrefois ces termes pour se saluer ou s’appeler dans les villes de provinces comme à la campagne, particulièrement dans les mornes où même l’accès par exemple à l’onde pour placer des appels est très incertain et réduit. En utilisant ces appellations, on se sentait dans une ambiance de fraternité sans pareil. Maintenant les choses ont dévolu, on ne les entend presque plus. Celles-ci faisant partie prenant du viv ansanm (vivre ensemble) qui existaient dans la paysannerie haïtienne dans le passé.

 

[7] Perle des Antilles. L’expression utilisée autrefois qui traduisait la beauté d’Haïti pour ses plages, son coté idyllique, ses cours d’eaux, son paysage, son peuple, ses arbres fructueux, ses denrées, ses musiques, ses bandes à pied, ses fêtes champêtres, ses périodes de festivités, bref, sa partie paradisiaque. Il fut un temps, on comparaissait le pays à une perle, ici et d’ailleurs, non seulement en faisant référence à sa beauté et ses richesses mais aussi pour ses moments de gloire.

[8] L’État haïtien devra coute que coute ouvrir le pays à la Diaspora, sur laquelle d’ailleurs, repose en grande partie l’économie du pays en vue de servir de leurs expérience, leur carrière professionnelle, leur technicité dans une perspective développementale (https://www.potomitan.info/vedrine/dyaspora.php).

[9] Pépinières en recherche 10 & 1 est une structure de travail entre 10 étudiants et un professeur récemment initié par le Professeur Bonel Oxiné à la Faculté de Linguistique Appliquée de l’Université d’État d’Haïti. Elle est conçue par le Professeur Bonel Oxiné et l'Étudiante Emmanuella N. Dera dans l'objectif de s'intéresser dès 3ème année de licence à la recherche et s'entraîner à la préparation de leur mémoire de licence, étant obligatoire, jusqu'à l'obtention de ce dernier. Notre centre d'intérêt est en lien direct avec les phénomènes linguistiques et langagiers en contexte haïtien et à l'éducation. Champs privilégiés: sociolinguistique, didactiques des langues, sociodidactique, créolistique, éducation bilingue. Nous souhaitons voir cette initiative servir de modèl de travail entre les professeurs et les étudiants de l’Université d’État d’Haïti en vue non seulement de valoriser et dynamiser la recherche au sein de l’Université mais aussi promouvoir tant les études que les diplômés, au sein de la société haïtienne.

 

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