Exploiter l'intelligence économique pour stimuler le développement

Dans un précédent texte, nous avons évoqué l’importance de l’intelligence économique (IE) dans le cadre du développement. Dans ce nouvel article, nous nous proposons d’identifier les forces sur lesquelles s’appuyer, les faiblesses à surmonter, les opportunités à exploiter et les menaces à anticiper, afin de bâtir une stratégie d’intelligence économique efficace et pérenne.

L’application de l’IE en Haïti repose sur un ensemble de facteurs structurels et conjoncturels influençant son développement.

Parmi les atouts dont dispose Haïti, nous notons son cadre juridique en évolution. Bien que faible, l’arsenal législatif haïtien intègre progressivement des dispositions en faveur de la transparence et de la protection des données, créant ainsi un environnement favorable au développement de l’IE.

Notre culture de solidarité et de coopération constitue un atout incontestable. L’esprit communautaire, profondément ancré dans la société haïtienne, peut faciliter la mise en place d’initiatives collectives, lesquelles peuvent constituer un levier puissant pour structurer des réseaux de veille stratégique.

À ce point fort s’ajoute une résilience entrepreneuriale remarquable. Face aux difficultés économiques et institutionnelles, les entrepreneurs haïtiens ont toujours su développer une capacité d’adaptation et d’innovation qui, si elle est soutenue par un cadre structurant, peut favoriser l’émergence d’une dynamique d’intelligence économique performante.

Quant aux faiblesses, elles sont nombreuses mais pas insurmontables. Par exemple, l’application limitée des lois existantes peut entraver la mise en œuvre effective de l’intelligence économique en Haïti. Bien que le cadre juridique soit en construction, l’absence de mécanismes efficaces pour faire respecter les textes relatifs à la transparence et à la protection des données freine l’institutionnalisation de l’IE.

Il convient également de mentionner la culture de méfiance vis-à-vis du partage d’informations. Historiquement, l’opacité et le manque de confiance entre les acteurs économiques et institutionnels limitent la circulation des données stratégiques, ce qui peut réduire l’efficacité des initiatives d’intelligence économique.

Il faut également souligner le retard des acteurs haïtiens en matière de digitalisation et l’insuffisance des infrastructures. Il va sans dire que le manque d’infrastructures numériques modernes et de connectivité restreint l’accès aux outils et plateformes nécessaires pour collecter, traiter et analyser les données économiques de manière optimale.

Des opportunités existent

Malgré les défis que nous avons évoqués, plusieurs leviers stratégiques peuvent être mobilisés pour accélérer l’intégration de l’IE en Haïti. Tout d’abord, dans le cadre des réformes législatives en cours, il est nécessaire de moderniser le cadre juridique, en particulier en ce qui concerne la cybersécurité, la transparence et la protection des informations stratégiques. Une telle refonte est indispensable pour structurer un écosystème d’IE solide et efficace.

Les experts mettent également en lumière le rôle clé de la diaspora haïtienne dans le processus d’implantation de l’intelligence économique. Présents dans de nombreux pays économiquement avancés, ces compatriotes représentent un levier stratégique majeur pour attirer des investissements, transférer des savoir-faire et établir des réseaux de veille concurrentielle bénéfiques au développement national.

Enfin, il est impératif de ne pas sous-estimer l’impact des nouvelles technologies. L’intelligence artificielle, le big data et les outils d’analyse prédictive offrent aujourd’hui des opportunités inédites pour la collecte, la structuration et l’exploitation des données économiques. Ces technologies facilitent ainsi la prise de décisions éclairées, un facteur clé pour le développement durable de l’économie haïtienne.

Maîtriser les menaces

Malgré ces opportunités, plusieurs facteurs de risque pourraient compromettre la mise en œuvre effective de l’IE en Haïti. L’instabilité politique et économique chronique représente un véritable goulot d’étranglement, tout comme l’absence de stabilité institutionnelle, des éléments qui constituent un frein majeur à l’instauration de réformes à long terme et à l’investissement dans des initiatives structurantes telles que l’IE.

De plus, la concurrence accrue au niveau régional exerce également une pression sur ce projet d’implantation de l’IE. Il ne faut pas oublier que de nombreux pays de la Caraïbe et d’Amérique latine ont déjà pris une avance considérable dans l’adoption de stratégies d’intelligence économique, ce qui pourrait marginaliser Haïti si ce dernier ne réagit pas rapidement.

La persistance de la méfiance et de l’opacité dans les institutions n’est pas sans effet pervers sur l’implantation de l’IE. Tant que les mentalités n’évolueront pas vers une culture du partage structuré et sécurisé de l’information, les initiatives d’IE risquent d’être perçues comme des menaces plutôt que comme des outils de développement collectif.

D’où la nécessité pour Haïti d’adopter une approche proactive et structurée afin de surmonter ses faiblesses et de tirer parti de ses opportunités. Seule une stratégie nationale d’IE, adossée à un cadre réglementaire solide, des infrastructures adaptées et une mobilisation des acteurs économiques et institutionnels, pourrait permettre au pays de renforcer sa compétitivité et d’assurer un développement durable.

On ne dira jamais assez que l’intégration de l’IE en Haïti constitue un axe stratégique pour renforcer la compétitivité des entreprises et promouvoir un développement durable.

C’est pourquoi il est essentiel d’aller au-delà des recommandations générales et de mettre en place une stratégie d’IE structurée et pérenne.

Cap vers le développement durable

La mise en place de l’IE a été marquée par la création de l'Agence Nationale d’Intelligence Économique (ANIE), placée sous la tutelle directe de la Primature. Cette agence a pour mission de développer des unités spécialisées dans la veille stratégique, la protection des actifs économiques et l’analyse des risques, dans le but de renforcer la compétitivité et la sécurité économique du pays. Parallèlement, un cadre législatif a été adopté pour soutenir cette démarche, comprenant des lois visant à protéger les données sensibles, à renforcer la cybersécurité et à garantir la transparence économique. Ces initiatives visent à structurer l’intelligence économique comme un pilier essentiel de la stratégie nationale de développement.

Dans un souci de coordination et de synergie entre les différents acteurs économiques, un Comité National de Veille et d’Anticipation a été créé. Ce comité réunit les secteurs public, privé, universitaire, ainsi que la diaspora, afin d’orienter les décisions stratégiques et de prévenir les menaces économiques potentielles.

L’IE est également intégrée dans la politique industrielle et commerciale du pays, grâce à un mécanisme d’évaluation des politiques publiques fondé sur des indicateurs de performance mesurables. Cette approche vise à garantir une gouvernance efficace et inclusive dans la gestion de l’économie nationale.

Pour soutenir la stratégie d’IE, une plateforme nationale de renseignement économique a été mise en place. Celle-ci centralise les données stratégiques relatives aux marchés, aux investissements, aux innovations et aux opportunités commerciales, offrant ainsi un outil précieux aux acteurs économiques du pays. Parallèlement, un cadre réglementaire clair a été développé pour assurer la souveraineté numérique, tout en investissant dans des infrastructures sécurisées permettant de gérer les flux d’informations sensibles. Cette démarche vise à garantir une gestion optimale des données économiques et à renforcer la sécurité des échanges numériques.

Le renforcement des capacités humaines est une priorité pour le pays. C’est dans cette optique que l’Institut National de Formation en Intelligence Économique a été créé, en collaboration avec les universités et les centres de recherche, afin de former une nouvelle génération de décideurs et d’experts en veille stratégique. Par ailleurs, un réseau de sensibilisation des entreprises et des administrations a été mis en place pour promouvoir l’intelligence économique à tous les niveaux. Des programmes de formation continue et des certifications en intelligence économique sont proposés pour encourager l’adoption de ces pratiques essentielles au développement économique du pays.

La diaspora est considérée comme un levier stratégique essentiel pour le développement économique du pays. À cette fin, un réseau d’experts et d’entrepreneurs de la diaspora a été mis en place pour identifier des opportunités d’investissement, faciliter les échanges technologiques et servir de relais sur les marchés internationaux. De plus, un fonds d’investissement pour l’innovation et la compétitivité a été créé, financé par la diaspora et des partenaires internationaux. Ce dispositif de financement a pour objectif de soutenir les entreprises locales dans des secteurs stratégiques, renforçant ainsi la compétitivité et l’innovation à l’échelle nationale et internationale.

En mettant en œuvre ces recommandations, Haïti fera de l’IE un véritable levier de développement et de souveraineté, capable de transformer durablement son économie et de s’imposer comme un acteur compétitif sur la scène régionale et internationale.

 

Anouce Bernard

Master en Intelligence Économique et Prospective des Territoires

Président du Centre de Compétitivité et Stratégie d’Haïti (CCS-Haïti)

Ex-Député de Beaumont (50e Législature)

12 mars 2025

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